Le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) a été créé au 1er janvier 2020 pour indemniser les personnes exposées à des pesticides au cours de leur activité professionnelle, ou les enfants exposés en période prénatale du fait de l’activité professionnelle de leurs parents. Il assure un traitement centralisé des demandes.
Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) a été créé le 1er janvier 2020 par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020.1 Le décret n° 2020-1463 du 27 novembre 2020 en fixe les modalités d’organisation et de fonctionnement.2 Comme l’indiquent les Prs Baldi et Lebailly, il s’agit d’une avancée importante en matière de prise en charge des maladies professionnelles causées par une exposition professionnelle ou préconceptionnelle aux pesticides.3
Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides pour les adultes
Un mode de fonctionnement centralisé par la MSA
Le FIVP permet un traitement centralisé par la Mutualité sociale agricole (MSA) de la Mayenne-Orne-Sarthe de l’ensemble des dossiers de demande de maladie professionnelle pour lequel le patient, conseillé par le médecin rédacteur du certificat médical initial (CMI), a indiqué que la pathologie était en lien avec l’exposition aux pesticides (sauf si la caisse de rattachement, au vu de l’avis de son médecin-conseil, estime que la pathologie n’est pas susceptible d’être liée à une exposition professionnelle aux pesticides).4
Le CMI et le document Cerfa de demande de reconnaissance en maladie professionnelle sont identiques à ceux des autres pathologies.
Le financement du fonds est assuré par une taxe sur la vente des pesticides et des contributions des différents régimes pour lequel le fonds instruit les demandes, à savoir :5
– le régime général de la Sécurité sociale (RGSS) ;
– le régime agricole (salariés et non-salariés) ;
– les caisses générales de Sécurité sociale (CGSS) de l’Outre-mer ;
– le régime autonome d’Alsace-Moselle.
Quatre principaux tableaux de maladies professionnelles
Il existe à l’heure actuelle quatre tableaux de maladies professionnelles désignant dans leur titre un lien avec les pesticides : trois pour le régime agricole (58 RA, 59 RA et 61 RA) et un pour le régime général de la Sécurité sociale (102 RGSS). Une synthèse de leur contenu est présentée dans le
Le cas du cancer de la prostate
Un tableau de maladie professionnelle relatif au cancer de la prostate en lien avec l’exposition aux pesticides a été créé au régime agricole, par décret du 20 décembre 2021.7 C’était une décision particulièrement attendue aux Antilles. Ce tableau permet l’indemnisation des anciens travailleurs agricoles exposés au chlordécone pendant leur activité professionnelle, dès lors qu’ils remplissent les conditions indiquées.
Par un décret du 19 avril 2022, le dernier venu des tableaux de maladies professionnelles est le tableau 102 du régime général qui concerne également le cancer de la prostate provoqué par les pesticides.8 Il n’est pas tout à fait identique à celui du régime agricole : dans le régime général, la liste des travaux susceptibles de provoquer un cancer de la prostate est limitative alors qu’elle est indicative dans le régime agricole. Le salarié qui ne respecte pas une liste indicative des travaux peut se contenter de démontrer que son exposition au risque de façon professionnelle a revêtu un caractère habituel ;9, 10 ce n’est pas le cas si la liste est limitative. Cette distinction est critiquée pour son artificialité.
Des délais de prise en charge précis
Le délai de prise en charge est le délai maximal entre la constatation de la maladie et la date à laquelle le travailleur a cessé d’être exposé. Dans le régime général et le régime agricole, c’est le délai indiqué dans le
Arbitrage à l’échelle nationale en cas de conditions non remplies
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.11 Cette décision est prise après avis du Comité de reconnaissance des maladies professionnelles (CRMP) national, instauré au sein du FIVP, et non des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), qui restent référents pour toutes les demandes sans lien avec les pesticides.12 Le fait qu’un seul comité de reconnaissance des maladies professionnelles statue permet une réponse plus homogène sur tout le territoire en matière d’exposition aux pesticides.
Le CRMP spécifique aux pesticides est composé de trois médecins :
– un médecin-conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) ou du service de contrôle médical de la MSA ;
– un médecin du travail particulièrement qualifié en matière d’exposition aux pesticides ;
– un praticien hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologies liées à l’exposition aux pesticides (qui n’est pas obligatoirement universitaire ou médecin du travail).
Les pathologies hors tableau doivent répondre à trois critères
Comme indiqué au septième alinéa de l’article L461-1 du code de la Sécurité sociale, peut également être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, lorsqu’il est établi qu’elle respecte les trois critères suivants :11, 13
– essentiellement causée par le travail habituel de la victime, c’est-à-dire que les expositions professionnelles occupent une place prépondérante (sans être nécessairement exclusive) dans la genèse de la maladie (l’absence de facteurs de risque non professionnels n’est donc pas requise) ;
– directement causée par le travail habituel de la victime ;
– ayant entraîné le décès de la victime ou une incapacité permanente (IP) d’un taux prévisible d’au moins 25 %.
