Objectif
Connaitre les principes de la prise en charge.
Introduction
Les troubles dépressifs constituent une entité nosographique appartenant aux troubles de l’humeur et sont définis par une constellation de symptômes psychologiques et physiques survenant simultanément pendant au moins deux semaines. Selon son mode évolutif, l’épisode dépressif peut être rattaché à deux principales catégories diagnostiques, le trouble dépressif (traité dans ce chapitre) et le trouble bipolaire (traité dans l’item n° 64 « Troubles bipolaires »). La nomenclature des troubles dépressifs a évolué au fil des classifications, la dernière édition du DSM-5 ayant remplacé la terminologie « épisode dépressif majeur » par « épisode dépressif caractérisé » de telle sorte qu’il ne soit pas confondu avec le degré de sévérité de la dépression (léger, modéré, ou sévère).
Aspects épidémiologiques
La dépression est l’affection psychiatrique la plus répandue au monde, avec une prévalence annuelle de 5 % dans la population générale, de 15 à 20 % dans la vie entière. Elle affecte deux fois plus les femmes que les hommes. La dépression est source de coûts (directs et indirects) considérables pour la société et d’un handicap majeur, représentant la première cause mondiale de perte d’années de vie en bonne santé, et le premier motif d’affection de longue durée en psychiatrie.
Le premier épisode dépressif caractérisé peut apparaître à tout âge, indépendamment de l’ethnie ou de la zone géographique, même s’il survient plus fréquemment chez le jeune adulte.
Les troubles dépressifs sont parmi les troubles psychiatriques associés à la plus forte suicidalité, un épisode dépressif caractérisé étant retrouvé chez 30 à 50 % des suicidants et 80 % des personnes décédées par suicide.
Aspects historiques et nosographiques
Si le terme de « dépression » aujourd’hui, dans son usage courant, est défini comme une entité psychopathologique appartenant aux troubles de l’humeur, le terme n’est apparu pour la première fois qu’à la fin du XIXe siècle avec Emil Kraepelin (1889). Auparavant, et ce depuis l’Antiquité, avec Hippocrate, on parlait de mélancolie, de trouble de la bile noire, de neurasthénie, de psychasthénie. Tout au long du XXe siècle, la psychiatrie, dans un souci de clarification et d’homogénéisation nosographique, va s’efforcer de définir avec précision la dépression. Cela a abouti ainsi à l’avènement des critères diagnostiques dans les classifications américaines (DSM-I en 1952) et internationales (CIM 1 en 1948) des maladies mentales qui, dans une quête de simplification et de reproductibilité, vont avoir pour objectif de renforcer la fidélité diagnostique, parfois aux dépens de la validité diagnostique.
Aspects physiopathologiques
Le trouble dépressif est considéré comme ayant des origines multifactorielles, associant une vulnérabilité biologique et des facteurs environnementaux selon le modèle biopsychosocial.
Plusieurs théories explicatives de la dépression se sont succédé au gré des courants psychiatriques dominants. Sans être mutuellement exclusives, elles peuvent être considérées comme étant complémentaires. Sigmund Freud, père du courant psychanalytique, émet en 1917 l’hypothèse selon laquelle la dépression est liée à la perte de l’objet (deuil, séparation, rupture) qui réactive un sentiment d’abandon vécu dans l’enfance.
Les cognitivistes, comme Aaron Beck ou Jeffrey Young, considèrent la dépression comme le résultat de la réactivation à l’âge adulte, lors de l’exposition à des événements traumatiques, de biais cognitifs apparus dans l’enfance, résultant de l’adaptation du système cognitif à des traumatismes (abandon, perte). La théorie neurobiologique, coïncidant avec les découvertes pharmacologiques de Delay et Deniker dans les années 1950, a largement contribué à l’hypothèse mono-aminergique de la dépression, et l’implication de certains neurotransmetteurs dans le cerveau tels que la sérotonine, la dopamine et la noradrénaline dans les mécanismes biologiques de la dépression. Plus récemment, d’autres dysfonctionnements ont été évoqués, comme des troubles de la neurogenèse hippocampique, une hyperinflammation de bas grade ou des anomalies du microbiote intestinal. Dans la littérature, les études d’imagerie cérébrale à large échelle de patients déprimés et le traitement statistique des données volumétriques permettent de mettre en évidence des anomalies structurales non visibles sur une imagerie par résonance magnétique (IRM) anatomique à l’échelle individuelle : au niveau sous-cortical, réduction bilatérale du volume hippocampique, et au niveau cortical, altérations bilatérales dans le cortex préfrontal (médial, orbital, ventral, dorsolatéral), le cortex cingulaire antérieur, les régions temporales (gyrus temporal moyen et inférieur et gyrus fusiforme), et le cortex cingulaire postérieur et l’insula. Cependant, l’atrophie hippocampique reste aspécifique, et de taille d’effet modeste (réduction estimée entre 8 et 20 %).
