Plusieurs dizaines de milliers d’embryons congelés sont conservés sans projet parental. Le choix de leur devenir est loin d’être simple.
Selon les régions, entre 14 et 45 % des tentatives de fécondation in vitro en France (fécondation in vitro classique ou avec injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde) aboutissent à l’obtention d’un nombre d’embryons supérieur à celui qu’il est possible (ou souhaitable) de transférer in utero sans prendre le risque de grossesses multiples de haut rang. Ces embryons dits « surnuméraires » sont donc congelés et conservés dans les centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples afin de les utiliser lors d’une tentative d’AMP ultérieure. De plus, l’arrivée de la vitrification embryonnaire a considérablement augmenté le bénéfice de la congélation embryonnaire qui est passé de 8 % de naissances additionnelles en 1998 à 18 % en 2015.1 Ainsi, selon les données du registre de l’Agence de la biomédecine, plus de 68 000 embryons surnuméraires ont été congelés au cours de l’année 2015 et 221 538 embryons étaient conservés dans les centres français d’AMP au 31 décembre 2015.1
Chaque année, les couples dont les embryons sont conservés sont consultés par courrier sur leur souhait de maintenir ou non leur projet parental. Majoritairement les couples demandent la poursuite de la cryoconservation en vue d’un transfert intra-utérin ultérieur (70 % de couples). S’ils n’ont plus de projet parental, en cas de séparation ou de décès de l’un d’entre eux, les deux membres d’un couple (ou le membre survivant) peuvent choisir le devenir de leurs embryons dans le cadre législatif français parmi les trois possibilités : les donner à un autre couple dans le cadre de l’accueil d’embryons, les donner à la recherche, ou demander de mettre fin à leur conservation.2
Néanmoins, 10 ans après la mise en place des dispositions légales (loi de bioéthique de 2004), près de 32 % des embryons conservés le sont en dehors de tout projet parental : 34 089 embryons (15,4 %) [10 838 couples concernés] n’ont plus de projet parental (en attente de destruction, ou d’attribution vers des programmes de recherche ou vers l’accueil d’embryons) et 34 542 embryons (15,6 %) [10 859 couples] ont un devenir incertain du fait d’un désaccord ou de l’absence de réponse du couple.

Don d’embryons à un couple tiers

L’accueil d’embryons est inscrit dans la loi de bioéthique française depuis 1994. Cependant l’attente des décrets d’application n’a rendu effective cette nouvelle forme d’AMP avec tiers donneur qu’à partir de 2001.3 Depuis cette date, des couples infertiles peuvent bénéficier de façon anonyme et gratuite d’un accueil d’embryons. Clara, née en 2004, est le premier enfant issu d’un accueil d’embryons en France. Depuis, plus d’une centaine d’enfants ont vu le jour. Mais le don d’embryons reste une activité marginale et sous-développée malgré un nombre non négligeable d’embryons destinés à l’accueil.4 En effet, une grande proportion d’embryons initialement destinés à l’accueil d’embryons ont finalement un autre devenir, puisque la décision de donner leurs embryons à un couple tiers ne se concrétise que pour 25 % des couples : 148 en 2015. Plusieurs raisons peuvent être en cause. Du côté du couple donneur : la lourdeur des procédures encadrant le don d’embryons (entretiens obligatoires, prélèvements sanguins, bilan familial) semble dissuader certains couples de finaliser leurs démarches. Pour d’autres, la décision de ce don est spontanée, mais dépourvue d’élaboration. Il est possible que lors des entretiens avec les professionnels encadrant l’accueil d’embryons, le fait de formaliser la décision et d’exprimer verbalement la décision de donner leurs embryons à un couple tiers entraîne une prise « soudaine » de conscience que les embryons congelés depuis des années puissent avoir un avenir.
Les difficultés sont également multiples pour l’équipe en charge de la mise en place de l’accueil d’embryons. En effet, un autre frein réside sans doute dans le faible nombre des centres d’AMP français (21 sur 104) qui ont demandé et obtenu l’autorisation de pratiquer l’accueil d’embryons. Il s’agit, en effet, d’une activité chronophage pour laquelle aucun moyen spécifique n’avait été alloué avant 2013. Les biologistes doivent contacter, parfois à plusieurs reprises, les couples qui ont exprimé leur intention de don sur un formulaire de réponse, parfois plusieurs années auparavant : les couples peuvent être séparés, ou avoir entrepris des tentatives dans différents centres. Les praticiens en charge de cette activité avouent souvent être mal-à-l’aise vis-à-vis de ces situations. Le tiraillement entre la « nécessité » d’avoir des embryons pour pouvoir aider les couples receveurs en attente de transfert et la crainte d’influencer un couple donneur dans sa prise de décision peuvent également expliquer les délais de la finalisation de la procédure.
À cela s’ajoute la crainte soulevée par la complexité des enjeux socio-éthiques et psychologiques de cette nouvelle forme d’AMP pour les couples et les enfants à naître. Ces difficultés expliquent le peu de motivation affiché par les centres pour développer cette activité et que près de la moitié des embryons ne sont finalement pas accueillis par défaut de structures pouvant encadrer l’accueil consenti par le couple donneur.5
Enfin, tous les embryons ne peuvent être éligibles pour l’accueil. Il existe des contre-indications biologiques (embryons de qualité suboptimale) et des contre-indications médicales liées à l’histoire du couple et aux risques potentiels pour les enfants liés à certaines caractéristiques (âge des parents, infection, facteurs génétiques) qui ont été acceptées par le couple donneur mais ne peuvent être imposées au couple receveur.2-6
Néanmoins lorsque l’on rencontre des couples ayant finalisé leur démarche de don dans le cadre de l’accueil d’embryons, il est frappant de constater à quel point ce choix est une adhésion déterminée et les différents rendez-vous, consultations, prélèvements... ne semblent pas altérer leur engagement.7

