Identifier les urgences.
Définition
Nous nous intéresserons aux diplopies binoculaires qui ne sont présentes que les deux yeux ouverts et disparaissent à l’occlusion de l’un ou de l’autre œil, la diplopie monoculaire persistant en revanche à l’occlusion de l’œil sain et disparaissant à l’occlusion de l’œil atteint.
Si la diplopie monoculaire doit conduire à un examen ophtalmologique sans caractère d’urgence, les diplopies binoculaires ont généralement une implication neurologique ou orbitaire et nécessitent une prise en charge urgente.
L’approche diagnostique et étiologique d’une diplopie commence par la reconstitution de l’histoire des symptômes et par l’interrogatoire, les grandes causes à éliminer étant les causes neurogènes, les causes orbitaires et les causes myogènes.
Stratégie diagnostique
Signes fonctionnels
Interrogatoire
- le terrain : âge du patient, antécédents oculaires et généraux, recherche d’un diabète, d’une hypertension artérielle, d’une maladie métabolique ou endocrinienne, en particulier thyroïdienne ;
- les circonstances de survenue : s’agit-il d’un traumatisme ou d’une diplopie survenue lors d’un effort physique à la lecture ou à la fatigue ?
- la diplopie est-elle d’apparition brutale ou progressive ?
- quels sont les signes associés : douleurs, vertiges, céphalées, nausées ? Les céphalées intenses majorent le caractère urgent de la prise en charge du patient ;
- la diplopie est-elle horizontale, verticale ou oblique ?
- dans quelle position la diplopie est-elle maximale ?
Inspection
L’inspection recherche également une attitude compensatrice de la tête, ou torticolis, la tête se mettant dans le champ d’action du muscle atteint pour compenser la diplopie. Ainsi, dans une paralysie du VI droit, la tête est tournée du côté droit, dans une paralysie du III gauche, la tête est tournée du côté droit, côté sain.
Examen oculomoteur
Bilan orthoptique
À ce stade, un bilan orthoptique est nécessaire afin de compléter l’analyse de la diplopie.Examen sous écran (« cover-test »)
Examen au verre rouge
Ainsi, on parle de diplopie homonyme lorsque le point rouge est vu à droite du point blanc : elle correspond à un œil en convergence, par exemple dans une paralysie du VI.
On parle de diplopie croisée lorsque la lumière rouge est vue à gauche du point blanc, elle correspond à un œil en divergence, par exemple dans une paralysie du III.
Test de Hess-Lancaster
Ainsi, ce test permet de confirmer le diagnostic de paralysie oculomotrice, objectiver le ou les muscles paralysés, déterminer le côté de cette paralysie. Cet examen permet, en outre, de suivre l’évolution de la paralysie par des relevés successifs.
Motricité intrinsèque
Tout bilan de paralysie oculomotrice nécessite l’exploration de la motricité intrinsèque par :- l’inspection, à la recherche d’une inégalité pupillaire ou anisocorie (différence de 2 mm entre les pupilles) ;
- l’examen du réflexe photomoteur ou réponse pupillaire à la lumière, nécessitant l’éclairement d’un œil qui entraîne un myosis de l’œil éclairé (réflexe photomoteur direct), un myosis simultané de l’œil controlatéral (réflexe consensuel) ;
- l’abolition du réflexe photomoteur direct avec conservation du réflexe photomoteur consensuel ; en cas de mydriase paralytique, comme on l’observe dans une paralysie complète du III, le réflexe photomoteur consensuel à l’éclairement de l’œil sain est aboli.
Analyse rapide et repérage des situations d’urgence
Les causes de diplopie nécessitant une prise en charge urgente sont ensuite éliminées (
Une atteinte neurogène est souvent suspectée d’emblée devant le tableau clinique typique (
L’existence de troubles pupillaires peut également orienter le diagnostic. La notion de traumatisme orbitaire doit faire rechercher une mydriase aréflexique et un trouble oculomoteur.
Le syndrome de Claude Bernard-Horner (ptosis, myosis, énophtalmie) peut être associé à une atteinte du VI dans le sinus caverneux (
La mydriase peut témoigner d’une atteinte extrinsèque et intrinsèque du III.
Une mydriase peu réflexique à la lumière associée à un myosis en convergence doit évoquer un syndrome de Parinaud.
Une mydriase peu réflexique associée à une ophtalmoplégie doit faire penser au botulisme.
Enfin, un myosis et un déficit de l’abduction évoquent un spasme en convergence et nécessitent un examen sous collyre cycloplégique paralysant l’accommodation.
Parmi les atteintes orbitaires à l’origine de la diplopie, il faut distinguer l’orbitopathie dysthyroïdienne, les processus orbitaires inflammatoires, les traumatismes orbitaires, les tumeurs ou métastases orbitaires, les syndromes de Brown (limitation dans le champ d’action de l’oblique inférieur) et de Stilling-Duane (paralysie de l’abduction associée à une énophtalmie), la fibrose familiale congénitale, entraînant souvent un strabisme précoce et une amblyopie, et enfin une diplopie après une chirurgie oculaire.
Par ailleurs, il s’agit d’éliminer les causes myogènes. Toute diplopie non douloureuse et sans atteinte pupillaire doit faire évoquer le diagnostic de myasthénie, surtout si les signes cliniques varient dans le temps et s’aggravent dans la journée ou lors d’un effort. Son diagnostic est clinique et est complété par un test à la Prostigmine (néostigmine).
Les myopathies oculaires sont, elles, évoquées lors d’une atteinte oculomotrice progressive touchant plusieurs muscles, y compris les paupières, parfois dans un contexte familial. L’absence de variation et la normalité de l’imagerie conduisent vers ce diagnostic, qui est confirmé par la biopsie musculaire et l’analyse génétique.
Enfin, la myosite oculaire est une inflammation d’un ou de plusieurs muscles oculomoteurs se manifestant par une diplopie douloureuse. Il convient de rechercher les causes infectieuses (maladie de Lyme, VIH, etc.), inflammatoires (dermatomyosite, par exemple) ou tumorales et lymphomateuses. Parfois, aucune cause n’est retrouvée et la myosite s’inscrit alors dans une pseudo-tumeur inflammatoire.
Critères de classification clinique d’une diplopie
Diagnostic sémiologique
La paralysie du IV entraîne une diplopie verticale accentuée dans le champ du muscle oblique supérieur concerné, c’est-à-dire en bas et en dedans, gênant le patient dans la lecture, la descente des escaliers... Sa tête est inclinée du côté sain, menton abaissé.
La paralysie du VI entraîne une convergence de l’œil atteint et un déficit de l’abduction, la tête est tournée du côté de la paralysie oculomotrice.
Le
Formes particulières
Les paralysies supranucléaires sont des paralysies de fonction, sans diplopie. Il peut s’agir du syndrome de Foville, avec une paralysie de la latéralité ou d’un syndrome de Parinaud, avec une paralysie de la verticalité associée à une paralysie de la convergence (rechercher un pinéalome).
Dans les paralysies internucléaires, les mouvements oculaires sont normaux du côté de la lésion. Lors de mouvements du côté sain, l’œil homolatéral ne peut se porter en abduction et ne dépasse pas la ligne médiane, alors que l’œil controlatéral peut aller en abduction (une sclérose en plaques est à rechercher).
Les paralysies intra-axiales par atteinte du tronc cérébral affectent les noyaux et/ou les racines des nerfs oculomoteurs. Elles peuvent donner une paralysie de fonction et une diplopie par paralysie oculomotrice ou un syndrome alterne associant une diplopie et des signes neurologiques controlatéraux.
Causes de diplopie binoculaire
Causes traumatiques
- fracture du plancher de l’orbite, avec élévation douloureuse du globe : les explorations neuroradiologiques visualisent les traits de fracture, voire la hernie graisseuse et musculaire, sous forme d’une image en goutte dans le sinus maxillaire ;
- traumatismes avec désinsertion de la poulie de l’oblique supérieur, fracture du plafond de l’orbite : on observe une paralysie du IV ainsi qu’une douleur à la palpation de l’angle supéro-interne de l’orbite ;
- traumatisme de la fente sphénoïdale : les III, IV, VI et V1 sont alors atteints ;
- traumatisme de l’apex orbitaire : les III, IV, VI et V1 sont atteints ; une cécité monoculaire par atteinte du II s’y associe ;
- hémorragie méningée avec paralysie du VI.
Tumeurs, hypertension intracrânienne
Peuvent être en cause :
- les tumeurs de la base du crâne (syndromes alternes, syndrome de Weber, paralysie du III associée à une hémiplégie croisée avec paralysie faciale ou paralysie supranucléaire [syndrome de Parinaud]) ;
- les paralysies à valeur localisatrice en l’absence d’hypertension intracrânienne :
- lésion du noyau du III (syndrome de Weber, syndrome de Parinaud) ;
- lésion du noyau du IV (atteinte des tubercules quadrijumeaux [gliome]) ;
- lésion du noyau du VI : tumeur bulbo-protubérentielle (rechercher un neurinome de l’acoustique).
Causes vasculaires
- accident vasculaire cérébral ;
- insuffisance vertébro-basillaire (attention aux manifestations cliniques transitoires avec diplopie) ;
- anévrisme carotidien, notamment supraclinoïdien (paralysie isolée du III, violente douleur rétro-oculaire, nécessaire exploration neuroradiologique avec injection) ;
- anévrismes intracaverneux infraclinoïdiens (diagnostic angiographique) ;
- fistules artérioveineuses, souvent d’origine traumatique (diagnostic à l’artériographie carotidienne).
Diplopies douloureuses
- une migraine ophtalmique ;
- une maladie de Horton ;
- un syndrome de Tolosa-Hunt
Affections neurologiques
On évoque alors :
- une sclérose en plaques (atteinte du VI ou du III) ;
- d’autres affections neurologiques (syndrome de Guillain-Barré, sclérose latérale amyotrophique) ;
- une dégénérescence spinocérébelleuse ;
- des affections générales (diabète, paralysie du III).
Causes infectieuses
Causes musculaires
- une myasthénie ;
- une maladie de Basedow ;
- un syndrome de Kearns-Sayre, qui doit être évoqué devant une ophtalmoplégie externe progressive ou ophtalmo-myopathie mitochondriale (ptosis, atteinte progressive de tous les muscles oculomoteurs), voire une rétinopathie pigmentaire à rechercher.
Autres
Conduite à tenir
Dans la phase précoce, il faut supprimer momentanément la diplopie :
- par l’occlusion de l’œil paralysé (Opticlude, Ocusert) ;
- prismer, lorsque cela est possible, sur les verres de lunettes pour rétablir le parallélisme des rayons lumineux et supprimer la diplopie au moins en position primaire droit devant soi ;
- injecter éventuellement de la toxine botulique dans le muscle antagoniste du muscle paralysé.
Au total, en cas de diplopie récente, le bilan étiologique est prioritaire et repose sur un examen neurologique et sur une imagerie cérébrale.
Une paralysie du III avec phénomènes douloureux impose une recherche en urgence d’un anévrisme intracrânien.
1. Causes de diplopie monoculaire
• Erreurs réfractives (astigmatisme, etc.), taie cornéenne, séquelles de chirurgie cornéennes au Lasik
• Kératocônes
• Anomalies du film lacrymal
• Anomalies palpébrales (chalazion)
• Atteintes iriennes, iridodialyse, iridectomie
• Cataracte, décentrement d’un implant cristallinien, cristallin subluxé
• Maladies rétiniennes maculaires
• Causes psychogènes
2. Causes de diplopie nécessitant une prise en charge urgente
• Atteintes extrinsèque et intrinsèque du III associées à des céphalées violentes pouvant révéler un anévrisme carotidien compressif
• Infection orbitaire (cellulite) et sa complication (thrombose du sinus caverneux)
• Devant un double VI : thrombophlébite cérébrale
• Accident vasculaire du tronc cérébral (ischémique ou hémorragique)
• Fistule carotido-caverneuse post-traumatique
• Maladie de Horton avec ischémie transitoire d’un muscle
• Botulisme
• Syndrome de Guillain-Barré ou de Miller-Fisher
• Encéphalopathie de Wernicke
• Rarement dissection artérielle (touchant davantage la vertébrale)
3. Causes d’ophtalmoplégie douloureuse
Toute ophtalmoplégie peut s’accompagner d’un phénomène douloureux (sauf la myasthénie et l’ophtalmoplégie progressive extrinsèque) :
• Pseudotumeur inflammatoire ;
• Anévrisme de la communicante postérieure en voie de rupture ;
• Maladie de Horton avec ischémie musculaire ;
• Infections orbitaires (cellulite) ;
• Anévrisme, thrombose du sinus caverneux ;
• Méningiome ou autre tumeur dans le sinus caverneux ;
• Migraines ophtalmiques ;
• Tumeur, lymphome, mucocèle orbitaire ;
• Syndrome de Tolosa-Hunt (diagnostic d’élimination).