Cette décision est là aussi prise après avis du CRMP instauré au sein du FIVP.12
Par exemple, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et la bronchite chronique sont absentes des tableaux de maladies professionnelles, alors qu’un récent rapport de l’Inserm14 établit une « présomption forte » d’un lien avec l’exposition aux pesticides. Dans leurs formes graves, ces maladies pourraient faire l’objet d’un avis favorable du CRMP.
Le médecin-conseil du FIVP fixe le taux d’IP, le cas échéant sur avis du médecin-conseil de la caisse d’origine.
L’employeur ne peut pas contester le taux d’IP prévisible car il n’en est pas informé initialement. Il est seulement averti de la reconnaissance de la maladie professionnelle hors tableau. En revanche, l’assuré est prévenu d’un éventuel taux prévisible inférieur à 25 % et peut le contester auprès de la commission médicale de recours amiable (CMRA).
En matière de remise en cause de l’exposition aux pesticides, la contestation se porte devant une commission médicale nationale de recours amiable.
Qui peut bénéficier d’une indemnisation ?
Il existe des critères d’éligibilité à une indemnisation par le FIVP (
L’un des intérêts du FIVP est que les non-salariés agricoles sont concernés. Ainsi, le FIVP permet une indemnisation plus équitable des exploitants agricoles.
Pour les non-salariés agricoles relevant des CGSS, de la MSA et du régime local Alsace-Moselle, il existe deux situations particulières :
– un complément d’indemnisation est à demander si la reconnaissance de la maladie professionnelle est antérieure au 29 novembre 2020 ;
– une demande de reconnaissance en maladie professionnelle est à faire, ou refaire si elle a été refusée du fait d’absence de couverture contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, pour les anciens exploitants, leur conjoint et les membres de la famille bénéficiaires d’une pension de retraite agricole qui ont cessé leur activité non salariée agricole avant le 1er avril 2002 (cette date correspond à la date de mise en place du régime d’assurance obligatoire contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des non-salariés).
Pour les non-salariés de la MSA, deux autres changements majeurs ont été mis en place avec la création du FIVP :
– la base de calcul des indemnités augmente de 5 000 € par an ;
– l’indemnisation de l’incapacité est alignée sur les taux d’incapacité permanente du régime général (auparavant, il n’y avait pas d’indemnisation si le taux était inférieur à 30 % ; désormais, le versement d’un capital ou d’une rente dépend du taux d’IP).
Quelle indemnisation ?
Le FIVP permet une indemnisation forfaitaire limitée aux prestations habituelles attribuées dans le cadre des régimes d’accident de travail-maladies professionnelles (AT-MP) du régime général de la Sécurité sociale (RGSS) et du régime agricole (RA) [
Plus de 200 dossiers par an !
En 2020, le fonds a reçu, pour la métropole, 226 dossiers de demandes de maladies professionnelles. 93 % concernaient des travailleurs de l’agriculture et 67 % des exploitants agricoles. Le taux d’avis favorables était alors de 73 %, et le fonds a reçu des demandes en proportions égales pour la maladie de Parkinson (38 %), les lymphomes (33 %) et des maladies sans tableau (28 %).
En 2021, le FIVP a traité 326 dossiers, soit une augmentation de 31 % par rapport à 2020. La proportion de demandes hors milieu agricole a augmenté de 6 % et les premiers dossiers de BPCO sont arrivés.
Le FIVP concerne aussi les enfants exposés en période prénatale
Un enfant exposé aux pesticides pendant la période prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou des deux parents peut être indemnisé par le FIVP. La demande est à effectuer directement auprès du fonds (
Quel que soit le régime d’affiliation du parent, l’enfant exposé en période prénatale peut prétendre à une indemnisation, donc même si le parent exposé professionnellement relève de la fonction publique ou des régimes spéciaux ou est un travailleur indépendant non agricole.3 En revanche, il n’y a pas d’indemnisation possible pour les enfants des riverains puisqu’il ne s’agit alors pas d’une exposition professionnelle.
Une commission de cinq membres, spécifique, a été mise en place au sein du FIVP pour instruire les demandes : il s’agit de la « commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides ». Madame le professeur Isabelle Baldi en a été nommée présidente, par un arrêté du 12 janvier 2021.
Il n’existe pas de tableaux similaires dans leur construction à ceux des maladies professionnelles pour l’indemnisation des enfants victimes d’exposition prénatale aux pesticides.4
Trois types de pathologies concernées
Les pathologies associées retenues de principe par les experts de la commission médicale d’indemnisation des enfants du FIVP sont notamment de trois types :15
– pathologies du système nerveux :
l tumeurs cérébrales,
l troubles du neurodéveloppement (par exemple, altération des capacités motrices, cognitives et sensorielles, troubles du spectre autistique…) ;
– leucémies ;
– malformations congénitales :
l fentes palatines,
l hypospadias.
Seuls 7 dossiers d’enfants ont été soumis entre 2020 et 2021, avec deux accords, un refus et quatre dossiers en cours d’instruction.
Éléments d’exposition pris en considération
Deux éléments d’exposition sont retenus par les experts de la commission médicale d’indemnisation des enfants du FIVP :
– pour le père biologique, une exposition professionnelle aux pesticides
durant les 6 mois précédant la conception (du fait d’une altération des spermatozoïdes) ;
– pour la mère biologique, une exposition professionnelle aux pesticides pendant la grossesse.
Absence de présomption d’imputabilité
Concernant les enfants victimes des pesticides, il n’y a pas de présomption d’imputabilité. Par conséquent, c’est à leurs représentants légaux (ou ses ayants droit s’il est décédé) d’apporter tout document pour étayer leur demande. Les dossiers sont ensuite étudiés par la commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides.16-19 La commission se prononce (sur la base des éléments constitutifs du dossier et les éléments recueillis dans le cadre des investigations) sur le lien de causalité entre la pathologie de l’enfant et son exposition prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou l’autre de ses parents à des pesticides.
Une indemnisation forfaitaire
L’indemnisation est forfaitaire, comme pour les adultes, et les règles d’indemnisation des enfants sont définies par un arrêté du 7 janvier 202215 (
À titre d’exemples, le taux d’atteinte est évalué à la consolidation de l’état de santé de la victime :
– entre 10 et 15 % en cas de suivi médical ou psychologique réalisé après les traitements dans un contexte de leucémie ;
– entre 10 et 15 % en cas de suivi médical ou psychologique réalisé après les traitements dans un contexte de tumeur cérébrale ;
– entre 40 et 60 % en cas de troubles du développement neuropsychomoteur, à la fin des traitements de la victime en contexte de tumeur cérébrale ;
– entre 30 et 50 % en cas d’atteinte des fonctions hormonales ou de problèmes de croissance, lorsque la tumeur cérébrale a été traitée par radiothérapie.
Dans un article paru le 11 mars 2022 sur le site Village de la justice, Morgane Privel et Stéphanie Paucod, avocates, apporte une vision juridique et critique de cette indemnisation.20
Comment accéder au FIVP en pratique ?
Le rôle premier de tout médecin est de penser au lien entre pathologies constatées et exposition aux pesticides. Comme l’énonce le professeur de médecine du travail Paul Frimat concernant les cancers professionnels, « face à tout diagnostic de cancer, le médecin doit interroger le patient sur son métier »21 et ne pas se contenter de la réponse « retraité ». Il en est de même pour la BPCO par exemple, ou encore pour la leucémie chez l’enfant…
Des formulaires différents selon le régime
Le site internet du FIVP regroupe l’ensemble des informations et des formulaires nécessaires pour faire une demande d’indemnisation (
La MSA dispose de ses propres formulaires, un pour les salariés et un autre pour les non-salariés.
Enfin, la caisse départementale d’assurance-accidents agricoles (CAAA) dispose de formulaires pour chaque département d’Alsace-Moselle.
Le médecin rédige le certificat médical initial
Le rôle du médecin traitant ou du médecin en charge de la prise en charge thérapeutique est d’accompagner le patient en rédigeant le certificat médical initial sur le document Cerfa spécifique aux accidents de travail et maladies professionnelles (AT-MP) pour les personnes majeures, ou un certificat sur papier libre attestant de la pathologie pour les enfants, et en leur remettant des copies de l’ensemble des comptes-rendus médicaux qu’ils jugent adaptés de joindre à la demande. Les formulaires ont été modifiés récemment par l’Assurance maladie : l’avis d’arrêt de travail (en maladie ordinaire) et le certificat médical initial ou de prolongation AT-MP, établis par les médecins, ont fusionné pour leur partie arrêt de travail depuis le 7 mai 2022.
Pour les adultes, l’enquête administrative sur la réalité des expositions est ensuite confiée aux services de l’Assurance maladie, sauf pour la MSA où ce sont le médecin du travail et son équipe qui en sont responsables.
Des maladies professionnelles sous-déclarées
L’essentiel pour les médecins est d’avoir des notions sur les pathologies concernées par les tableaux de maladies professionnelles et de diffuser l’information aux patients. Il existe en effet une sous-déclaration des maladies professionnelles et notamment de celles en lien avec l’exposition aux pesticides.
Le FIVP en pratique
• https://fonds-indemnisation-pesticides.fr/
• 0 800 08 43 26 (numéro vert, appel gratuit) du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 16 h 30 (heure de Paris).
• Les dossiers pour les adultes sont à adresser à la caisse de rattachement habituelle.
• Les dossiers pour les enfants sont à adresser directement au FIVP à l’adresse suivante :
Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, MSA Mayenne-Orne-Sarthe, 30, rue Paul-Ligneul, 72032 Le Mans Cedex 9