Pendant longtemps, la diarrhée chronique se définissait chez un sujet soumis à une alimentation de type occidental, par un débit fécal supérieur à 200 g/j. L’OMS a choisi une définition plus pratique : « émission de plus de 3 selles /j et/ou liquides ». Les diarrhées chroniques (plus de 4 semaines) ne partagent pas les mêmes causes que les aiguës. Elles sont nombreuses et parfois intriquées (
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Première étape : indispensable
Une analyse sémiologique précise (aspect des selles, notamment à l’interrogatoire), des signes associés, du contexte (mode d’installation, ancienneté…) et quelques examens simples fournissent dans la majorité des cas le diagnostic étiologique.
Les caractéristiques orientant vers une cause organique sont :
– une durée inférieure à 3 mois ;
– le caractère continu ;
– des évacuations nocturnes ;
– du sang dans les selles ;
– la perte de poids.
L’absence de ces signes d’alerte et la positivité des critères de Rome IV (qui définissent l’intestin irritable) chez un sujet jeune dont l’examen clinique est normal orientent fortement vers un trouble fonctionnel intestinal.
Faire préciser le contexte est important : antécédents familiaux de néoplasie, de maladie inflammatoire digestive ou de maladie cœliaque ; antécédents personnels chirurgicaux : résections de grêle et du côlon, chirurgie bariatrique et cholécystectomie. Pancréatite chronique, sclérodermie, hyperthyroïdie, diabète. Consommation excessive d’alcool. Voyage récent dans une zone à risque… symptômes identiques dans l’entourage (
À l’examen, le poids est quantifié et la perte de poids calculée. Les signes digestifs, extradigestifs et généraux, syndrome carentiel (peau, phanères, cavité buccale), goitre ou hypotension orthostatique (signe de neuropathie végétative) doivent être recherchés.
Six principaux syndromes
Le diagnostic syndromique permet de ne prescrire que des examens spécifiques personnalisés.2
Syndrome lésionnel. Du sang et/ou des glaires dans les selles témoignent d’une lésion inflammatoire ou tumorale dans le côlon ou l’intestin grêle.
La diarrhée motrice, courante, est due à une accélération du transit dans le côlon. Le diagnostic doit être évoqué en cas de selles volontiers matinales et post-prandiales, contenant des aliments non digérés ingérés au repas précédent. La cause la plus fréquente est de loin le trouble fonctionnel intestinal, la diarrhée étant peu abondante et favorisée par le stress. L’efficacité du lopéramide ou du racécadotril peut être considérée chez les sujets jeunes sans signe d’alarme comme un test thérapeutique. Viennent ensuite l’hyperthyroïdie (souvent associée à une tachycardie) ainsi que la neuropathie végétative (contexte de diabète ou d’amylose généralement).
La diarrhée par malabsorption est rare mais parfois sévère. Elle doit être évoquée en cas de stéatorrhée et/ou de signes de carence (anémie, tétanie, hématomes). Les maladies en cause peuvent être situées dans la paroi de l’intestin grêle, la lumière digestive, le pancréas, le foie ou les voies biliaires (maldigestion par pullulation bactérienne, insuffisance pancréatique exocrine ou cholestase).
La diarrhée osmotique fait suite à l’ingestion de médicaments ou d’aliments peu ou pas absorbables responsables d’un effet osmotique (appel d’eau) dans l’intestin. La diarrhée est de type hydroélectrolytique et cesse avec le jeûne. Les substances les plus fréquemment en cause sont le lactose, les sucre-alcools (cidre, fruits…), le magnésium et les laxatifs osmotiques. Le diagnostic repose essentiellement sur l’interrogatoire et la suppression des médicaments ou aliments suspectés.
La diarrhée sécrétoire, fréquente, peut être due à une hypersécrétion dans la lumière digestive et/ou à un défaut de réabsorption. Elle est aqueuse, volontiers abondante (> 500 g/24 h) et persiste avec le jeûne. Une hypokaliémie (évocatrice) et une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle sont possibles. La cause peut être un médicament, une maladie inflammatoire chronique intestinale (maladie de Crohn, colite microscopique lymphocytaire ou collagène…), des aliments comme les prunes ou la rhubarbe ou, exceptionnellement, une tumeur endocrine sécrétant du VIP (vasoactive intestinal peptide) ou de la gastrine. Le médicament responsable est parfois pris depuis plusieurs mois.
