Les cancers dits rares sont nombreux et représentent un cinquième des cas de cancers en France. Pourtant, les difficultés de développement de médicaments sont de véritables enjeux dans le domaine de l’oncologie. Outre un fréquent retard de diagnostic, l’accès aux innovations thérapeutiques est difficile. D’autant plus que la réalisation d’études cliniques et donc l’obtention d’autorisations de mise sur le marché sont freinées par la rareté de ces pathologies. Des adaptations méthodologiques sont nécessaires.
Les cancers rares sont définis par une incidence inférieure à 6 pour 100 000 personnes par an. Selon la liste établie par RARECARE (projet européen de surveillance des cancers rares), 186 cancers identifiés font partie des cancers rares, représentant alors environ 20 % des cas en France, mais près de 30 % des décès liés aux cancers. En outre, les progrès dans la caractérisation biologique des cancers induisent une complexification des classifications nosologiques, dans lesquelles les cancers dits fréquents s’avèrent le plus souvent rassembler une myriade de maladies distinctes sur le plan moléculaire, et donc de cancers rares. Pour ces différentes raisons, les diffi­cultés de développement de médicaments contre les cancers rares sont de véritables enjeux dans le domaine de l’oncologie pour les prochaines années. Les sarcomes sont l’exemple type de cancer rare, puisque, d’une part, ils représentent dans leur ensemble moins de 1 % des cancers et, d’autre part, ils constituent une famille de maladies très hétérogènes avec plus de 150 sous-types, selon la dernière classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).1 Chaque sous-type de sarcome est donc encore plus rare, certains étant considérés comme « ultrarares », avec une incidence inférieure à 1/1 000 000.2
La prise en charge des sarcomes en matière de développement de médicaments et donc de réalisation d’études cliniques correspond à des enjeux spécifiques.

Retard au diagnostic et difficultés d’accès à l’innovation thérapeutique

Les premiers obstacles au développement de la recherche clinique dans les tumeurs rares résultent des errances diagnostiques et des difficultés dans la prise en charge thérapeutique. Plusieurs publications scientifiques récentes illustrent très bien les difficultés diag­nostiques et thérapeutiques rencontrées dans la prise en charge des tumeurs rares dans notre pays.3,4 Ainsi, un point commun des cancers rares est malheureu­sement souvent le retard au diagnostic. De plus, leurs difficultés de prise en charge persistent au-delà et comprennent les freins d’accès à l’innovation théra­peutique, notamment du fait des obstacles au développement d’essais cliniques dans ces pathologies, en France comme à l’étranger.

Manque d’essais cliniques pour aboutir à une AMM

De manière globale, il existe significativement moins d’essais cliniques dans ces cancers rares que dans des cancers plus fréquents, et également moins d’autorisations de mise sur le marché (AMM) de nouveaux médicaments pour ces maladies. Ceci peut s’expliquer par un recrutement plus lent. Mais il faut également souligner un plus faible intérêt suscité par ces maladies de la part de l’industrie pharmaceutique, qui se concentre davantage sur les tumeurs fréquentes, bénéficiant ainsi d’un recrutement plus rapide et potentiellement d’une meilleure rentabilité financière. Néanmoins, cela évolue depuis quelques années, car les autorités de santé encouragent le développement des médicaments dans les indications de maladies rares.
Habituellement, les essais cliniques sont réalisés en plusieurs phases. Les essais de phase I servent à établir la dose optimale du médicament et ses effets indésirables. Les essais de phase II ont pour objectif d’évaluer l’activité antitumorale du médicament. Enfin, les essais de phase III randomisés sont des études cliniques de grande envergure, incluant plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de malades et au cours desquelles l’efficacité antitumorale du traitement est comparée à un traitement standard sur le critère de jugement choisi, le plus souvent la survie (globale ou sans progression). Cette dernière étape peut être particulièrement limitée par le faible nombre de patients porteurs de tumeurs rares.
Pour conduire de tels essais dans les sarcomes, il est alors nécessaire de rassembler un grand nombre d’investigateurs expérimentés. Un réseau solide rassemblant les centres experts ayant un recrutement important doit donc être mis en place ; c’est le cas du réseau NetSarc en France pour la prise en charge des sarcomes (https://expertisesarcome.org/), dont le centre Léon Bérard est centre de référence national, avec pour coordonnateur le Pr Jean-Yves Blay. En revanche, pour des tumeurs beaucoup plus rares (notamment les cancers dits « ultra­rares »), des réseaux internationaux restent clairement indispensables. Le caractère international de la recherche, au niveau européen par exemple, alourdit cependant de manière considérable le coût et donc la faisabilité des études, du fait notamment de l’hétérogénéité et de la multiplicité des procédures administratives entre les différents pays. Les limitations du développement des études cliniques dans les tumeurs rares ne sont donc pas totalement levées par l’organisation en réseau et en intergroupe.
Toujours est-il qu’en l’absence de réalisation d’essais de phase III randomisés, les tumeurs rares sont potentiellement pénalisées par les autorités de santé, lorsque des considérations de « coût-efficacité » sont en jeu pour décider du remboursement. Citons l’exemple d’un cancer ultrarare, le sarcome alvéolaire des parties molles (1 cas pour 10 millions de personnes par an). L’atézolizumab (anticorps monoclonal humanisé anti-PD-L1) a prouvé son efficacité dans une étude de phase II simple bras5 chez des patients atteints de cette maladie à un stade avancé/métastatique. Néanmoins, du fait de la faible incidence de cette maladie, une étude randomisée de phase III serait complexe à envisager. Et à l’heure actuelle, hélas ! en l’absence d’étude de phase III, ce traitement n’est ni disponible ni remboursé pour les patients français (pas d’AMM), alors qu’il dispose d’une autorisation de la Food and Drug Administration aux États-Unis.

Adapter la méthodologie des essais cliniques pour les cancers rares

Les sarcomes ainsi que les autres cancers rares devraient pouvoir bénéficier d’une évaluation adaptée à ces problèmes méthodologiques, afin d’éviter une discrimi­nation en défaveur des patients. L’impact du bénéfice, sur la survie par exemple, peut être considéré de la même manière que pour les tumeurs fréquentes, mais la taille des essais possibles rend délicate voire impossible la mise en évidence de différences modestes ; le risque de décision négative est donc majoré. Les patients porteurs de cancers rares sont ainsi défavorisés pour l’accès à l’innovation thérapeutique. La méthodologie des essais cliniques portant sur des cancers rares ainsi que leur évaluation par les autorités de santé doivent donc être reconsidérées. Le rôle des associations de patients dans ce processus est important et doit encore être renforcé. Outre le fait d’aider à la diffusion de l’information auprès des patients et d’accompagner et conseiller les personnes atteintes de cancers rares, ces associations représentent des partenaires essentiels pour la communication entre patients et médecins. De plus, elles permettent régulièrement un soutien financier d’études cliniques et/ou de projets de recherche translationnelle.
Il est également important de noter l’implication croissante sur ce sujet des groupes coopératifs (EURACAN, European Reference Network on Rare Adult Cancers) et des sociétés savantes professionnelles (ESMO, European Society for Medical Oncology). Ainsi, en 2023, a eu lieu la première édition du congrès de l’ESMO sur les cancers rares, l’occasion pour les médecins et autres professionnels de santé, scientifiques, représentants de l’industrie pharmaceutique et associations de patients du monde entier de se rencontrer et de partager leurs connaissances, leur expérience et leurs recherches pour faire progresser la prise en charge des cancers rares.
Enfin, nous assistons à une implication des autorités européennes, à travers la directive sur les médicaments orphelins, ou la création de comités tels que l’European Union Committee of Experts on Rare Diseases (EUCERD), témoignant de la prise de conscience de l’importance stratégique du problème. 
Références
1. Board WC of THE. Soft tissue and bone tumours. International Agency for Research on Cancer 2020, 607 p.
2. Stacchiotti S, Frezza AM, Blay JY, Baldini EH, Bonvalot S, Bovee JVMG, et al. Ultra-rare sarcomas: A consensus paper from the Connective Tissue Oncology Society community of experts on the incidence threshold and the list of entities. Cancer 2021;127(16):2934‑42.
3. Perrier L, Rascle P, Morelle M, Toulmonde M, Ranchere Vince D, Le Cesne A, et al. The cost-saving effect of centralized histological reviews with soft tissue and visceral sarcomas, GIST, and desmoid tumors: The experiences of the pathologists of the French Sarcoma Group. PLoS ONE 2018;13(4):e0193330.
4. Blay JY, Honoré C, Stoeckle E, Meeus P, Jafari M, Gouin F, et al. Surgery in reference centers improves survival of sarcoma patients: A nationwide study. Ann Oncol Off J Eur Soc Med Oncol 2019;30(8):1407.
5. Chen AP, Sharon E, O’Sullivan-Coyne G, Moore N, Foster JC, Hu JS, et al. Atezolizumab for advanced alveolar soft part sarcoma. N Engl J Med 2023;389(10):911‑21.

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