Sémiologie
Le syndrome dépressif est caractérisé par un ensemble de symptômes regroupés en trois domaines : psychoaffectif, psychomoteur, et instinctuel.
Domaine psychoaffectif
L’humeur dépressive est caractérisée par un sentiment de tristesse envahissant, quasi permanent, douloureux et prolongé, en rupture avec l’état antérieur, centré sur le sujet lui-même, indépendamment des difficultés liées à un événement de vie. À prédominance matinale, l’humeur dépressive tend à s’améliorer au cours de la journée. La tristesse de l’humeur peut être d’intensité légère avec un sentiment de morosité, d’intensité modérée avec un sentiment de vide affectif, et enfin d’intensité sévère avec une douleur morale très forte, inconsolable.
Les émotions à valence positive, associées à l’humeur dépressive, sont atténuées et celles à valence négative sont exacerbées. L’anhédonie, ou l’incapacité à éprouver du plaisir, d’intensité variable, constitue un des trois signes cardinaux, indépendamment de l’humeur dépressive, du diagnostic d’épisode dépressif caractérisé. À l’extrême, l’anhédonie peut être qualifiée d’anesthésie affective. Les émotions négatives comportent surtout de l’anxiété (50 % des dépressions s’accompagnent de signes d’anxiété forte), mais parfois aussi de l’irritabilité, voire des colères mal contrôlables.
Les cognitions dépressives révèlent une altération du contenu de la pensée centrée autour d’une perte d’estime de soi, un sentiment de culpabilité, et un sentiment de pessimisme, de désespoir, aboutissant à l’extrême à des convictions délirantes (dans les « dépressions avec caractéristiques psychotiques » ou « mélancoliques »), respectivement, d’indignité, de damnation, et d’incurabilité. Ces pensées négatives, intrusives, ressassant en boucle dans la conscience de l’individu, sous forme de ruminations anxieuses, amplifient la tristesse de l’humeur et génèrent de l’anxiété, jusqu’à parfois même faire émerger des idées suicidaires et des conduites d’abus d’alcool ou de psychotropes.
Le ralentissement psychomoteur se manifeste au travers d’une lenteur du cours de la pensée (bradypsychie), voire même un monoïdéisme, d’une lenteur du débit de la parole (bradyphémie), d’une voix monocorde (aprosodie), des réponses retardées (latence de réponse), courtes (monosyllabiques) et rares (laconiques), d’une absence de mimique (amimie), d’une rareté du geste (bradykinésie), d’une hygiène négligée (incurie), d’une absence de volonté (aboulie) et d’une perte d’initiative motrice (apragmatisme). Les manifestations les plus graves du ralentissement réalisent le tableau rare mais classique de « mélancolie stuporeuse ». À l’opposé, l’agitation se caractérise par une incapacité à rester en place, des déambulations, et des comportements à risque de raptus anxieux, dont le suicide impulsif. L’asthénie est caractérisée par un abattement physique et psychique intense et prolongé, une plus grande fatigabilité à l’effort, non améliorés par le repos. À l’extrême, elle mène à un alitement éveillé prolongé (clinophilie).
Les troubles cognitifs et exécutifs affectent la mémoire (à court terme, de travail, les stratégies d’encodage et de rappel de la mémoire épisodique), la concentration, l’attention, la flexibilité mentale et la prise de décision.
Domaine instinctuel
Les troubles du sommeil peuvent aller de l’insomnie avec réveil matinal précoce et/ou aux difficultés d’endormissement jusqu’à, plus rarement, l’hypersomnie.
Les troubles de l’appétit et des conduites alimentaires se caractérisent le plus souvent par une perte d’appétit (anorexie) pouvant s’accompagner d’une perte de poids. Plus rarement, on peut observer une augmentation de l’appétit, accompagnée d’une hyperphagie, et d’une prise de poids, en particulier chez les sujets exerçant habituellement un contrôle sur leur alimentation et leur poids.
