Synthèse de l’article : Fiquet JM, Delage P, Ruffie S. Dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA : recommandations divergentes, incertitudes médicolégales. Rev Prat 2021 ;71(6) ;605 - 11.
Une véritable polémique entre théoriciens et praticiens !
Ce sujet fait l’objet de divergences marquées d’opinions, qui parfois ont atteint le niveau d’une véritable polémique. Les généralistes ont même évoqué un « lobbying intense de la part des urologues français par l’intermédiaire de l’AFU ». De tels propos, même très argumentés, sont excessifs et ne font qu’aggraver les interrogations légitimes des patients et de leur médecin.
Deux intérêts concomitants sont en jeu :
– celui du patient, avec la détection à temps d’une maladie potentiellement curable, au prix d’une thérapeutique la mieux adaptée et la moins invalidante ;
– celui du praticien, afin d’éviter un risque de mise en cause pour manque de diligence dans l’établissement d’un diagnostic à l’origine pour le patient d’une perte de chance, ce qui pour le praticien revient à retenir à son encontre un comportement fautif.
Que faire, dès lors, en pratique ? Sur quelles recommandations « caler » cette pratique quotidienne ?
Des recommandations contradictoires ?
Dans un dernier document datant de mai 2013, la HAS confirmait sa position : la balance bénéfice-risque est en défaveur du dépistage systématique, en population générale, du cancer de la prostate.
En revanche, l’AFU recommandait « une détection précoce individualisée du cancer de la prostate, avec une information éclairée sur les modalités, les enjeux et les risques éventuels liés aux différentes stratégies de prise en charge, avec pour objectif essentiel de ne pas méconnaître un cancer agressif… ». Mais on note une évolution pour les dernières recos de l’AFU de 2020 - 2022. Il y est clairement reconnu que « dans la population générale, le bénéfice d’un dépistage n’a pas été strictement prouvé. Il n’est pas recommandé… » sauf cas d’espèce très précis (patients porteurs d’une mutation de BRCA2 et HOXB13, gènes de réparation de l’ADN). Les préconisations détaillées portent à nouveau exclusivement sur la détection précoce :
– hommes avec une survie estimée > à 10 ans ;
– information (y compris les modalités thérapeutiques, dont la surveillance active, et leurs risques de morbidité induite potentiels) et recueil du consentement ;
– recherche d’antécédents familiaux de cancer de la prostate ;
– recherche d’une origine africaine ou afrocaribéenne ;
– toucher rectal et dosage du PSA total ;
– de 50 à 70 ans ;
– tous les 2 à 4 ans ;
– fréquence éventuellement allongée si PSA total < 1 ng/mL à 45 ou 60 ans (mais grade de recommandation faible).
Ces recommandations sont-elles réellement divergentes ?
Pour retenir une telle qualification, encore faudrait-il que leur objet soit identique.
La HAS envisage, pour lui dénier tout intérêt, « un dépistage systématique organisé » alors que l’AFU propose « une détection précoce individualisée ».
Le distinguo est clairement explicité dans les récentes recos de l’AFU : le dépistage du cancer de la prostate consiste à rechercher la maladie de façon systématique dans une population asymptomatique, alors que la détection précoce consiste à rechercher la maladie chez un patient asymptomatique considéré individuellement, avec un objectif spécifique individuel. Il s’agit d’une pratique médicale réalisant la synthèse de données scientifiques et des objectifs de santé propres au patient, issue d’un colloque singulier entre un médecin et ce patient.
Quels sont leurs arguments respectifs ?
Divergences
La HAS s’appuie sur les conclusions de l’étude randomisée PLCO (Prostate, Lung, Colon and Ovarian cancer screening) conduite entre 1993 et 2001, qui concluait à l’inutilité du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA.
L’AFU s’appuie sur l’European Randomised Study of screening for Prostate Cancer (ERSPC) publiée en 2014, qui montre un gain de survie spécifique de 21 % à 16 ans, concernant des hommes européens âgés de 55 à 69 ans.
Une autre étude1 a montré que la suppression du dépistage du cancer de la prostate pourrait multiplier par 3 l’incidence de ce cancer à un stade avancé avant diagnostic.
Quant à l’étude PLCO, elle a fait en 2017 l’objet de critiques2,3 contestant sa validité.
L’étude anglaise CAP de 2018,4 portant sur plus de 400 000 patients âgés de 50 à 69 ans, conclut que, dépistage ou non, la mortalité à 10 ans, spécifique et globale, est identique. Mais là aussi, cette étude avait des faiblesses méthodologiques !
Convergences
Les protagonistes sont en revanche entièrement d’accord sur un point : la nécessité de délivrer une information claire, objective et hiérarchisée, sur le diagnostic mais aussi sur les modalités thérapeutiques du cancer de la prostate, intégrant la surveillance active et les éventuelles séquelles des prises en charge.
Une « hiérarchie des normes » ?
En cas de désaccord certain entre les recommandations émanant de ces deux protagonistes, quelles sont celles qui ont la plus grande force prégnante et devraient donc, en conséquence, s’imposer aux praticiens ?
C’est en quelque sorte poser le problème d’une certaine « hiérarchie des normes » qui, au moins en théorie, devrait être à l’avantage de la HAS dont la « hauteur » institutionnelle représente l’atout majeur. Mais concernant l’AFU on notera la régulière actualisation de ses recommandations en fonction des données scientifiques évolutives et « sans cesse enrichies par de nouvelles études », ce qui permet de les optimiser, sans délai, au mieux des intérêts des patients.
