J’ai choisi de consacrer le dernier billet avant l’été à un sujet pas du tout académique, pas toujours politiquement correct, transposable à toutes les professions qui reposent sur les rapports humains, et qui s’enrichit tout au long d’une carrière. Il s’agit de ce que j’appellerais « les petits plaisirs et les petits agacements des consultations ». Numéro à ne pas laisser traîner en salle d’attente… 

Nous avons la chance, en exerçant la médecine générale en cabinet, de recevoir des personnes respectueuses, polies, souvent pleines de gratitude, en tout cas dans l’immense majorité des cas. La possibilité, en France, de pouvoir choisir son médecin traitant permet au patient de s’orienter vers un praticien dont la personnalité lui convient, et ce choix humain n’est jamais critiquable. Mais, même avec la ­patientèle la plus agréable au monde, les rapports humains qui remplissent nos journées sont forcément riches en mots doux ou moins doux, en comportements adaptés ou un peu moins…

Par exemple, le patient qui habite dans l’immeuble mais arrive en retard, celui qui est à la retraite mais réserve systématiquement le créneau le plus tardif vont nous irriter, avant même de leur avoir dit « bonjour ». A contrario, certains patients ont toujours un grand sourire et un petit mot gentil quand on va les chercher en salle d’attente, alors qu’a priori, s’ils sont là, c’est que quelque chose ne va pas.

Le cadeau (souvent offert par les patients pour qui l’on n’a pourtant pas le sentiment d’avoir fait des choses extraordinaires) fait toujours plaisir, même si c’est la quatrième boîte de truffes du jour ! Il vient annuler la crispation apportée par celui qui commence en disant « Comme vous n’étiez pas là/pas dispo/pas joignable, docteur... »

Après une consultation un peu longue, comme celle pour un nourrisson avec conseils à la parentalité, qui nous a fait prendre du retard – et n’est accessoirement pas facturée deux fois plus cher –, on supporte difficilement le rhabillage complet, la mise dans la poussette avec fermeture du harnais 5 points, le rabattage de la capote, la couverture par-­dessus, l’arrimage de la tétine et du doudou, en se disant que tout ça aurait pu être fait en salle d’attente… 

En revanche, le patient qui remarque tout de suite la nouveauté (décoration ou mobilier du cabinet) ou qui nous trouve bonne mine/rajeunie/amincie donne instanta­nément le sourire ! Mais la ligne à ne pas franchir est ténue et subtile, car certaines remarques peuvent vite paraître déplacées (sur l’habillement, la fatigue…), venant d’ailleurs souvent des mêmes patients un peu désagréables dans le contact, trop familiers, trop intrusifs…

Concernant la prise en charge, vous reconnaîtrez l’agacement généré par les éternels « Je n’aurais pas dû, mais j’ai regardé sur internet » ; « le kiné/l’ostéo/mon voisin/ma mère/mon chien... M’A DIT QU’IL FAUT QUE vous me prescriviez... » (puis, en général, perd son ordonnance…).

C’est néanmoins toujours agréable quand le patient réalise qu’on avait raison sur la prise en charge par rapport à ce qu’il imaginait (on aime tous avoir raison !), et le toujours gratifiant « Merci du temps que vous prenez ».

Un agacement évident vient enfin de l’aspect administratif (ce qui occupera un jour un article à part entière), avec petite mention spéciale pour le projet d’accueil individualisé (PAI) et les ordonnances demandées par les crèches. Sans remettre totalement en question leur pertinence – réelle dans de rares cas –, ils sont en général demandés en dehors des consultations et ont un service médical rendu d’une nullité absolue. À noter que les lois existantes pour diminuer cette charge ne sont pas forcément respectées, avec parfois une certaine ambivalence des parents (mot d’absence pour l’école pour un simple rhume, peut-être car le parent n’assume pas complètement d’avoir fait rater l’école quand l’enfant est apparemment en pleine forme et déménage l’entièreté du cabinet… ?).

J’espère que la lecture de cette page ne fera pas oublier les nombreux sentiments positifs générés par les consultations de médecine générale, sensation d’entrer dans l’intimité du patient qui s’ouvre à nous, pour de bonnes raisons et avec une écoute sincère.

On peut d’ailleurs s’interroger sur le choix de l’appellation « médecin traitant », ce terme – dont l’opposé serait « mal­traitant » (!) – ne résume probablement pas si bien que ça notre fonction. Quelques suggestions pour le prochain ministre qui voudrait réformer : « médecin soignant » ? probablement pas assez spécifique ; « médecin référent » ? déjà tenté sans succès ; « médecin écoutant » ? trop partiel ; « médecin de premier recours » ? probablement le plus proche de la réalité.