Avec l’augmentation de l’espérance de vie et les progrès thérapeutiques, le nombre de diabétiques âgés, notamment au-delà de 80 ans, s’accroît. La prise en charge est difficile, car les complications de la maladie et du vieillissement s’aggravent mutuellement et favorisent la perte d’autonomie. Le médecin généraliste coordonne le parcours de soin de ces patients complexes.
Une évaluation gérontologique est indispensable pour individualiser les objectifs glycémiques de ces sujets souvent fragiles, mais aussi pour prendre en compte leur environnement social et familial.

Prévalence et incidence en hausse

La prévalence, de 5 % en 2016, augmente régulièrement. Elle croît avec l’âge, et un pic est observé chez les femmes entre 80 et 84 ans et chez les hommes entre 70 et 79 ans.
Un homme sur 5 âgé de 70 à 85 ans et 1 femme sur 7 entre 75 et 85 ans étaient traités pharmacologiquement pour un diabète en 2016 en France.1
L’étude Entred, en 2007, avait également mis en évidence une augmentation de l’incidence chez les sujets âgés :2 le diag­nostic était porté depuis moins de 5 ans chez 15 % des plus de 80 ans.
Ainsi le médecin généraliste est amené à prendre en charge quotidiennement des diabétiques de plus de 80 ans soit pour un suivi classique, soit à l’occasion d’un événement intercurrent. Quel que soit le motif de consultation, il est nécessaire de réévaluer régulièrement l’état général de ces patients.

Comment évaluer la fragilité ?

Selon la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) en 2011, « c’est un syndrome clinique qui reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve et altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux ».
Il s’agit donc d’une vulnérabilité à la fois médicale et sociale. L’identifier permet de prévenir les complications, source de perte d’autonomie, et d’adapter objectifs glycémiques et moyens thérapeutiques.
La fragilité est définissable de plusieurs manières, mais classiquement, elle est retenue lorsqu’au moins 3 des 5 critères de Fried sont retrouvés :3
– perte de poids de plus de 4,5 kg (ou de plus de 5 % du poids initial) depuis 1 an ;
– épuisement ressenti par le patient ;
– vitesse de marche ralentie ;
– baisse de la force musculaire ;
– sédentarité.
Rockwood propose une approche plus large, intégrant cognition, humeur, motivation, motricité, équilibre, capacité pour les activités de la vie quotidienne, nutrition, condition sociale et comorbidités.4 L’échelle Short Emergency Geriatric Assessment (SEGA) est facile à remplir par toutes les personnes intervenant auprès du patient. Une grille de dépistage en médecine générale est également disponible (tableau 1).

Dépister la dénutrition

La Société francophone du diabète (SFD) a publié en 2014 un référentiel de bonnes pratiques sur la nutrition et la diététique des diabétiques de type 2.5 Dans ce texte, l’alimentation des patients âgés de plus de 75 ans est envisagée de façon spécifique.
Ainsi, il est recommandé de prendre en compte l’âge physiologique, les patho­logies associées, les conditions sociales, le degré d’autonomie et l’état bucco- dentaire. La priorité est d’éviter les hypo­glycémies, et de dépister et traiter une dénutrition. Son risque de survenue est faible chez les sujets vigoureux mais augmente avec le degré de fragilité et de dépendance.
Les hypoglycémies du diabétique âgé, outre les signes classiques, peuvent se manifester de façon trompeuse : chutes confusion, ou troubles du comportement. Celles survenant la nuit induisent des troubles du sommeil, une agitation, des cauchemars, des sueurs nocturnes ou une asthénie inexpliquée au réveil. Enfin, certains patients ne les perçoivent plus.
La HAS a remis à jour son référentiel concernant le diagnostic de dénutrition6 (tableau 1). La mesure du poids doit être systématique à chaque consultation.
La détecter conduit à rechercher et corriger les facteurs de risque : nécessité d’une aide pour l’alimentation, état bucco-dentaire, médicaments et/ou régimes inadaptés, pathologie(s) sous-jacente(s) non ou mal traitée(s). La prise en charge nutritionnelle est d’autant plus efficace qu’elle est précoce.
Un dépistage régulier est donc indispensable, et l’accent doit être mis auprès des patients, de leur famille et des soignants sur le caractère néfaste des régimes restrictifs.

