Diagnostiquer une diarrhée aiguë
Définition
Étiologie des diarrhées aiguës (tableau 1)
En dehors de ces causes infectieuses, une diarrhée aiguë peut être d’étiologie allergique (allergie aux protéines du lait de vache), toxique (champignons, végétaux vénéneux, poissons) ou iatrogène (antibiotiques, laxatifs), voire constituer la première manifestation révélatrice d’une maladie chronique inflammatoire (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn), fonctionnelle (colopathie spasmodique), tumorale ou endocrinienne.
Diagnostiquer un état de déshydratation
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge
Diagnostic de gravité
Gravité liée au symptôme
Les signes de choc hypovolémique sont recherchés : tachycardie et polypnée, teint pâle, gris ou cyanosé, marbrures et allongement du temps de recoloration cutanée, extrémités froides, et troubles de conscience qui peuvent débuter par un état d’agitation. L’hypotension artérielle est un signe tardif en raison de l’importance de la réponse vasoconstrictrice.Gravité liée à la cause
Les infections à rotavirus, notamment lors du premier épisode de gastro-entérite aiguë, sont responsables des déshydratations les plus graves chez les jeunes nourrissons en raison d’une diarrhée profuse, de vomissements dans 75 % des cas et fréquemment d’une fièvre. Certains germes peuvent être responsables de tableaux infectieux sévères : fièvre importante, douleurs abdominales, selles sanglantes, état général altéré, voire signes neurologiques au premier plan (Shigella, Salmonella typhi). Les E. coli, producteurs de shigatoxine, peuvent être responsables du syndrome hémolytique et urémique. Clostridium difficile est responsable de diarrhées sévères chez les patients atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin ou de cancers.Gravité liée au « terrain »
Elle résulte d’un risque accru de déshydratation ou de décompensation d’une maladie chronique : âge < 6 mois, antécédent de prématurité ou de retard de croissance intra-utérin, dénutrition, iléostomie, maladie de Hirschsprung, déficit immunitaire, mucoviscidose, drépanocytose, maladie métabolique, diabète, insuffisance surrénale, insuffisance rénale chronique.Diagnostic étiologique
Aucun examen n’est nécessaire au diagnostic de diarrhée aiguë ou de gastro-entérite aiguë. La coproculture est réalisée à visée étiologique en cas de diarrhée glairo-sanglante, associée en cas de retour d’un voyage à risque à un examen parasitologique des selles et/ou un frottis-goutte épaisse. Des hémocultures sont réalisées en cas de fièvre élevée, de frissons, d’enfant paraissant septique. Les recherches virales dans les selles ne sont utiles que dans le cadre d’études épidémiologiques ou de l’analyse d’infections nosocomiales.
Prise en charge
Réhydratation
La réhydratation orale constitue le traitement essentiel d’une diarrhée aiguë sans signes de gravité et repose sur l’administration de solutés de réhydratation orale d’osmolarité réduite (50/60 mmol/L de Na+) qui réduit le volume des selles et la fréquence des vomissements. La réhydratation orale doit être précisément expliquée aux parents pour être efficace.En cas d’échec (vomissements persistants malgré un fractionnement bien conduit des prises), la réhydratation par solutés de réhydratation orale administrée en débit continu par une sonde nasogastrique doit être proposée, de préférence à la réhydratation intraveineuse chez les enfants ne présentant ni état de choc, ni troubles de conscience, ni iléus paralytique, et en l’absence de malformation ORL. Elle permet d’éviter un prélèvement veineux, entraîne moins de complications tout en permettant une durée de séjour plus courte. Il n’existe pas de consensus sur le débit à passer par la sonde gastrique. Le protocole le plus utilisé comporte l’administration de 40 à 50 mL/kg sur les 3 à 6 premières heures.
