Douleur en santé mentale
Des populations vulnérables
Dans ces circonstances, les dimensions psychologiques, toujours présentes dans la douleur, sont plus importantes. Des facteurs psychosociaux ou des mécanismes psychocomportementaux sont plus facilement à l’œuvre.
Les déterminants de santé et de maladie particuliers à ces populations sont vus dans le cadre des items dédiés. Cela concerne des situations comme celles des majeurs protégés ou bien encore des personnes hospitalisées contre leur volonté. Cela concerne des situations de personnes ayant des perturbations de la communication ou des perturbations du comportement.
Causes des douleurs
Les troubles somatiques sont plus fréquents qu’en population générale. L’existence d’un trouble de santé important, ici psychiatrique, peut amener le patient et ses soignants à prêter moins d’attention aux autres problèmes de santé. Il peut y avoir un retard diagnostique et un retard de soin. La perturbation de l’attention portée à leur propre personne amène certains patients psychiatriques à une négligence personnelle.
Un trouble psychiatrique chronique ou un trouble déficitaire du développement s’associe fréquemment à des comportements de santé à risque : sédentarité, tabagisme, déséquilibre alimentaire. Ils favorisent l’apparition d’un syndrome métabolique et d’autres problèmes de santé.
Enfin, il faut souligner que les douleurs liées à un geste autoagressif et à ses soins doivent faire l’objet de la même attention que les autres douleurs.
Particularités cliniques de la douleur chez le patient psychiatrique ou à troubles du développement ou à troubles de la personnalité
Douleur chez le patient souffrant d’anxiété
Douleur dans la dépression
Les douleurs corporelles sont fréquentes dans la dépression : douleurs musculaires, cervicalgies, céphalées, lombalgies, douleurs articulaires, thoraciques ou abdominales. En population déprimée ambulatoire, 77 % des patients présentent des douleurs et 24,5 % des douleurs chroniques. Le taux s’élève à 92 % des patients déprimés hospitalisés pour un épisode dépressif majeur qui présentent une douleur et 76 % plusieurs douleurs.
La dépression masquée, parfois évoquée, serait une dépression qui se développerait à l’insu du patient et du médecin. Dans toute situation, comme la douleur, susceptible d’être associée à une dépression, il faut rechercher les signes de dépression. La douleur morale est un symptôme de dépression caractérisée, synonyme d’une grande souffrance psychologique. Elle n’est pas le versant psychologique de la douleur physique.
Douleur dans les troubles à symptomatologie somatique
Douleur dans la schizophrénie
Douleur dans l’autisme
Douleur dans les addictions
Troubles de la personnalité
Particularités psycho- et physiopathologiques de la douleur en santé mentale
Anxiété
Les personnes souffrant d’un trouble anxieux rapporteraient plus souvent de la douleur parce qu’elles ont tendance à avoir une attention plus centrée sur ce symptôme.
L’anxiété est une composante émotionnelle habituelle de la douleur aiguë et de la douleur chronique.
Dépression
Dans la composante émotionnelle de la douleur chronique s'observent des symptômes cliniques de dépression.
La dépression est une conséquence fréquente de la douleur chronique (17 à 22 % des patients douloureux chroniques).
On décrit le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive ou le trouble dépressif dû à une autre affection médicale qui sont une dépression réactionnelle au stress de la douleur-maladie et de symptomatologie atténuée par rapport au trouble dépressif caractérisé.
Troubles à symptomatologie somatique
Schizophrénie
Les symptômes positifs, comme les hallucinations et le délire, pourraient entraîner des changements dans la perception de la douleur et empêcheraient l’adoption d’un comportement adapté lors d’une expérience douloureuse.
Les anomalies dopaminergiques de la schizophrénie seraient associées à une perte d’efficacité des mécanismes endogènes de contrôle de la douleur. Il n’existe cependant pas de différence entre les contrôles inhibiteurs diffus nociceptifs des schizophrènes et des sujets contrôles. En revanche, les schizophrènes montrent une diminution de la sensibilisation à la douleur, qui est un phénomène physiologique de défense contre les stimulations nociceptives répétées.
Autisme
L’automutilation pourrait être la réponse d’un patient autistique à une douleur préexistante non détectée et non soulagée.