Les troubles sexuels sont fréquents et se manifestent au travers d’une baisse de la libido, une raréfaction des rapports sexuels et une difficulté à maintenir l’érection chez l’homme.
Les plaintes algiques et fonctionnelles sont de nature diverse. Parmi elles, citons les céphalées (y compris de tension), les dorsalgies, les douleurs abdominales, les constipations, faisant parfois le lit de ruminations anxieuses, voire, à l’extrême, pouvant aller jusqu’à la conviction délirante d’être atteint d’une maladie grave (hypocondrie délirante dans le syndrome de Cotard). Ces plaintes somatiques, aspécifiques, peuvent être l’expression « trompeuse » d’un épisode dépressif caractérisé, en particulier chez le sujet âgé, voire chez des individus issus de certaines croyances ou cultures.
Le trouble dépressif
Diagnostic positif
Le diagnostic de l’épisode dépressif caractérisé est clinique. Il se fonde sur la présence d’au moins cinq symptômes parmi ceux sus-cités, évoluant depuis au moins deux semaines, induisant un changement significatif par rapport au fonctionnement social, professionnel et familial habituel, et non expliqué par toute autre affection médicale ou usage de substances.
Les classifications distinguent plusieurs degrés de sévérité de l’épisode dépressif caractérisé selon le nombre de symptômes, leur intensité et leur retentissement fonctionnel (familial, social, et professionnel) gradués en léger (nombre de symptômes juste suffisants au diagnostic, faible retentissement), modéré (nombre de symptômes intermédiaires, retentissement modéré) et sévère (quasi-totalité des symptômes, retentissement majeur). Il est variable d’un patient à l’autre, et d’un épisode à l’autre chez un même patient.
Les échelles d’évaluation de la sévérité et de l’effet des traitements antidépresseurs tels que le PHQ-9 (Patient Health Questionnaire-9), la HDRS (Hamilton Depression Rating Scale) ou la MADRS (Montgomery and Åsberg Depression Rating Scale) peuvent, en complément de l’évaluation clinique, être employés dans le suivi du patient.
Diagnostic différentiel
Face à un syndrome dépressif, il est fondamental d’éliminer tout autre diagnostic psychiatrique ainsi que toute étiologie médicale non psychiatrique (organique, iatrogène et toxique).
Parmi les diagnostics différentiels psychiatriques, citons le trouble de l’adaptation dont la durée et l’intensité des symptômes réactionnels à un événement de vie ne suffisent pas à poser un diagnostic d’épisode dépressif caractérisé. La distinction entre tous les états de baisse de moral ou de détresse passagers et un véritable syndrome dépressif est importante, notamment pour ne pas prescrire en excès des traitements antidépresseurs (même si tous les états de souffrance doivent faire l’objet d’une évaluation et possiblement d’une aide psychologique). Il faut écarter également, ou rechercher dans le cadre d’une comorbidité, les troubles anxieux, dont le trouble anxieux généralisé (absence d’anhédonie et de cognitions dépressives), le trouble d’anxiété sociale (retrait social motivé par la crainte du jugement de l’autre), le stress post-traumatique (avec syndrome de répétition d’un événement traumatique) ; les troubles schizophréniques et délirants persistants (en cas de symptômes psychotiques associés) ; et les troubles de la personnalité (dont le trouble « borderline »). La recherche d’antécédents d’épisode maniaque ou hypomaniaque est essentielle pour poser un diagnostic éventuel de trouble bipolaire.
Parmi les étiologies non psychiatriques, il faut éliminer surtout les causes neurologiques (tumeurs cérébrales, épilepsie, traumatismes crâniens, sclérose en plaques, accident vasculaire cérébral, maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer) et endocriniennes (hypothyroïdie, syndrome de Cushing, diabète, hyperparathyroïdie). Les causes iatrogènes (antihypertenseurs, corticoïdes, interféron alpha, neuroleptiques) peuvent induire un syndrome dépressif, tout autant que l’usage et le sevrage de substances psychoactives tels que l’alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne, les amphétamines. Lors d’un premier épisode, toute étiologie non psychiatrique est recherchée par la réalisation d’un examen clinique minutieux et d’un bilan paraclinique sanguin (numération formule sanguine [NFS]-plaquettes, ionogramme, créatinine, calcium, protéine C-réactive [CRP], TSHus, bilan hépatocellulaire), urinaire (recherche de toxiques) et imagerie cérébrale (tomodensitométrie [TDM] ou IRM, électroencéphalogramme [EEG]) devant un tableau sévère ou des signes d’appel.
Évolution
La durée médiane d’un épisode dépressif caractérisé est d’environ trois mois. Par conséquent, l’évolution spontanée est favorable à court terme dans la moitié des cas, ce qui permet de surseoir à la mise en place d’emblée d’un traitement dans le cas d’épisode léger à modéré d’apparition récente. En revanche, au-delà de 3 mois d’évolution, le pronostic est conditionné par la précocité du traitement instauré. En effet, celui-ci permet l’obtention d’une rémission dans un tiers des cas après une première ligne d’antidépresseur, et de 50 % après une deuxième ligne d’antidépresseur. Environ un tiers des cas développeront une résistance au traitement (à au moins deux lignes d’antidépresseurs de classes différentes prescrites à posologie efficace pendant une durée de 6 à 8 semaines).
L’objectif du traitement est d’obtenir une rémission complète, c’est-à-dire une absence de symptômes pendant au moins deux mois. Si les symptômes réapparaissent durant cette période, on parle de rechute (du même épisode), au-delà, on parle de récidive (d’un nouvel épisode). Si des symptômes hypomaniaques ou maniaques apparaissent durant le traitement, on parle de virage de l’humeur. Dans la moitié des cas, l’épisode dépressif évolue favorablement vers une rémission complète, sans récidive ni rechute, alors que dans 35 % des cas il récidive à une fréquence variable (trouble dépressif caractérisé récurrent), et dans 15 % des cas il se chronicise sur une durée minimale de deux ans (trouble dépressif persistant).
Les principales complications et conséquences du trouble dépressif sont le risque suicidaire, qui est 30 fois supérieur à celui de la population générale, le développement de formes récidivantes, résistantes, chroniques, et de comorbidités psychiatriques et addictologiques favorisant la désinsertion socioprofessionnelle et un handicap majeur.
Formes cliniques
Au-delà de la distinction des trouble dépressifs selon différentes formes cliniques (sus-citées) en fonction de leur répétition et de leur durée, le DSM-5 précise certaines caractéristiques cliniques de l’épisode dépressif ayant une incidence sur l’attitude thérapeutique et le pronostic. On ne développera dans ce paragraphe que les trois principales.
Épisode dépressif caractérisé avec caractéristiques mélancoliques
Il s’agit d’un épisode dépressif d’intensité particulièrement sévère, à prédominance matinale, avec une douleur morale, une franche anhédonie, une anesthésie affective, un désespoir profond, une incurabilité, une indignité, une culpabilité excessive ou inappropriée, un ralentissement psychomoteur allant parfois jusqu’au mutisme, des réveils précoces et un risque suicidaire élevé indiquant alors un traitement par électroconvulsivothérapie (ECT).
Épisode dépressif caractérisé avec caractéristiques catatoniques
On observe un tableau marqué par des troubles psychomoteurs (catalepsie, stupeur, négativisme, stéréotypies) associés plus ou moins à des troubles neurovégétatifs (catatonie maligne). À noter que dans plus de 60 % des cas la catatonie est d’étiologie non psychiatrique, et que les troubles de l’humeur représentent la principale étiologie psychiatrique, devant les troubles psychotiques. Le diagnostic clinique est facilité par la passation d’une échelle de Bush-Francis, et la prise en charge spécifique fait appel aux benzodiazépines et à l’ECT.
Épisode dépressif caractérisé avec caractéristiques psychotiques
Autrefois appelé mélancolie délirante ou dépression psychotique, on en distingue deux sous-types : avec caractéristiques psychotiques congruentes et non congruentes à l’humeur (thématique du contenu des idées délirantes et des hallucinations, respectivement, en lien [idées de ruine, indignité] ou sans lien [idées mystiques] avec les cognitions dépressives). Les recommandations stipulent l’adjonction d’un traitement antipsychotique au traitement antidépresseur, voire un traitement par électroconvulsivothérapie dans les formes cliniques sévères telles que le syndrome de Cotard (négation d’organes, immortalité, damnation).