La réhydratation intraveineuse est prescrite en relais de la correction d’un choc hypovolémique, en cas de déshydratation avec altération de l’état de conscience ou acidose importante, ou en cas d’échec de la réhydratation entérale (orale ou nasogastrique) se manifestant par une aggravation de la déshydratation, la persistance des vomissements, ou l’épuisement de l’enfant, enfin en cas de distension abdominale majeure ou de suspicion d’affection chirurgicale. La réalisation d’un prélèvement sanguin pour ionogramme sanguin, avec glycémie, protidémie, urée, créatininémie et CO2 total veineux n’est indiquée qu’en cas de nécessité de réhydratation intraveineuse, dans le même temps que la pose de l’accès veineux. L’objectif est une éventuelle adaptation du contenu de la perfusion. Ces examens et notamment la connaissance de la natrémie sont inutiles en cas de réhydratation orale. Le soluté de perfusion comporte chez les nourrissons du sérum glucosé et des concentrations de NaCl au moins égales à 4,5 g/L dans les 24 premières heures pour prévenir une hyponatrémie, éventuellement ajustées en fonction de la natrémie initiale. Du chlorure de potassium est ajouté après que l’enfant a uriné, et ajusté au résultat de la kaliémie. Les protocoles de réhydratation rapide permettent une hospitalisation de courte durée. La détermination a priori d’un débit de perfusion pour 24 heures est impossible. Le débit initial de perfusion doit notablement dépasser les besoins hydriques de base de l’enfant pour couvrir également les besoins liés à la poursuite éventuelle des pertes digestives et corriger progressivement l’état d’hydratation. Ce débit doit être réajusté rapidement dès les 4 à 6 premières heures en fonction de l’évolution de l’état d’hydratation de l’enfant (signes cliniques et reprise de poids), et de la persistance ou non de la diarrhée et des vomissements. Les variations de poids successives sur la même balance à quelques heures d’intervalle peuvent aider à cet ajustement (contrairement à la perte de poids estimée pour le diagnostic de déshydratation, reposant sur des poids anciens et imprécis sur des balances différentes).
En cas d’hypernatrémie supérieure à 155 mmol/L (suspectée initialement si les muqueuses sont très sèches), la correction de l’état d’hydratation est plus lente en évitant absoluement les solutés hypotoniques. Ces situations d’hypernatrémie justifient de contrôler la natrémie après 4 à 6 heures de réhydratation, une baisse trop rapide de la natrémie (> 0,6 mmol/L/h) devant conduire à ralentir le débit de perfusion et/ou à augmenter la concentration sodée de la perfusion. Les complications d’une correction trop rapide de l’hypernatrémie sont neurologiques (hématome sous-dural, thrombose veineuse cérébrale, hémorragie intra-parenchymateuse) et rénales (insuffisance rénale fonctionnelle, organique, thrombose de veine rénale), en pratique exceptionnelles.
En cas de choc hypovolémique, la restauration de la volémie est une urgence immédiate. Elle nécessite une prise en charge par un médecin expérimenté et requiert un appel du Samu si l’enfant n’est pas dans une structure hospitalière appropriée. Le remplissage vasculaire s’effectue par bolus de 20 mL/kg de sérum salé isotonique (ou solution de Ringer lactate) jusqu’à correction des signes de choc hypovolémique, administré par une voie veineuse périphérique (voire intra-osseuse en cas d’échec de la voie veineuse). Entre deux bolus, fréquences cardiaque et respiratoire, qualité du pouls, état de conscience, perfusion périphérique, précharge et pression artérielle doivent être contrôlés.
Dans une diarrhée aiguë sans choc hypovolémique, l’alimentation normale doit être poursuivie ou reprise dans les 4 heures suivant le début de la réhydratation. L’objectif est d’assurer un apport protéino-énergétique suffisant qui contribue à raccourcir l’évolution de la diarrhée, à limiter le risque de lésions épithéliales secondaires et ainsi celui de diminution des activités disaccharidasiques et notamment de la lactase, et de diarrhée grave prolongée. L’allaitement maternel est poursuivi. Pour les nourrissons nourris artificiellement dans les 3 premiers mois de vie, les experts ne recommandent plus l’utilisation systématique d’hydrolysats poussés. Le lait habituel est poursuivi, et une préparation sans lactose n’est prescrite que si une intolérance secondaire au lactose est suspectée, en cas de diarrhée persistant plus de sept jours. Il convient d’éviter les boissons contenant beaucoup de sucre. Il n’y a pas d’étude pour recommander le régime « riz-pomme-pain ».