Troubles cognitifs : fréquents et précoces

Maladie d’Alzheimer, démences vasculaires et mixtes sont à redouter. Les patients diabétiques ont 56 % de risque de développer un Alzheimer et 127 % une démence vasculaire.7 Ces troubles cognitifs sont souvent méconnus, comme l’a démontré l’étude française Gérodiab.7
Cette cohorte observationnelle visait à décrire la mortalité et la morbidité à 5 ans de 987 diabétiques résidant en France, âgés de 70 ans et plus et autonomes. Selon les investigateurs, lors de l’inclusion, 11 % des patients souffraient de troubles cognitifs et 3 % d’une démence. Les résultats du Mini-Mental State Examination (MMSE), réalisé de façon systématique, montraient un score inférieur à 25/30 (pathologique) dans 28,7 % des cas.8
Un dépistage systématique est donc nécessaire, comme préconisé dans la dernière prise de position de la SFD.9
La dépression, complication fréquente et intriquée avec les troubles cognitifs, complexifie leur dépistage.

Quels objectifs glycémiques ?

Selon la HAS, l’objectif glycémique est individualisé selon 3 types de patients âgés :
– « vigoureux » : bon état de santé, indépendant, bien intégré socialement, autonome d’un point de vue décisionnel et fonctionnel. Il est assimilé aux sujets jeunes. Objectif d’HbA1c ≤ 7 % ;
– « fragile » : état de santé intermédiaire, limitations fonctionnelles motrices et cognitives, capacité d’adaptation diminuée et risque de basculer dans la typologie « malade ». Objectif d’HbA1c ≤ 8 % ;
– « malade » : dépendant, ayant une polypathologie chronique génératrice de handicap et d’isolement social.
Objectif d’HbA1c < 9 %.
Ces catégories ont été reprises avec une modification des objectifs par la Société francophone de diabétologie. Le traitement est pris en compte pour les deux dernières d’entre elles, et les seuils glycémiques se voient fixer des limites inférieures afin d’éviter le risque hypoglycémique (tableau 2) :
– sujets âgés « fragiles » : HbA1c cible < 8,5 % (69 mmol/mol). Borne inférieure : pas moins de 7,5 % (58 mmol/mol) en cas de traitement par glinide, sulfamide ou insuline. Ces valeurs sont modulables selon le degré de fragilité et de dépendance du patient ;
– sujets âgés « dépendants et/ou à la santé très altérée » : HbA1c cible < 9 % (75 mmol/mol) et/ou glycémies capillaires préprandiales comprises entre 1 et 2 g/L. Limite inférieure d’HbA1c : 8 % (64 mmol/mol) et/ou 1,40 g/L pour les glycémies capillaires préprandiales chez les patients traités par glinide, sulfamide ou insuline.

Comment y parvenir ?

Pour la HAS, après les mesures hygiénodiététiques, la metformine est le traitement de première ligne chez le sujet âgé en l’absence de contre-indication et notamment d’une insuffisance rénale.
Surveiller la tolérance et respecter les précautions d’emploi, en particulier en situation d’hypoxie ou d’injection d’iode, évite la survenue d’une acidose lactique.11
Lorsque les objectifs glycémiques ne sont pas atteints, un sulfamide hypo- glycémiant peut être ajouté, là encore après élimination d’une contre-indication (insuffisance rénale).
Le médicament est initié à posologie croissante, avec une vigilance particulière vis-à-vis du risque d’hypoglycémie de fin d’après-midi.
S’il est contre-indiqué, la bithérapie fait appel à un inhibiteur de la DPP4 (gliptines : sitagliptine : Januvia ; vildagliptine : Eucreas ; saxagliptine : Onglyza).
En cas d’échec, l’insulinothérapie utilisant la NPH est indispensable. Les analogues lents de l’insuline sont privilégiés chez les patients à fort risque d’hypo­glycémie.
La stratégie thérapeutique préconisée par la SFD10 diffère de celle de la HAS. Elle prône l’association des inhibiteurs de la DPP4 en cas d’insuffisance de la metformine. Les sulfamides et les glinides sont limités aux sujets en « bonne santé » en raison du risque d’hypoglycémie. Après 75 ans, les GLP-1 RA, analogues du GLP1 (exénatide, liraglutide, dulaglutide, sémaglutide) sont réservés à une minorité de patients, idéalement après avis d’un endocrinologue-diabétologue, compte tenu de leur rapport bénéfices-risques incertain à cet âge. En effet, les effets digestifs (nausées, vomissements, diarrhées) sont plus fréquents dans cette population et peuvent favoriser la dénutrition. De plus, la perte de poids espérée chez les diabétiques en surpoids avec cette classe thérapeutique n’est pas toujours pertinente chez des sujets souvent dénutris.
Pour l’insulinothérapie, les analogues lents sont préférés à la NPH en raison d’un moindre risque d’hypoglycémie et d’une plus faible variabilité glycémique. Pour des raisons économiques, les biosimilaires doivent être prescrits en priorité (par exemple Abasaglar, Lusduna et Semglee, plutôt que Lantus).
La prise en charge de ces patients est impérativement globale. Des mesures sociales et familiales adaptées sont instaurées pour les individus fragiles ou atteints de troubles cognitifs, afin de limiter dénutrition et mauvaise observance. L’adéquation de l’éducation thérapeutique aux possibilités du malade est cruciale et doit impliquer les aidants dès que nécessaire. L’organisation des soins par l’intervention d’une infirmière bien formée à l’adaptation du traitement aux objectifs glycémiques conditionne la qualité de la prise en charge.