Dans la diarrhée avec entéropathie exsudative (perte anormalement élevée de protéines plasmatiques par le tube digestif), une exsudation de plasma ou de lymphe dans la lumière intestinale peut entraîner une hypo-albuminémie et des œdèmes. Les fuites lymphatiques (situation rare) peuvent s’accompagner d’une lymphopénie et/ou d’une hypocholestérolémie.
Stratégie d’exploration
Un interrogatoire et un examen clinique attentifs orientent le diagnostic dans la majorité des cas et permettent de cibler les examens complémentaires. En l’absence d’orientation, on a recours à des investigations simples de première intention.
Au plan biologique : NFS, CRP, natrémie, kaliémie, calcémie, phosphorémie, magnésémie, créatinine, ferritine, vitamines B12 et B9, bilan hépatique complet, taux de prothrombine, électrophorèse des protéines plasmatiques, dosage pondéral des immunoglobulines, TSH. On a aussi souvent recours au dosage d’IgA anti-transglutaminase pour rechercher une maladie cœliaque (en raison de sa prévalence élevée en Europe) ainsi qu’à la sérologie VIH.2
L’examen parasitologique des selles est important (Giardia ou amibes) et doit être répété s’il est négatif chez les sujets à risque (voyageurs en zone tropicale et intertropicale à hygiène précaire et immunodéprimés). La coproculture est sans intérêt sauf si on recherche Clostridium difficile et ses toxines, notamment en cas de facteurs de risque (prise récente d’antibiotiques, déficit immunitaire, hospitalisation depuis peu). Le test immunoréactif dépistant le sang dans les selles n’a pas d’intérêt.
Les examens endoscopiques dominent l’enquête du fait de leur rentabilité diagnostique élevée. Les endoscopies haute et basse doivent s’accompagner de biopsies orientées. De plus, des biopsies duodénales systématiques et coliques étagées visent à affirmer ou éliminer une maladie cœliaque et certaines colites qui peuvent n’être que « microscopiques ». La coloscopie doit être fréquemment proposée même en l’absence de signes d’alarme associés.
Les explorations de seconde intention sont en général guidés par l’étape précédente.
La place de l’imagerie de l’intestin grêle (vidéocapsule, entéroscanner ou entéroIRM) est limitée en l’absence d’élément d’orientation. Même chose pour le scanner pancréatique.
Les dosages fécaux de l’élastase et de la calprotectine peuvent mettre en évidence respectivement une insuffisance pancréatique exocrine et une inflammation du tube digestif. Le fécalogramme, la clairance fécale de l’alpha-1-antitrypsine ainsi que l’ionogramme fécal sont rarement indiqués (par le spécialiste).
Les dosages hormonaux sont réservés aux diarrhées motrices avec signes d’orientation ou résistantes au lopéramide (TSH, calcitonine, sérotonine et/ou chromogranine) ou sécrétoire (VIP, gastrine).
En cas de doute, une diarrhée motrice peut être confirmée par le test au rouge carmin (coloration des selles en moins de 8 heures après l’ingestion du colorant). L’efficacité du lopéramide est aussi un excellent signe.
1. Diarrhée chronique : 3 diagnostics différentiels
La « fausse diarrhée » due à une constipation se caractérise par des selles liquides précédées par l’émission d’un « bouchon dur » et/ou alternant avec une constipation.
Le syndrome rectal dû à une rectite, des hémorroïdes ou une tumeur rectale se caractérise par un nombre accru d’évacuations de faible abondance parfois glairosanglantes (la rectoscopie est alors déterminante).
L’incontinence fécale est volontiers appelée diarrhée par méconnaissance ou pudeur.
2. Un large panel de causes
Fréquentes
• Trouble fonctionnel intestinal
• Alimentation : alcool, excès en FODMAP
• Néoplasie colique
• Maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI)
• Maladie cœliaque
• Diabète
• Médicaments : antibiotique, metformine, AINS, magnésium…
Peu fréquentes
• Hyperthyroïdie
• Parasitose (giardiose)
• Pullulation bactérienne du grêle
• Ischémie mésentérique
• Lymphome
• Post-chirurgie
• Pancréatite chronique
1. Arasaradnam RP, Brown S, Forbes A, et al. Guidelines for the investigation of chronic diarrhoea in adults: British Society of Gastroenterology, 3rd edition. Gut 2018;67:1380-99.
2. FMC-HGE. Diarrhée chronique. 2011.bit.ly/39UnZIZ