Presque toutes les fonctions de l’organisme sont soumises au rythme circadien , ce cycle biologique de 24 heures régulant divers processus physiologiques – y compris l’homéostase du glucose. Des études expérimentales sur des animaux et de petites cohortes humaines ont montré que l’exposition à des schémas lumineux capables de perturber ces rythmes peut être associée à des altérations de la sécrétion d’insuline et d’autres paramètres métaboliques (profil lipidique, poids...). D’autres études ont trouvé une association entre l’exposition à la lumière estimée par des données satellitales sur différentes zones et la prévalence et l’incidence du diabète de type 2 (DT2).
Toutefois, aucune étude sur une vaste cohorte n’avait exploré jusqu’ici le lien entre l’exposition à la lumière à l’échelle individuelle – que des données satellitaires ne montrent pas – et le risque d’avoir un DT2. Une étude sur la cohorte nationale britannique UK Biobank s’y est attelée. Ses résultats viennent de paraître dans le Lancet .
Près de 85 000 personnes et plus de 13 millions d’heures d’exposition lumineuse analysées
L’étude, conduite entre 2013 et 2016, a inclus 84 790 personnes de la cohorte UK Biobank (âge moyen : 62,3 ans ; 58 % de femmes) ; les personnes ayant déjà un diagnostic de DT2 ont été exclues.
L’exposition de chaque personne à la lumière au cours de la journée et de la nuit était calculée grâce au port d’un capteur de lumière au poignet. Mesurées sur une semaine, ces données ont permis de classer la cohorte en percentiles selon leur niveau d’exposition : le groupe de référence (0 à 50 %), contenant les personnes les moins exposés à la lumière (< 1 lux la nuit), et successivement les percentiles 50 - 70 %, 70 - 90 % et jusqu’au 90 - 100 % (personnes les plus exposées à la lumière).
Ces données ont aussi servi à estimer l’amplitude et la phase du rythme circadien de chaque participant afin d’identifier ceux chez qui les schémas d’exposition lumineuse influaient le plus sur l’horloge circadienne, par exemple en réduisant l’amplitude (diminution des fluctuations quotidiennes des paramètres tels que température corporelle, production d'hormones, cycles de veille-sommeil) ou en en décalant les phases (endormissement plus précoce ou plus tardif...).
Pendant un suivi d’une durée moyenne de 8 ans, 1 997 cas de DT2 ont été diagnostiqués dans la cohorte. Le risque de survenue d’un DT2 en fonction de l’exposition à la lumière et des paramètres du rythme circadien a été estimé dans des modèles ajustant pour des variables telles que : âge, sexe, ethnicité, statut socioéconomique, habitat urbain ou rural, tabagisme, consommation d’alcool, régime alimentaire, activité physique, voire – dans les analyses plus poussés – paramètres cardiométaboliques, durée du sommeil, santé mentale et exclusion des travailleurs nocturnes...
Une plus grande exposition nocturne à la lumière prédit le risque de DT2
Une relation dépendante de la dose a été retrouvée entre l’exposition à la lumière pendant la nuit (entre 00 h 30 et 6 h) et un risque accru de survenue d’un DT2. Ainsi, comparées aux personnes les moins exposées à la lumière la nuit, les personnes des percentiles 50 - 70 %, 70 - 90 % et 90 - 100 % avaient une augmentation du risque de DT2 allant de 28 à 33 %, 39 à 44 % et 53 % à 67 % respectivement, en fonction des différents modèles statistiques utilisés. Cette relation était observée aussi bien chez les femmes que chez les hommes, sans différence significative.
L’association était conservée après ajustement pour les variables mentionnées ci-dessus. En particulier, même en ajustant pour la durée du sommeil en plus des autres variables, un sur-risque de 25 %, 32 % et 39 % demeurait respectivement pour les percentiles 50 - 70 %, 70 - 90 % et 90 - 100 %.
En outre, en comparant ces résultats à ceux des scores polygéniques prédisant le risque de DT2, les chercheurs ont établi que la différence de risque de survenue d’un DT2 entre les groupes les moins exposés et les plus exposés à la lumière la nuit était comparable à la différence observée entre les personnes ayant un risque génétique bas et un risque génétique modéré.
Quel serait le mécanisme impliqué ?
Le risque de DT2 apparaissait plus élevé pour les personnes dont l’amplitude circadienne pouvait être réduite et/ou la phase circadienne avancée ou retardée par les schémas lumineux par rapport à la moyenne du groupe.
Ces résultats sont en accord avec ceux de travaux expérimentaux et épidémiologiques montrant que l’exposition aux facteurs environnementaux capables de perturber les rythmes circadiens est liée à la physiopathologie du DT2. Par exemple, le dérèglement du rythme circadien par l’exposition à la lumière peut altérer la sécrétion d’insuline et la production hépatique de glucose, en les désynchronisant par rapport aux cycles comportementaux de nutrition, sommeil et activité physique. Un décalage circadien persistant pourrait ainsi entraîner des taux de glucose postprandiaux élevés et favoriser le développement du DT2 par l’inflammation des adipocytes et la résistance à l’insuline.
Les résultats de cette étude indiquent que la réduction de l’exposition à la lumière pendant la nuit pourrait être une stratégie simple pour réduire le risque de DT2, y compris pour les personnes ayant un risque génétique élevé.
Les auteurs avertissent néanmoins que des études interventionnelles sont encore nécessaires pour établir un lien causal, et que de futurs travaux devraient aussi s’intéresser à des cohortes plus jeunes (l’âge moyen de celle-ci étant 62 ans, ses résultats ne sont pas généralisables) et tenir compte des facteurs non inclus dans cette analyse, notamment le moment de la prise des repas, qui peut aussi altérer les rythmes circadiens.