Médicaments antidiarrhéiques
Ils ont une place accessoire, l’enfant guérissant spontanément. Le racécadotril, antisécrétoire, réduit le débit des selles d’environ 50 %. Les probiotiques (Saccharomyces boulardii, Lactobacillus rhamnosus GG) réduisent la durée et l’intensité des symptômes. Ils peuvent être utilisés en complément de la réhydratation orale. Le lopéramide n’est pas recommandé et est même contre-indiqué avant 2 ans.Antiémétiques
L’ondansétron peut être efficace chez les enfants qui ont des vomissements en lien avec une gastroentérite. Il n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication. Son utilisation est limitée au milieu hospitalier et discutée au cas par cas. Les autres antiémétiques ne sont pas recommandés.Antibiotiques
Ils sont très rarement indiqués en dehors des shigelloses, de la typhoïde et du choléra. Une antibiothérapie avant résultats de la coproculture n’est indiquée qu’en cas de diarrhée invasive chez le nourrisson de moins de 3 mois, de signes de sepsis sévère ou de diarrhée dans l’entourage immédiat d’un malade ayant une shigellose. Le traitement de première ligne des shigelloses est l’azithromycine. Les salmonelles non typhiques et les yersinioses ne doivent être traitées que chez les enfants à risque : moins de 3 mois, dénutrition sévère, maladie préexistante (déficit immunitaire, traitements immunosuppresseurs, drépanocytose, asplénie, maladie inflammatoire du tube digestif, achlorhydrie). L’antibiothérapie pour Campylobacter jejuni est limitée aux formes dysentériques et dans l’objectif de réduire la transmission dans les collectivités d’enfants. Elle ne modifie les symptômes qu’en cas d’administration dans les 3 premiers jours. Le médicament de choix est l’azithromycine, mais le choix peut être modifié selon les profils locaux de résistance. Les E. coli producteurs de shigatoxine ne doivent pas être traités par antibiotiques.Autres
Le paracétamol peut être prescrit si le confort de l’enfant le nécessite. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont contre-indiqués en cas de déshydratation.Surveillance
Elle associe la recherche de signes d’hypovolémie et de déshydratation, la surveillance du poids, de la température, des mictions et du comportement général. L’évaluation des prises alimentaires et hydriques, du nombre de selles et de vomissements sur les 12 dernières heures a une faible valeur prédictive du risque de déshydratation secondaire.Critères d’hospitalisation
Ce peut être une hospitalisation en secteur de courte durée pour une réhydratation rapide durant 6 à 24 heures, par sonde gastrique ou voie intraveineuse, ou en secteur conventionnel en cas de réhydratation prévisible supérieure à 24 heures (déshydratation sévère, pathologie sous-jacente, âge < 3 mois).
Les nourrissons avec une déshydratation modérée sont surveillés quelques heures aux urgences afin de s’assurer de la réussite de la réhydratation orale. Les nourrissons ne présentant pas de déshydratation, pas de comorbidité, pas d’échec de la réhydratation orale peuvent rentrer à domicile, avec des parents informés des modalités de réhydratation et des signes à surveiller.
Surveillance à domicile et raisons d’une seconde consultation
Une consultation systématique à 48 heures peut être indiquée chez les nourrissons de moins de 6 mois, les enfants présentant une comorbidité, ou en raison des capacités limitées de surveillance des parents. Une consultation est conseillée en cas de diarrhée persistant plus de 5 jours pour réexaminer l’enfant et modifier éventuellement son alimentation.
Mesures de prévention
Une éviction des collectivités est obligatoire pour les shigelloses, les diarrhées à E. coli entérohémorragiques et la typhoïde. Un diagnostic de toxi-infection alimentaire collective, de typhoïde ou de choléra nécessite une déclaration obligatoire.•
POINTS FORTS À RETENIR
La cause principale de diarrhée aiguë chez l’enfant est la gastroentérite virale.