Les recommandations, partie intégrante des données acquises de la science, s’imposent en principe au médecin et lui sont opposables. Mais, dès lors, lesquelles appliquer lorsqu’elles ne concordent pas ? Une réponse simple est difficile à formuler, mais la liberté de prescription, principe fondamental qui reste reconnu dans ce contexte d’incertitude, doit lui permettre, au cas par cas, d’agir au mieux de l’intérêt de son patient, qu’il aura pris le soin d’informer le plus objectivement possible.
État actuel de la jurisprudence : un seul cas
À ce jour, une seule décision permet d’apprécier le point de vue du juge, en cas de contestation, sur ce sujet. Le tribunal de grande instance de Troyes, le 22 mars 2013, en première instance, « avait débouté un patient atteint d’un cancer de la prostate qui réclamait réparation à son ancien médecin traitant en lui faisant grief de lui avoir prescrit de manière tardive un dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA ».
La cour d’appel de Reims, en janvier 2015, a confirmé ce jugement de relaxe du médecin, en soulignant deux problèmes :
– « … (la question) de savoir si ce dosage devait intervenir dans le cadre d’un dépistage en l’absence de tout symptôme ou dans le cadre d’un dépistage individuel en présence de symptômes. Il apparaît effectivement pour les motifs pertinents développés, par le tribunal et que la Cour adopte, que les développements mêlent systématiquement les considérations propres au dépistage individuel avec celles relatives au dépistage de masse » ;
– « l’absence de consensus scientifique sur l’opportunité préventive du dosage systématique de l’antigène de la prostate », en relevant les opinions contradictoires de la HAS, de l’Académie de médecine et de l’AFU.
Mais la Cour de cassation casse l’arrêt précédent et renvoie devant la cour d’appel de Paris (arrêt du 25 janvier 2018). Le nouvel arrêt (qui fera lui-même l’objet d’un pourvoi en cassation 1re Civ. 9 mai 2019, n° 18 – 14 344, rejeté) retient, in fine, à l’encontre du médecin traitant une perte de chance pour son patient (et donc une faute !) de 30 %.
Quelle attitude pratique doit donc adopter le médecin ?
Confronté à la réalité quotidienne, conscient des enjeux pour son patient et pour lui-même, que doit faire le médecin, à son niveau de praticien de terrain ?
Il voit bien les résultats des études, pourtant approfondies, être systématiquement contestés du fait de défauts méthodologiques dont il ne comprend pas toujours la subtilité, et leurs conclusions péremptoires, ne représentant que la vérité d’un moment, décrédibilisées.
Doit-il, au vu de la décision judiciaire rappelée précédemment, se croire potentiellement « protégé » par une prescription biologique systématique qui souvent, à tort, réduit à elle seule la démarche diagnostique ?
Mais la prescription sans nuance du dosage du PSA, outre son coût financier (se rappeler la proposition finalement non retenue dans le Plan cancer 3 du non-remboursement des dosages de PSA demandés sans signe d’appel clinique chez des hommes sans risque élevé) a pu conduire à ce qui a été qualifié de « surdiagnostic » et de « surtraitement », ce dernier n’étant pas profitable au patient !
Il faut reconnaître que le dosage du PSA sérique total dans le dépistage du cancer de la prostate a une performance médiocre.
Le choix ne peut se résumer à « faire ou ne pas faire », sans autre nuance. C’est là qu’intervient finalement « la liberté de prescription » du praticien, qui lui confère ce pouvoir de décision circonstanciée, qui a cependant pour corollaire l’inconfortable interrogation sur le bien-fondé de la proposition faite… ou non faite.
C’est là aussi que se pose la réelle objectivité de l’information délivrée qui ne doit pas influencer la décision personnelle du patient ; on pressent à ce niveau une réelle difficulté pour le praticien, forcément orienté par sa conception propre des choses ou par ce qu’il a retenu de ses différentes lectures. Et il est bien banal de dire que seul l’intérêt du patient devrait prévaloir !
La « solution » la plus satisfaisante réside dans la délivrance d’une information parfaitement loyale, en insistant sur les conséquences possibles subséquentes de cet acte si simple (biopsies, investigations paracliniques, traitements aux conséquences jamais anodines et d’autant plus regrettables s’ils n’étaient pas impératifs…) au patient, qui participera, in fine, à la décision qu’en toute connaissance de cause il estimera la meilleure pour lui.
2. Shoag JE, Hu JC. Reevaluating PSA Testing Rates in the PLCO Trial. N Engl J Med 2016;374:1795-6.
3. Tsidikov A, Gulati R, Heijnsdijk EAM, et al. Reconciling the effects of sreening in prostate cancer mortality in the ERSPC and PLCO trials. Ann Intern Med 2017;167(7):449-55.
4. Martin RM, Donovan JL, Turner EL, et al. Effect of a Low-Intensity PSA-Based Screening Intervention on Prostate Cancer Mortality: The CAP Randomized Clinical Trial. JAMA 2018;319(9):883-95.
Dans cet article
- Une véritable polémique entre théoriciens et praticiens !
- Des recommandations contradictoires ?
- Ces recommandations sont-elles réellement divergentes ?
- Quels sont leurs arguments respectifs ?
- Une « hiérarchie des normes » ?
- État actuel de la jurisprudence : un seul cas
- Quelle attitude pratique doit donc adopter le médecin ?