Conclusion

Le nombre de diabètes « après 80 ans » augmente, qu’il s’agisse de découverte récente ou au contraire de patients qui ont vieilli avec leur maladie. Ce n’est pas l’âge qui définit la stratégie thérapeutique mais bien la réussite du vieillissement. Le traitement comme chez le sujet plus jeune doit être individualisé et adapté au degré de fragilité des patients. Le généraliste, souvent à l’origine du diag­nostic, les accompagne tout au long du suivi, en repérant les situations nécessitant le recours au spécialiste, telles que déséquilibre, complications cliniques ou passage à l’insuline.

Encadre

Que dire à vos patients ?

Manger de façon équilibrée, proscrire les régimes restrictifs.

Connaître les signes d’hypo-glycémies pour mieux les corriger : sueurs, pâleur, faim, tremblements, sensation de faiblesse, tristesse, agressivité ou euphorie.

Les objectifs de glycémie seront adaptés au cours du temps.

Références

1. Fosse-Edorh S, Mandereau-Bruno L, Piffaretti C. Le poids du diabète en France en 2016. Synthèse épidémiologique. Saint-Maurice: Santé publique France; 2018: 8 p.
2. Pornet C, Bourdel-Marchasson I, Lecomte P, et al. Trends in the quality of care for elderly people with type 2 diabetes: the need for improvements in safety and quality (the 2001 and 2007 ENTRED Surveys). Diabetes Metab 2011;37:152-61.
3. HAS. Comment repérer la fragilité en soins ambulatoires ? Juin 2013.
4. Rockwood K, Song X, MacKnight C, et al. A global clinical measure of fitness and frailty in elderly people. CMAJ 2005;173:489-95.
5. Référentiel de bonnes pratiques. Nutrition et diététique. Diabète de type 2 de l’adulte. Med Mal Metab 2014;8 (hors série 1).
6. HAS. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. Recommandation de bonne pratique. Novembre 2019.
7. Gudala K, Bansal D, Schifano S, Bhansali A. Diabetes mellitus and risk of dementia: A meta-analysis of prospective observational studies. J Diabetes Investig 2013;4:640-50.
8. Doucet J, Le Floch JP, Bauduceau B, Verny C; SFD/SFGG Intergroup.GERODIAB: Glycaemic control and 5-year morbidity/mortality of type 2 diabetic patients aged 70 years and older: 1. Description of the population at inclusion. Diabetes Metab 2012;38:523-30.
9. Darmon P, Bauduceau B, Bordier L, et al. pour la Société francophone du diabète (SFD). Prise de position de la SFD sur la prise en charge médicamenteuse de l’hyperglycémie du patient diabétique de type 2-2019. Med Mal Metab 2019;13:711-32.
10. Subra J, Gillette-Guyonnet S, Cesari M, et al; Platform Team. Intégrer le concept de fragilité dans la pratique clinique : l’expérience du Gérontopôle à travers la plateforme d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance. J Nutr Health Aging 2012;16:714-20.
11. HAS. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. Recommandation de bonne pratique. Janvier 2013.

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essentiel

Une évaluation gérontologique détermine le degré de fragilité.

Les objectifs glycémiques doivent être individualisés et les hypoglycémies absolument évitées.

La metformine est le traitement de première ligne de ces patients.