Prise en charge
Évaluation diagnostique et orientation
La stratégie de prise en charge repose sur l’évaluation initiale des caractéristiques cliniques de la dépression, des comorbidités, de l’anamnèse et l’entourage du patient. En effet, le bilan clinique consiste, tout d’abord, à déterminer la durée, l’intensité, la sévérité, le risque suicidaire, les complications organiques et les spécifications cliniques du trouble dépressif, puis à rechercher des comorbidités psychiatriques et addictologiques personnelles et familiales, mais aussi à faire le recueil des antécédents d’épisode maniaque, des événements de vie traumatique, des facteurs de risque psychosociaux, des traitements antérieurs et enfin évaluer la qualité du fonctionnement et de l’étayage socioaffectif. Cette évaluation clinique minutieuse, agrémentée si nécessaire d’informations complémentaires auprès de l’entourage après accord du patient, guide le choix de l’orientation de la prise en charge en ambulatoire ou en hospitalisation.
L’hospitalisation est une modalité de soins à privilégier dans les situations où le risque suicidaire est élevé, les formes cliniques sévères (en intensité, ou en présence de caractéristiques mélancoliques, psychotiques, catatoniques, atypiques) et les formes cliniques récurrentes ou résistantes. L’hospitalisation peut aussi être envisagée en cas d’échec du traitement en ambulatoire, d’isolement socioaffectif, d’association à des comorbidités psychiatriques, ou encore de nécessité de séparation d’un environnement considéré comme aggravant.
Selon la capacité du patient à adhérer et à consentir au projet de soins en hospitalisation psychiatrique, celle-ci aura lieu en soins librement consentis, la recherche active du consentement éclairé et de l’alliance thérapeutique étant privilégiée. En cas d’incapacité de consentir, et de la nécessité de soins immédiats, le recours aux soins sans consentement selon les dispositions légales de la loi du 5 juillet 2011 du code de la santé publique, relatives aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques, sera engagé. Si l’état somatique du patient est considéré instable ou l’état général altéré, l’hospitalisation est à privilégier en service de médecine en coordination avec une équipe de liaison psychiatrique.
En l’absence d’hospitalisation, dans les formes légères à modérées, la prise en charge en ambulatoire consistera à évaluer régulièrement l’évolution du tableau clinique, la réponse aux traitements, le potentiel suicidaire et l’orientation des soins.
Traitement psychothérapeutique
Les psychothérapies sont recommandées en monothérapie dans les formes légères de dépression, et en association avec le traitement médicamenteux, dans les formes modérées et sévères. Parmi les différents courants desquels sont issues les techniques de psychothérapie, les thérapies cognitives et comportementales et les thérapies interpersonnelles rassemblent les niveaux de preuve les plus élevés.
Thérapies cognitives et comportementales (TCC)
Développées en France à partir des années 1970, leur efficacité est démontrée par les essais cliniques randomisés et contrôlés. Le principe est fondé sur l’identification et la correction de biais cognitifs et comportementaux chez le patient, acquis par conditionnement, en réponse à des événements antérieurs apparus dans des situations similaires. La première phase du traitement est plutôt fondée sur « l’activation comportementale », qui consiste en une reprise progressive d’activités permettant de lutter contre l’apragmatisme, l’anhédonie et l’autodévalorisation. La seconde phase porte sur les schémas cognitifs dépressogènes et se prolonge par un travail spécifique sur la prévention des rechutes. De nouvelles méthodes utilisant la méditation de pleine conscience ont également montré leur efficacité dans la prévention des récidives.
Thérapies interpersonnelles
Elles appartiennent aux thérapies brèves, le nombre de séances est fixé à l’avance, variant entre 12 et 20 séances réparties sur 3 à 4 mois. Elles sont fondées sur le déséquilibre des relations interpersonnelles (conflits, deuil, séparation) pouvant être à l’origine du trouble dépressif.
Thérapie de soutien
Il s’agit d’une psychothérapie non structurée, non théorisée, non codifiée et d’utilisation la plus répandue, toutes pathologies psychiatriques (et non psychiatriques) confondues. Elle est fondée sur le soutien et l’écoute active du patient dans le vécu de son trouble, l’amélioration de l’estime de soi, le renforcement positif de ses ressources et de ses capacités d’adaptation, ainsi que les bénéfices et l’observance du traitement dans une dimension réflexive et directive de conseils et d’explications.
