La diphtérie (du grec diphthera, membrane) est une affection hautement contagieuse due à Corynebacterium diphtheriae (ou bacille de Klebs-­Löffler), pouvant évoluer vers le décès par suffocation en raison de la formation de fausses membranes dans l’oropharynx, qui obstruent les voies respiratoires. Cette évolution possiblement fatale est appelée « croup ». Si la diphtérie auto­chtone a disparu de la métropole française depuis de nombreuses années (fig. 1) grâce à une couverture vaccinale très élevée, cette affection reste encore présente dans de nombreux pays, en particulier dans les pays asiatiques (fig. 2 et 3).1

Encore présente sur le territoire français !

Entre 2011 et 2020, 69 cas importés ont été recensés en métropole, soit de pays endémiques (Afrique de l’Ouest, Madagascar, Pakistan, Russie), soit de départements d’outre-mer, comme Mayotte, chez des patients non ou mal vaccinés.2
À Mayotte (101e département français), entre janvier 2019 et juin 2021, 12 cas de diphtérie – chiffre probablement sous-estimé – ont été signalés, dont un nourrisson décédé. Ce nombre relativement important est dû autant à la méconnaissance des praticiens qu’à l’insuffisance de la vaccination.3
Depuis une dizaine d’années, il est possible de recenser jusqu’à 2 cas par an dans l’île. Ces patients, non ou mal vaccinés, chez qui les formes cutanées prédominent sur celles de la sphère ORL, viennent des Comores et entrent illégalement sur le territoire. Devant cette situation, un rattrapage vaccinal, débuté en 2018 en centres de protection maternelle et infantile (PMI) chez plus de 18 000 enfants de moins de 6 ans, a permis d’obtenir une couverture vaccinale de 76 % pour la primovaccination et de 57 % pour la vaccination complète.
Les situations de l’archipel des Comores et de Madagascar sont similaires en la matière : bien que le programme élargi de vaccinations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soit censé y être appliqué, de nombreux enfants continuent d’échapper à la vaccination pour de multiples raisons (manque d’information des familles, manque de fournitures de vaccins dans les centres isolés, rupture de la chaîne du froid, impossibilité pour les familles de se déplacer par manque de moyens, dispensaires isolés, parfois inaccessibles pour des raisons climatiques, sentiments de méfiance si un vaccin précédent avait entraîné une réaction secondaire…).

Toxine diphtérique : la force du mal

Corynaebacterium diphtheriae est un bacille à Gram positif (fig. 4), dont l’homme est le seul hôte, avec un portage au niveau de la peau et du pharynx. Cette bactérie sécrète une toxine qui diffuse dans tout l’organisme et agit sur le cœur et le système nerveux périphérique en provoquant une mort cellulaire, d’abord locale puis à distance. Seules les souches de C. diphtheriae infectées par un virus bactériophage (ou phage bêta) sont toxinogènes (« tox+ ») ; les autres (« tox- ») ne provoquent que des formes bénignes.
La transmission interhumaine s’effectue surtout par les sécrétions rhinopharyngées, plus rarement par voie oculaire, auriculaire ou cutanée.
D’autres corynébactéries peuvent provoquer une diphtérie, comme C. ulcerans chez les sujets âgés ou immunodéprimés, transmis par le lait cru ou le contact avec les bovins. En France, 18 cas d’infection par C. ulcerans ont été recensés depuis vingt ans : 12 avaient une localisation cutanée et 6 une angine pseudomembraneuse de surcroît ; 12 patients avaient un animal domestique. Une autre espèce, C. pseudotuberculosis, transmise par contact avec des chèvres, provoque une lymphadénite isolée.

Des tableaux cliniques variés

La maladie, due aux souches toxinogènes de C. diphtheriae, peut se manifester sous forme locale (due à la bactérie) et générale (due à la toxine).

De l’angine au croup

Après une incubation de deux à cinq jours, l’angine diphtérique blanche se manifeste par la formation de fausses membranes, de façon bilatérale et asymétrique. Cliniquement, ces fausses membranes prennent un aspect blanc nacré, lisse, adhérant aux muqueuses (fig. 5) et s’accompagnent d’adénopathies cervicales et d’une fièvre modérée. Il est nécessaire d’instituer un traitement sans délai après le prélèvement, pour éviter une évolution rapide vers une forme sévère.
En effet, dans le cas le plus grave, la voix est éteinte, un œdème cervical important (dit « proconsulaire ») se forme, et les fausses membranes obstruent le larynx, provoquant une asphyxie rapidement mortelle (croup).4
Deux diagnostics différentiels peuvent être envisagés : l’angine blanche (d’origine virale ou bactérienne) et la mononucléose infectieuse – dont l’une des manifestations cli­­niques typiques est l’angine érythémato-­pultacée, rarement à fausses membranes.

