Durant les études de médecine, nous avons appris que l’altération de l’état général s’évaluait sur les 3A : asthénie, anorexie, amaigrissement. Ce dernier symptôme, associé ou non à de la fièvre, avait une signification forte « signant » une organicité.

De l’importance de la pesée

Est-ce parce que l’asthénie et l’anorexie sont, elles, difficilement mesurables que l’on oublie trop fréquemment de peser les patients pour objectiver l’amaigrissement ? Peser un patient est-il moins noble que lui prendre la tension ? Qui prétendra que le poids d’un patient est une information non pertinente ? Et pourtant combien de consultations se déroulent sans que le patient ne soit pesé ou que son poids ne soit renseigné (ou actualisé) ?

Quelle place pour les analyses biologiques ?

Peser un patient étant devenu désuet, voire dévalorisant, la prise de sang (un vrai truc sérieux) est devenue l’alpha et l’oméga du dépistage et du diagnostic de la dénutrition. Les plus anciens d’entre nous avons connu nombre de tests biologiques de dépistage… Mais « qui trop embrasse mal étreint », le PINI (prognostic inflammatory and nutritional index) associant dosages de la protéine C-réactive (CRP), de l’orosomucoïde, de l’albumine et de la transthyrétine (ou préalbumine), ou le PNI (prognostic nutritional index) associant albuminémie, mesure du pli cutané tricipital, test d’hypersensibilité retardée et dosage de la transferrine sérique, n’ont jamais été utilisés en dehors de la recherche. Le NRI (nutritional risk index, aussi appelé indice de Buzby) associant dosage de l’albumine sérique et variation de poids a été proposé par le Programme national nutrition santé (PNNS),1 mais là encore il fallait peser les patients.
Finalement, les consensus ont proposé de ne mesurer que l’albuminémie et la transthyrétine sérique.2
Mais « chassez le naturel, il revient au galop » : il fallait interpréter ces valeurs en fonction de la présence ou non d’un syndrome inflammatoire.2 Or objectiver une albuminémie basse avec une CRP normale (ce qui permettait d’évoquer une dénutrition) est une situation peu fréquente. En fait, l’albuminémie est très souvent le miroir de la CRP : elle diminue aussi vite que la CRP monte. Cette cinétique de baisse de l’albuminémie n’est pas compatible avec la demi-vie théorique de cette protéine, témoignant soit d’un catabolisme accéléré de l’albumine, soit d’une diffusion extravasculaire de l’albumine. En revanche, la remontée de l’albuminémie est plus lente que la normalisation de la CRP, de sorte qu’observer une albuminémie basse avec une CRP normale est (en dehors d’un syndrome néphrotique ou d’une insuffisance hépatocellulaire) une situation transitoire et finalement assez rare. Pour continuer à utiliser l’albuminémie comme marqueur de dénutrition, il a été proposé de corriger le dosage en fonction de la CRP.3 Cette proposition française n’a pas fait l’objet de travaux de validation et n’a jamais été retenue dans les consensus.

Baisse de l’albuminémie, un critère de sévérité et non de diagnostic

Devant cette incapacité à diagnostiquer sans ambiguïté la dénutrition sur des critères biologiques, les nouveaux critères internationaux (Global Leadership Initiative on Malnutrition [GLIM])4 ou nationaux (Haute Autorité de santé [HAS])5, 6 ne proposent plus de dosage sanguin. Plus exactement, le GLIM ne retient aucun examen biologique, alors que la HAS précise que la baisse de l’albuminémie n’est pas un critère diagnostique, mais reste un critère de gravité. Autrement dit, une fois le diagnostic de dénutrition posé, la HAS reconnaît que l’hypo­albuminémie est un des critères permettant de qualifier la dénutrition de « sévère ». L’utilité de ce dosage est donc limitée aux situations où le diag­nostic de dénutrition est déjà établi mais que les critères cliniques ne sont pas suffisants pour retenir le diagnostic de dénutrition sévère. Le dosage de l’albumine sérique ne doit donc plus être considéré comme un test de dépistage de la dénutrition.

La transthyrétine, marqueur de la prise alimentaire ?

Qu’en est-il de la transthyrétine ? Le groupe de travail de la HAS a été partagé sur l'utilité de son dosage. La transthy­rétine sérique est un bon marqueur de la prise alimentaire. La baisse sévère des ingesta en hospitalisation étant un marqueur pronostique de mortalité,7 il se pourrait qu’il en soit de même pour la transthyrétine, mais ceci demande confirmation. Toutefois, l’utilité du dosa­ge pour la transthyrétine en médecine générale n’étant pas validé, il n’est plus retenu comme un test de dépistage de la dénutrition.

Aucun examen biologique ne remplace la pesée !

Les nouveaux critères de diagnostic de la dénutrition sont principalement centrés sur l’estimation de la masse musculaire.4-6 À ce jour, il n’existe pas d’examen sanguin simple de mesure de la masse musculaire. Cela changera peut-être à l’avenir, mais pour l’instant aucun examen biologique n’est utile pour diag­nostiquer une dénutrition.
Les nouveaux critères imposent que l’on trouve une cause (un critère étiologique) à la dénutrition.4-6 Parmi ces critères, un syndrome inflammatoire (une CRP élevée) est une cause reconnue.
Les dosages sanguins ne sont donc pas devenus inutiles, mais ils ne remplacent pas la pesée du patient. Cet acte médical doit redevenir une routine. Ce n’est qu’une fois la dénutrition cliniquement observée que l’on peut penser aux examens biologiques, qui ont pour seul objectif de qualifier la sévérité de la dénutrition ou de lui trouver une origine. 

Références

1. PNNS. Dénutrition une pathologie méconnue en société d’abondance. Disponible sur : solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/brochure_denutrition.pdf
2. Anaes. Évaluation diagnostique de la dénutrition protéino-énergétique des adultes hospitalisés, 2003. Disponible sur : www.sfncm.org/images/stories/pdf_referenciel/has/9court-evaluation_diagnostique_denutrition_proteino-energetique_adultes_hospitalises.pdf.
3. Unknown. Albumine corrigée en fonction de la CRP. Disponible sur : medicalcul.free.fr/albcrp.html
4. Cederholm T, Jensen GL, Correia M, Gonzalez MC, Fukushima R, Higashiguchi T, et al. GLIM criteria for the diagnosis of malnutrition - A consensus report from the global clinical nutrition community. Clin Nutr 2019;38(1):1-9.
5. HAS. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte, 2019. Disponible sur : www.has-sante.fr/jcms/p_3118872/fr/diagnostic-de-la-denutrition-de-l-enfant-et-de-l-adulte
6. HAS. Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus, 2021. Disponible sur : www.has-sante.fr/jcms/p_3165944/fr/diagnostic-de-la-denutrition-chez-la-personne-de-70-ans-et-plus
7. Hiesmayr M, Schindler K, Pernicka E, Schuh C, Schoeniger-Hekele A, Bauer P, et al. Decreased food intake is a risk factor for mortality in hospitalised patients: the NutritionDay survey 2006. Clin Nutr 2009;28(5):484-91.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés