Le jeûne nocturne prolongé (délai séparant le dîner du petit-déjeuner d’au moins 12 heures) serait bénéfique sur les paramètres cardiométaboliques selon certaines études, mais les données sont divergentes. Une nouvelle étude de l’Inrae-Inserm sur la cohorte NutriNet-Santé met en exergue l’importance des heures des repas, suggérant d’éviter certaines mauvaises pratiques comme celle de sauter le petit-déjeuner…

Les schémas alimentaires quotidiens sont une composante clé de la synchronisation du rythme circadien, qui est lui-même un facteur important dans la régulation du système cardiovasculaire. Un nombre croissant de travaux s’intéressent à la relation entre la restriction des prises alimentaires à certaines heures de la journée (jeûne dit « intermittent » ou « circadien » : ne manger que sur un intervalle de temps variant entre 8 et 10 heures/jour) et des paramètres cardiométaboliques tels que le poids, le LDL-c, la glycémie à jeun et la PA. Mais les résultats de ces études sont divergents, certaines suggérant que cette pratique améliore ces paramètres, d’autres ne montrant pas d’effet significatif par rapport à des régimes de restriction calorique simple.

Une nouvelle étude utilisant les données de plus de 100 000 participants de la cohorte française NutriNet-Santé (79 % de femmes ; âge moyen : 42 ans) vient de paraître dans Nature Communications . Il s’agit de la première étude prospective à large échelle investiguant l’association entre les horaires des repas, le temps de jeûne et l’incidence des maladies cardiovasculaires (MCV).

Sur un suivi d’une durée médiane de 7,2 années et 699 547 personnes-années, 2 036 cas de MCV ont été diagnostiqués, dont 988 cas de maladies cérébrovasculaires (AVC et AIT) et 1 071 cas de maladie coronaire (infarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu…). L’analyse statistique a révélé que :

  • Un horaire plus tardif pour la première prise alimentaire de la journée était associé à un risque CV global plus élevé : ce risque augmentait de 6 % par heure supplémentaire de « retard » ; selon leurs calculs, une personne prenant le petit-déjeuner après 9 h aurait 14 % plus de risque de MCV qu’une personne le prenant avant 8 h, et jusqu’à 23 % plus de risque cérébrovasculaire (mais aucune augmentation significative n’a été décelée pour le risque coronaire seul).
  • Un horaire plus tardif pour la dernière prise alimentaire de la journée était aussi associé à un risque CV global plus élevé : dans ce cas, l’augmentation du risque était de 2 % par heure supplémentaire de « retard » ; une personne dînant après 21 h aurait 13 % plus de risque de MCV qu’une personne dînant avant 20 h, et jusqu’à 28 % plus de risque cérébrovasculaire (mais il n’y avait pas, ici non plus, d’association pour le risque coronaire seul).
  • Une durée plus longue de jeûne nocturne (c’est-à-dire de temps écoulé entre la dernière prise alimentaire de la journée et la première du lendemain) était associée à une réduction de 7 % du risque cérébrovasculaire par heure supplémentaire de jeûne (mais aucune association n’était observée pour le risque coronaire ou le risque CV global).
  • L’association entre l’heure tardive du premier et du dernier repas de la journée et un sur-risque CV global était plus forte chez les femmes que chez les hommes, ce qui d’après les auteurs pourrait être lié à des dimorphismes sexuels dans l’anatomie et dans la physiologie du système circadien.

Ces résultats ont été ajustés pour de nombreux facteurs de confusion, tels que l’âge, le sexe, l’IMC, la qualité nutritionnelle de l’alimentation, le mode de vie et situation familiale. Toutefois, les horaires et la durée du sommeil, recueillis seulement pour un sous-groupe, n’ont pas pu être inclus dans l’analyse principale. Les associations qui en résultent sont cohérentes avec les preuves issues d’essais contrôlés randomisés, selon lesquels les prises alimentaires à des heures tardives le soir pourraient conduire à la détérioration de paramètres cardiométaboliques (IMC, cholestérol et triglycérides, intolérance au glucose et insulinorésistance…).

En résumé, cette étude suggère un bénéfice cardiovasculaire du jeûne prolongé pendant la nuit seulement lorsqu’il est associé à des prises alimentaires tôt le soir et le matin (avant 20 h et avant 8 h), et non lorsqu’il est associé au fait de sauter le petit-déjeuner – pratique qui est fréquente justement chez beaucoup de personnes optant pour le « jeûne intermittent »…

Ces résultats doivent encore être confirmés sur d'autres cohortes, avec des approches complémentaires et dans d'autres pays (qu'en est-il dans des pays comme l'Espagne, par exemple, où les dîners tardifs sont de rigueur ?).

Pour en savoir plus
Palomar-Cros A, Andreeva VA, Fezeu LK, et al. Dietary circadian rhythms and cardiovascular disease risk in the prospective NutriNet-Santé cohort. Nature Com 14 décembre 2023.