Thérapie psychanalytique (ou psychodynamique)
Pratiquée selon des modalités adaptées (psychothérapie d’inspiration psychanalytique), elle est fondée sur les principes théoriques définis historiquement par Sigmund Freud. Particulièrement adaptée aux patients souhaitant comprendre leur fonctionnement psychique, investis durablement dans la thérapie et dotés d’une bonne capacité d’introspection, elle a pour objectifs principaux l’identification et la résolution de conflits inconscients, et l’aménagement des mécanismes de défense. L’efficacité de cette approche est moins bien établie que celles des thérapies cognitivo-comportementales (TCC).
Traitement pharmacologique
Traitement antidépresseur
Les antidépresseurs sont regroupés en cinq classes : les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA), les imipraminiques (tricycliques ou non), les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO).
En l’absence de différence significative démontrée en termes d’efficacité entre les différentes classes de traitement antidépresseur, le choix de la prescription du médicament est guidé par le profil de tolérance, les comorbidités psychiatriques et non psychiatriques, les interactions médicamenteuses, l’antériorité d’efficacité, le potentiel de toxicité en cas de surdosage, la simplicité de prescription à dose efficace et le coût.
Non recommandés dans les formes légères de dépression, les antidépresseurs sont indiqués dans les formes modérées et sévères, en association avec la psychothérapie. Les ISRS, les IRSNA ou un médicament de la classe des « autres antidépresseurs » (parmi lesquels la miansérine, la mirtazapine, la vortioxétine) sont recommandés en première intention en raison de leur meilleur profil de tolérance. Les imipraminiques sont recommandés en deuxième intention, ou d’emblée dans les formes mélancoliques, en raison de leur mauvais profil de tolérance cardiaque et général. Les IMAO sont recommandés en dernière intention, en raison de leurs interactions médicamenteuses et alimentaires.
En cas d’insuffisance ou de non réponse au traitement, plusieurs stratégies thérapeutiques séquentielles se justifient : la réévaluation posologique, la vérification de l’observance médicamenteuse (dosage sanguin), le changement de traitement antidépresseur (même classe ou classe différente), l’association de deux antidépresseurs en « add-on », la potentialisation par un thymorégulateur (lithium), un antipsychotique de seconde génération, ou une hormone thyroïdienne, voire une alternative non médicamenteuse.
Traitement physique
Électroconvulsivothérapie (ECT)
Elle représente une alternative thérapeutique intéressante dans diverses situations cliniques : en cas d’échappement ou de résistance thérapeutique, en cas d’intolérance ou d’aggravation de l’état clinique du patient sous traitement, en cas de formes sévères de dépression (mélancoliques, catatoniques, psychotiques) ou en cas de pronostic vital engagé (risque suicidaire, altération de l’état général, déshydratation, dénutrition). La stratégie thérapeutique consiste habituellement en la mise en œuvre, après la réalisation d’un bilan préthérapeutique et d’une consultation anesthésique, d’un traitement d’attaque (cure d’une douzaine de séances, au rythme de trois séances par semaine), puis d’un traitement de consolidation, puis éventuellement d’un traitement d’entretien pendant plusieurs mois afin de prévenir le risque de rechute ou récidive dépressive. Sous anesthésie générale de courte durée, elle consiste à provoquer une crise convulsive généralisée après l’application d’un courant électrique transcrânien, sous surveillance clinique et électroencéphalographique.
Relativement bien tolérée, en dehors des risques anesthésiques, des troubles mnésiques réversibles et de la confusion postcritique, l’ECT est contre-indiquée en cas d’hypertension intracrânienne (HTIC) avec un risque d’engagement cérébral.
D’autres traitements physiques sont disponibles mais avec des effets moins bien établis que ceux de l’ECT, notamment la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS), qui peut constituer une option dans certaines dépressions résistantes.
POINTS FORTS À RETENIR
Troubles dépressifs
➥ Syndrome dépressif
• Humeur dépressive et perte d’intérêt et/ou de plaisir (anhédonie).
• Perte d’énergie (asthénie).
• Ralentissement psychomoteur (bradyphémie/psychie, hypomimie) ou agitation.
• Troubles de l’appétit (hypo-/anorexie) et du sommeil (insomnie ou hypersomnie).
• Troubles des cognitions (dévalorisation, voire culpabilité).
• Troubles cognitifs (attention, mémoire, exécution, concentration).
• Idées suicidaires.
➥ Épisode dépressif caractérisé (EDC)
• Présence d’un syndrome dépressif presque tous les jours, en permanence, pendant au moins deux semaines.
• Associé à une souffrance clinique et un retentissement fonctionnel (familial, social et professionnel).