La maladie de Horton doit être évoquée devant l’installation d’une diplopie si le terrain du patient est compatible avec le diagnostic, afin d’éviter la redoutable névrite optique ischémique antérieure pouvant aboutir à une cécité irréversible. En cas de doute, une corticothérapie par voie générale est instituée d’emblée.
4. Pathologies localisées dans le sinus caverneux responsables de diplopie
• Tumeurs : carcinome nasopharyngé, métastase, lymphome, myélome, tumeur osseuse
• Thrombose septique : bactérienne, mycose, aspergillose
• Tumeurs parasellaires : méningiomes, adénomes pituitaires, crâniopharingiomes, chordomes
• Anomalies vasculaires : fistule carotido-caverneuse, anévrisme carotidien
• Atteinte granulomateuse (sarcoïdose)
• Atteinte zostérienne
5. Principales causes de paralysie oculomotrice
Traumatiques (fractures du plancher de l’orbite)
Tumeurs :
– hypertension intracrânienne : paralysie bilatérale du VI sans valeur localisatrice
– tumeurs de la base du crâne
Causes vasculaires :
– accidents vasculaires cérébraux
– anévrismes intracrâniens +++ (anévrisme de la communicante postérieure)
– fistule carotido-caverneuse
Diplopies avec exophtalmie :
– maladie de Basedow
– tumeur de l’orbite
Diplopies douloureuses :
– diabète
– anévrismes intracrâniens
– maladie de Horton
– syndrome de Tolosa-Hunt
Sclérose en plaques (paralysie du VI ; paralysie internucléaire antérieure)
Myasthénie
6. Synthèse : conduite à tenir devant une diplopie
Reconnaître une diplopie binoculaire, s’opposant aux diplopies monoculaires de causes oculaires (cornées, iris et cristallin).
Interroger le patient pour préciser :
– les antécédents ;
– le mode d’installation, brutale ou progressive ;
– les signes extra-oculaires, notamment neurologiques ;
– les antécédents généraux (terrain vasculaire, diabète, affection thyroïdienne, etc.)
Examiner :
– inspection ;
– étude de l’oculomotricité :
• motilité oculaire dans les différents mouvements du regard,
• cover-test,
• examen au verre rouge,
• test de Hess-Lancaster.
Cet examen est complété par un examen ophtalmologique complet, comportant acuité visuelle avec correction optique éventuelle, tonus oculaire, examen du champ visuel, examen du fond d’œil.
Analyser la topographie :
– paralysies oculomotrices intra-axiales : notamment syndromes alternes ;
– paralysies oculomotrices tronculaires : III complet ou partiel, IV, VI.
Rechercher la cause (traumatique, tumorale, vasculaire, etc.) : les examens à visée étiologique dépendent de l’orientation donnée par l’examen et le diagnostic topographique ; il s’agit essentiellement d’examens neuroradiologiques (tomodensitométrie, imagerie par résonance magnétique, artériographie cérébrale).
Attention ! Il faut toujours évoquer un anévrisme intracrânien, surtout chez le sujet jeune avec une paralysie du III extrinsèque partielle et du III intrinsèque.
POINTS FORTS À RETENIR
Devant une diplopie isolée, il s’agit de rechercher systématiquement des céphalées ou des douleurs associées, en particulier chez le sujet jeune afin d’éliminer :
– une rupture d’anévrisme intracrânien, surtout devant une paralysie du III associée à des signes pupillaires et à des douleurs, imposant une exploration neuroradiologique en urgence ;
– une tumeur, à l’origine de 25 % des paralysies oculomotrices, et demander systématiquement des explorations neuroradiologiques ;
– une cause neurologique, comme la sclérose en plaques, révélée par une paralysie oculomotrice dans 10 % des cas ;
– une cause infectieuse, ou musculaire (myasthénie).
Chez le sujet âgé, on recherche :
– une cause neurologique ou tumorale imposant des explorations neuroradiologiques systématiques (les tumeurs gardent la même priorité) ;
– il faut retenir ensuite comme cause fréquente les accidents vasculaires cérébraux ischémiques et hémorragiques.