Don d’embryons pour la recherche

La loi de bioéthique du 7 juillet 2011 modifiée par la loi du 6 août 2013 (art. L2151-5) stipule que la recherche sur l’embryon humain ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une AMP et qui ne font plus l’objet d’un projet parental.
Nous pouvons distinguer deux types de recherche :
– l’obtention de lignées de cellules souches pluripotentes à partir du bouton embryonnaire ; c’est la plus fréquente. Les lignées de cellules souches embryonnaires humaines ont un double intérêt, elles sont « immortelles » et « pluripotentes ». Elles peuvent être amplifiées au laboratoire, être congelées et décongelées, tout en gardant la potentialité de se différencier dans tous les tissus du corps humain. Cela les distingue d’autres cellules souches, comme les cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse ou du sang de cordon, qui ne permettent d’obtenir que les cellules spécialisées de quelques tissus, voire d’un seul. Il n’est pas exclu qu’un jour se développent des « banques » de cellules différenciées à partir de cellules souches embryonnaires humaines qui pourraient être utilisées dans des protocoles cliniques à visée thérapeutique ;
– une meilleure connaissance de l’embryon lui-même, de son développement, de l’analyse des gènes ou des protéines exprimés dans les cellules de l’embryon, de ses interactions avec l’environnement. Cinq projets concernant ce type de recherche ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine. Les techniques d’AMP ne permettent pas de remédier à toutes les formes d’infertilité. La meilleure connaissance des premiers stades du développement de l’embryon humain est une étape essentielle pour comprendre les causes des échecs de reproduction et améliorer la prise en charge des couples.
Quel que soit le type des recherches, celles-ci impliquent la destruction de l’embryon. Le transfert « à des fins de gestation » des embryons utilisés dans le cadre d’une recherche est strictement interdit par la loi. Tout projet de recherche sur l’embryon humain fait l’objet d’une demande d’autorisation à l’Agence de la biomédecine qui s’accompagne d’un examen approfondi des aspects scientifiques mais aussi éthiques du projet. L’aspect transversal de ces recherches, souvent accessibles uniquement à de grandes équipes, et la lourdeur administrative rendent ces demandes encore rares. Toutefois, environ 60 % des couples qui n’ont plus de projet parental ont fait le choix de donner leurs embryons à la recherche.

Arrêt de conservation des embryons

La loi de bioéthique de 2004 a introduit la possibilité de mettre fin à la conservation des embryons et a également pris position sur le devenir des embryons lorsque les centres sont sans nouvelle des couples géniteurs ou lorsqu’il y a désaccord au sein du couple. Cependant, ce n’est qu’en 2007 que l’Agence de la biomédecine a clairement notifié, dans un courrier de sa présidente adressé aux professionnels de l’AMP, ce qu’il est convenu de faire en l’absence de réponse des couples concernés et « consultés à plusieurs reprises » selon les termes de la loi du 6 août 2004 et du décret du 22 décembre 2006. Cette note explicite a enfin permis de mettre un terme à la conservation sans but et sans fin d'un nombre important d’embryons et encouragé les centres pour une gestion plus trans- parente de la cryoconservation embryonnaire de longue durée. Néanmoins, malgré le cadre législatif, la pratique montre qu’il est toujours difficile pour les professionnels de mettre un terme à la conservation des embryons qui sont sans nouvelle de leurs couples géniteurs.

UN CHOIX DIFFICILE

Un nombre important d’embryons sont conservés chaque année en France dans le but d’offrir des chances supplémentaires aux couples pris en charge en fécondation in vitro. Néanmoins, un certain nombre d’embryons auront un autre devenir. Destruction, don à un autre couple ou à la recherche, le choix du devenir des embryons congelés est parfois difficile pour les couples tant ces embryons congelés ont été porteurs d’espoir. Informer et accompagner les couples dans cette démar- che est la dernière étape essentielle pour leur permettre de clore le chapitre de l’AMP. V
Références
1. Agence de la biomédecine. Le rapport médical et scientifique de l’assistance médicale à la procréation et de la génétique humaines en France, 2016. www.agence-biomedecine.fr ou https://bit.ly/2t8P7Bw

2. Code de la santé publique, art L 2141-4. www.legifrance.gouv.fr ou www.agence-biomedecine.fr (rubrique « tous les textes juridiques » ; L’ensemble des textes législatifs et réglementaires concernant l’accueil d’embryons sont disponibles sur le site de l’agence de la biomédecine [https://bit.ly/2lmVexT] ainsi que le Guide de recommandation de bonnes pratiques en accueil d’embryons [https://bit.ly/2JN1VI1]).

3. Dreifuss-Netter F. Aspects législatifs de l’accueil d’embryons. Med Reprod Gynecol Endocrinol 2008;10:21-3. https://bit.ly/2MDQr7j

4. Bruno C, Mandelbaum J. L’accueil d’embryon en France. In : Procréation médecine et don. 2e édition, 2016. Paris : Lavoisier, 2016.

5. Guérin JF. Les problèmes liés à l’organisation de l’accueil d’embryons : le point de vue du praticien « de terrain ». Med Reprod Gynecol Endocrinol 2008;10:24-6. https://bit.ly/2M2huYV

6. Siffroi JP. Tous les embryons peuvent-ils être donnés ? Aspects génétiques. Med Reprod Gynecol Endocrinol 2008;10:30-3. https://bit.ly/2I35XWP

7. Bruno C, Dudkiewicz-Sibony C, Berthaut I, et al. Survey of 243 ART patients having made a final disposition decision about their surplus cryopreserved embryos: the crucial role of symbolic embryo representation. Human Reprod 2016;31:1508-14.

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