• En l’absence de toute étiologie organique ou toxique pouvant mieux expliquer la symptomatologie.
• Ne répondant pas aux critères de schizophrénie ou d’un trouble délirant persistant.
• En l’absence d’antécédent d’épisode maniaque ou hypomaniaque.
• D’intensité légère, modérée, ou sévère.
• Formes cliniques : avec caractéristiques mélancoliques, psychotiques (congruentes ou non à l’humeur), catatoniques, atypiques, anxieuses, mixtes, avec début durant le péri-partum.
➥ Troubles dépressifs
• Trouble dépressif caractérisé isolé, récurrent, persistant, induit par une substance ou un médicament, dû à une autre affection médicale, dysphorique prémenstruel, disruptif avec dysrégulation émotionnelle.
• Troubles bipolaires.
Prise en charge
➥ EDC d’intensité légère
• Psychothérapie en première intention.
➥ EDC d’intensité modérée à sévère
• Traitement antidépresseur.
• Durée du traitement : ≥ 4-6 semaines pour évaluer l’efficacité dans la dépression ; ≥ 6 mois-1 an si efficacité, voire au long cours si ≥ 3 épisodes ou 2 sévères.
• Sans urgence : rechercher l’alliance thérapeutique qui conditionne l’observance médicamenteuse.
• Ne protège pas du risque suicidaire à court terme.
• Contre-indiqué en cas de trouble bipolaire non traité.
• En une prise par jour, le soir si effet sédatif.
• Pas d’association systématique d’un anxiolytique, à apprécier en fonction du niveau d’anxiété et avec les précautions d’usage.
• Arrêt progressif (surtout pour les demi-vies courtes : paroxétine et venlafaxine).
• Associé à une psychothérapie spécifique (ou de soutien par défaut).
• Surveillance clinicobiologique efficacité, tolérance et risque suicidaire.
➥ EDC avec caractéristiques psychotiques/mélancoliques/catatoniques
• Antidépresseur + antipsychotique et/ou ECT.
Choix du médicament
➥ Absence de preuve scientifique de la supériorité d’une classe, donc algorithme décisionnel principalement guidé par le profil de tolérance
• ISRS/inhibiteurs α2 (et 5-HTR) => IRSNA => tricycliques => IMAO.
• Sauf si antériorité documentée de réponse à une molécule donnée.
➥ Autres éléments
• EDC d’intensité sévère : venlafaxine (autorisation de mise sur le marché spécifique), voire tricycliques en première intention.
• Comorbidité psychiatrique, notamment trouble anxieux, troubles obsessionnels et compulsifs (TOC) ou troubles du comportement alimentaire (TCA).
➥ Associations
• Anxiolytiques si recrudescence anxieuse (avec arrêt rapide).
• Hypnotiques si insomnie (avec arrêt rapide).
• Neuroleptiques à visée sédative si risque suicidaire ou agitation psychomotrice, neuroleptiques à visée antipsychotique si caractéristiques psychotiques.
• Ne pas associer d’antidépresseurs en 1re intention.
Électroconvulsivothérapie
➥ Efficacité à 85 %, contre 67 % après quatre lignes d’antidépresseurs
➥ Risque anesthésique, risque d’engagement si HTIC (contre-indication), risque confusionnel et amnésique (réversibles)
➥ Bilan pré-ECT
➥ Suspension benzodiazépines, anticonvulsivants, lithium, clozapine, antidépresseurs car risque de perturber le déroulement de la crise ou d’aggraver le syndrome confusionnel
➥ Anesthésie générale de courte durée, curarisation, crise convulsive généralisée tonicoclonique provoquée par choc électrique (bitemporal), sous contrôle EEG
➥ Indications
• Formes résistantes au traitement antidépresseur.
• En cas de contre-indication ou mauvaise tolérance au traitement antidépresseur.
• Formes cliniques sévères avec caractéristiques mélancoliques ou catatoniques ou suicidaires.
• Dépression bipolaire avec risque de virage maniaque élevé.
Critères diagnostiques d’un épisode dépressif caractérisé selon le DSM-5
A. Au moins cinq des symptômes suivants sont présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et représentent un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit (1) une humeur dépressive, soit (2) une perte d’intérêt ou de plaisir.
1. Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours, signalée par la personne (ex. : se sent triste, vide ou sans espoir) ou observée par les autres (ex. : pleure) (NB : éventuellement irritabilité chez l’enfant ou l’adolescent).