Le risque principal est la déshydratation pouvant évoluer vers le choc hypovolémique.
Aucun examen complémentaire n’est nécessaire au diagnostic de diarrhée aiguë ou de GEA.
Le traitement de première intention est la solution de réhydratation orale dont l’objectif est de prévenir la déshydratation grave.
Une hydratation par solution de réhydratation orale sur sonde nasogastrique ou une réhydratation par voie veineuse est indiquée en cas d’échec de la réhydratation orale.
Les consignes de surveillance et de nouvelle consultation doivent être clairement expliquées aux parents.
Les solutés de réhydratation orale
Les solutés de réhydratation orale (SRO) sont le traitement essentiel des diarrhées aiguës du nourrisson et du petit enfant pour prévenir une déshydratation grave. Les SRO sont constitués d’eau, d’électrolytes (sodium, potassium, chlore), d’agents alcalinisants (citrates ou bicarbonates) et de glucides. La présence de sodium et de glucose favorise l’absorption digestive du sodium et ainsi de l’eau (maintien du co-transport sodium-glucose en cas de diarrhée). Les électrolytes compensent les pertes. Les glucides, qui confèrent à la solution l’essentiel de son osmolarité, permettent un apport énergétique tout en améliorant l’acceptabilité de la solution. Pour être remboursés, les SRO doivent respecter la composition suivante pour un sachet à dissoudre dans 200 mL d’eau : sodium entre 50 et 60 mmol/L, potassium entre 20 et 25 mmol/L, citrates entre 8 et 12 mmol/L, ou bicarbonates entre 24 et 36 mmol/L, osmolarité entre 200 et 270 mOsm/L.
Il est primordial d’expliquer aux parents les modalités d’utilisation du SRO afin d’éviter un mésusage. Le SRO est proposé systématiquement en cas de diarrhée avec ou sans vomissement. Il est la seule boisson qui doit être prescrite chez l’enfant de moins de 2 ans ayant une diarrhée aiguë. Il faut expliquer la reconstitution (1 sachet dans 200 mL d’eau, sans rajout d’autre substance) et l’administration : proposer régulièrement, tant qu’il y a une diarrhée et/ou des vomissements. Il n’y a aucune limitation de quantité en l’absence de vomissement, l’enfant buvant selon sa soif. En cas de vomissements, il faut commencer par des petites quantités de SRO frais (10-20 mL toutes les 5 minutes). La boisson peut être conservée au réfrigérateur durant 24 heures. Si l’enfant refuse le SRO, il faut le proposer plus tard : c’est probablement qu’il n’a pas soif parce qu’il n’est pas déshydraté. Le SRO n’empêche pas la diarrhée, et il est même fréquent qu’une selle liquide suive immédiatement la prise du fait du réflexe gastrocolique. Le but essentiel est de prévenir la déshydratation, qui est le risque majeur de la diarrhée aiguë.
Diarrhée aiguë et déshydratation chez le nourrisson, l’enfant et l’adulte
La diarrhée aiguë, symptôme fréquent chez le nourrisson et l’enfant, et les gastroentérites aiguës, affections responsables de nombreuses situations d’urgence à cet âge, sont un sujet de prédilection pour un dossier de pédiatrie.
Les points essentiels pouvant faire l’objet d’un dossier sont :
– la reconnaissance des signes de gravité ;
– la prise en charge du choc hypovolémique ;
– les examens complémentaires à réaliser devant une diarrhée aiguë avec déshydratation ;
– les critères d’hospitalisation ou de retour à domicile ;
– les explications à donner aux parents sur l’utilisation des solutés de réhydratation orale ;
– les consignes de surveillance au domicile et les symptômes devant amener à une nouvelle consultation.
http://www.sfpediatrie.com/site/default/files/fiche-recommandations- diarrhéesv3.pdf
Guarino A, Ashkenazi S, Gendrel D, Lo Vecchio A, Shamir R, Szajewska H. European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition/European Society for Pediatric Infectious Diseases evidence-based guidelines for the management of acute gastroenteritis in children in Europe: update 2014. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2014;59:132-52.