Complications multiples de la forme généralisée

La forme généralisée est causée par la toxine, qui diffuse par voie sanguine. Elle atteint le myocarde, le système nerveux périphérique et les surrénales, pouvant être à l’origine de myocardite, paralysie du voile du palais, paralysie des membres inférieurs, insuffisance rénale, respiratoire et cardiaque d’évolution mortelle.

Forme cutanée : moindre gravité

La forme cutanée, observée surtout dans les pays tropicaux, se manifeste par la formation de fausses membranes, à partir d’une plaie préexistante ou d’une piqûre d’insecte. Une guérison spontanée est possible en plusieurs semaines et l’évolution vers une insuffisance respiratoire est rare.

Traitement : une urgence !

Des prélèvements pharyngés sont effectués sans délai (pour culture, identification par Maldi-Tof et recherche de toxine par PCR) et avant tout traitement ; ce dernier doit cependant être instauré avant même la confirmation diagnostique apportée par la mise en évidence du bacille.5
Dès la suspicion clinique, le patient est isolé et les objets familiers sont désinfectés.
L’antibiothérapie (amoxicilline ou macrolides) est initiée immédiatement après le prélèvement. La sérothérapie antitoxique, instituée en urgence, permet de neutraliser la toxine circulante mais est inefficace en cas de fixation aux cellules cibles.
En cas de croup, une trachéotomie est pratiquée en urgence pour rétablir la voie respiratoire. Cette forme étant heureusement devenue rarissime, l’usage de cette pratique n’est plus d’actualité (il fut un temps où chaque médecin était équipé du matériel de trachéotomie au cabinet).

Prévenir absolument

La prévention repose sur la vaccination (toxine diphtérique purifiée et inactivée) obligatoire dès la petite enfance (vaccin combiné hexavalent). Des injections de rappel sont administrées tous les vingt ans chez l’adulte.
C’est une maladie à déclaration obligatoire. Toute survenue d’un cas amène à une surveillance clinique et microbiologique des sujets contacts, avec prescription d’une antibiothérapie prophylactique, contrôle de l’état vaccinal et rappel si nécessaire.
Il est essentiel d’insister sur l’importance des vaccinations dans tous les pays. En Chine, par exemple, le taux de séropositivité moyen de la population est de 66 %, mais de seulement 25 % chez les plus de 25 ans.

Y penser !

Devant une angine blanche chez un sujet originaire d’un pays étranger ou d’un département d’outre-mer, il est important de savoir évoquer la possibilité d’une diphtérie, et avoir le réflexe de prélever, isoler, traiter et déclarer.

Encadre

Un peu d’histoire…

Du fait de l’ignorance de son caractère contagieux, la diphtérie est une maladie qui a fait des ravages en France, notamment au XVIIIe siècle. La première description complète de la maladie par Pierre Bretonneau date de 1818 ; il propose alors un traitement par trachéotomie. Les différents aspects de la maladie, les complications et les principales causes de décès chez l’enfant ont été précisés ensuite par Armand Trousseau. En 1884, Friedrich Löffler parvient à cultiver des germes prélevés sur des fausses membranes. La toxine est isolée en 1889 par Émile Roux, et l’antitoxine en 1890 par Emil von Behring (Prix Nobel de médecine en 1901). En 1923, Gaston Ramon met au point le premier vaccin à base de toxine inactivée. L’Académie de médecine instaure la vaccination dès 1927 dans les écoles ; en 1938, elle est généralisée à tous les enfants. Au XIXe siècle, 1 personne sur 20 était atteinte de diphtérie (dont la majorité âgée de moins de 15 ans) avec une mortalité entre 10 et 50 %. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux cas sont recensés en Europe (238 000 cas en Allemagne ; 56 000 cas aux Pays-Bas ; 46 000 cas en France ; 22 000 cas en Norvège).

Références

1. Clarke K, MacNeil A, Hadler S, et al. Global epidemiology of diphtheria, 2000-2017. Emerg Inf Dis 2019;25(10):1834-42.
2. Scheifer C, Rolland-Debord C, Badell E, et al. Réémergence du Corynaebacterium diphtheriae. Med Mal Inf 2019;49(6):463-6.
3. Belchior E, Henry S, Badell E, et al. Diphteria in Mayotte 207-2015. Emerg Infect Dis 2017;23(7):1218-2007.
4. Truelove SA, Keegan LT, Moss WJ, et al. Clinical and epidemiological aspects of diphtheria: a systematic review and pooled analysis. Clin Infect Dis 2020;71(1):89-97.
5. Williams M, Waller J, Aneke J, et al. Detection and characterization of diphtheria toxin gene-beating Corynaebacterium species through a new real-time PCR assay. J Clin Microbiol 2020;58(10):e00639-20.

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essentiel

La diphtérie, maladie infectieuse redoutable, sévit encore dans le monde ; elle se caractérise par une angine avec des fausses membranes adhérentes à la muqueuse.

La complication majeure est le croup, ou suffocation par obstruction des voies aériennes supérieures.

Le traitement par amoxicilline, voire la sérothérapie, doit être mis en place sans délai.

La vaccination est la meilleure prévention.