2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités quasiment toute la journée, presque tous les jours (signalée par la personne ou observée par les autres).
3. Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime (ex. : modification du poids corporel excédant 5 % en 1 mois) ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours (NB : chez l’enfant, prendre en compte l’absence de prise de poids attendue).
4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
5. Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement).
6. Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours.
7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se reprocher ou se sentir coupable d’être malade).
8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observée par les autres).
9. Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis, tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
B. Les symptômes induisent une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
C. L’épisode n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance ou à une autre affection médicale.
D. La survenue de l’épisode dépressif caractérisé n’est pas mieux expliquée par un trouble schizoaffectif, une schizophrénie, un trouble schizophréniforme, un trouble délirant ou d’autres troubles spécifiés ou non spécifiés du spectre de la schizophrénie, ou d’autres troubles psychotiques.
E. Il n’y a jamais eu auparavant d’épisode maniaque ou hypomaniaque.
Antidépresseurs indiqués dans la dépression et leur profil de tolérance
Médicaments cités dans les références
ISRS : citalopram, escitalopram, fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, sertraline.
IRSNA : milnacipran, venlafaxine, duloxétine.
Imipraminiques : clomipramine, amoxapine, amitriptyline, maprotiline, dosulépine, doxépine, trimipramine, imipramine.
IMAO non sélectifs : iproniazide (indisponible), phénelzine ou tranylcypromine (en ATU nominatives).
IMAO sélectifs A : moclobémide.
« Autres antidépresseurs » : miansérine, mirtazapine, tianeptine, agomélatine, vortioxétine.
Effets indésirables et contre-indications
Céphalées, troubles digestifs, tremblements, troubles de la libido, recrudescence anxieuse, levée d’inhibition psychomotrice, hyponatrémie sur syndrome inapproprié de sécrétion d’hormone antidiurétique (SIADH), allongement du QT (escitalopram, citalopram), syndrome sérotoninergique, risque de sevrage à l’arrêt pour les molécules à demie-vie courte (paroxétine, sertraline, venlafaxine), risque d’interactions médicamenteuses (fluvoxamine, fluoxétine, paroxétine), une hyperactivation noradrénergique (HTA, tachycardie, troubles du rythme) avec les IRSNA, et un risque d’atteinte hépatique (duloxétine).
Aucune contre-indication formelle.
Prise de poids, abaissement du seuil épileptogène, effets anticholinergiques (sécheresse buccale, constipation, rétention d’urine, confusion, trouble de l’accommodation, trouble de la conduction cardiaque avec allongement du QT, et hypotension orthostatique).
ECG à l’instauration et aux changements de posologie.
Contre-indications : glaucome par fermeture d’angle, hypertrophie bénigne de la prostate, pathologie cardiaque décompensée (infarctus du myocarde récent, insuffisance cardiaque, angor instable, trouble de la conduction ou du rythme).
Risque de crise hypertensive, ne jamais prescrire avec un autre traitement antidépresseur, risque de syndrome sérotoninergique (confusion, agitation, myoclonies, tremblements, sudation, frissons, fièvre, hypertension artérielle, tachycardie, mydriase, diarrhée), nécessité d’un régime pauvre en tyramine (charcuterie, alcool, fromage).
Contre-indication en cas de pathologie cardiaque décompensée
Miansérine, mirtazapine : somnolence, sédation, prise de poids, leucopénie, convulsions, arthralgies, myalgies.
Tianeptine (prescription soumise à la réglementation des produits listés comme stupéfiants) : abus, dépendance, insomnie, troubles digestifs, hypotension orthostatique, effets anticholinergiques.
Agomélatine : risque d’hépatite, de pancréatite, de rhabdomyolyse, myalgies, irritabilité, cauchemars, insomnies. Nécessité d’un bilan hépatique à l’initiation et surveillance régulière. Contre-indication en cas de transaminases > 3N, d’insuffisance hépatique, ou chez les sujets âgés de plus de 75 ans.
Vortioxétine et eskétamine : peu de recul.
Haute Autorité de santé. Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours. Recommandations de bonne pratique, 2017.
Référentiel de psychiatrie et addictologie, 2e édition révisée, 2016.
Manuel de psychiatrie, 3e édition, Julien-Daniel Guelfi et Frédéric Rouillon, Elsevier Masson, 2017.