Addiction
Évaluation
Dans ce cas, les outils habituels sont utilisés en fonction de l’âge du patient. On accorde une préférence aux outils d’auto-évaluation de la douleur.
En cas de troubles de la communication et selon l’âge, les outils d’hétéro-évaluation actuellement disponibles pour l’enfant, pour la personne polyhandicapée, pour la personne âgée dyscommunicante sont utilisés à défaut des évaluations spécifiques.
Il existe des éléments d’évaluation spécifique.
Il est possible d’utiliser l’échelle des 6 visages, employée chez l’enfant, et qui permet une auto-évaluation de la douleur en psychiatrie.
Il est possible d’utiliser l’évaluation de l’expression de la douleur chez l’adolescent ou l’adulte polyhandicapé (EDAAP) [
Pour l'enfant, il existe la grille d’évaluation de la douleur déficience intellectuelle (GED-DI) [
En toutes circonstances, il faut accorder beaucoup d’importance à l’entrée en contact avec le patient. L’examen somatique doit être systématique. Il est utile médicalement et rassurant pour le patient.
Particularités de la prise en charge de la douleur en santé mentale
Un diagnostic plus difficile
L’environnement est à considérer. Si le patient vit à son domicile, le niveau d’autonomie est à apprécier. Si le patient réside dans un lieu de vie adapté, on utilise l’équipe d’encadrement, ou de soin, ou médico-sociale pour obtenir des informations complémentaires. Enfin, si le patient est hospitalisé, l’équipe soignante est mise à contribution.
Organiser le dépistage de la douleur et sa prévention est indispensable
Prévention des maladies somatiques en santé mentale
La promotion de la santé est prioritaire parmi les populations vulnérables, comme les populations présentant des troubles psychiatriques ou des troubles du développement. Ceci contribue à une prévention des maladies et à une réduction de la surmorbidité et de la surmortalité présentes par exemple chez les patients schizophrènes.La douleur doit être systématiquement recherchée et prévenue. Elle est un élément clinique important du dépistage des différentes maladies sur-représentées chez les patients psychiatriques les plus chroniques.
Prévention de la douleur
Elle est systématique en santé mentale comme dans tout domaine de la médecine. Elle s’appuie sur une organisation adaptée au contexte de soin du patient : protocoles et recommandations, Comité de lutte contre la douleur (CLUD), formations des professionnels de santé , parcours de soin adapté.Traitements de la douleur en psychiatrie
Des particularités doivent être évoquées. Moins un patient a conscience de son trouble et moins il risque d’en respecter le traitement. On souligne l’importance de l’entretien motivationnel pour obtenir son adhésion. Certains psychotropes sont antalgiques. D’autres apaisent des symptômes associés : anxiété, dépression, insomnie, agitation. Les neuroleptiques ne possèdent pas d’effet antalgique prouvé.
On utilise les compétences remarquables de la santé mentale en ce qui concerne les traitements non médicamenteux. C'est en effet de ce milieu que sont issues les psychothérapies, les thérapies psycho-corporelles, voire la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS).
Il faut savoir que la réglementation n’autorise pas que des soins non psychiatriques soient imposés, y compris à des patients hospitalisés pour des soins sans consentement.
Addiction
Avant la mise en route du traitement antalgique
Nombre d'antalgiques, comme les opioïdes, les gabapentinoïdes, la kétamine, possèdent une action psychotrope : sédation, stimulation, euphorie. Le risque addictif doit être anticipé. Il est plus fréquent en cas de troubles psychiatriques, notamment en cas d’anxiété ou de dépression, en cas d’antécédent d’addiction ou de dépendance quelle qu’elle soit (Chez un patient toxicomane nécessitant une antalgie, le prescripteur augmente le traitement jusqu’à obtention de l’effet antalgique. Les doses sont parfois plus importantes que celles attendues chez un sujet non toxicomane.
Repérage d’addiction débutante pendant un traitement antalgique
Ce repérage repose sur une augmentation non justifiée des doses de médicaments antalgiques, une multiplication des prescriptions et des prescripteurs, un maintien ou une augmentation des doses en dépit des effets indésirables, le besoin impérieux d’obtention du traitement antalgique, le maintien du médicament antalgique malgré une absence d’efficacité significative sur la douleur (POINTS FORTS À RETENIR
La douleur en santé mentale est emblématique de la prise en charge satisfaisante ou non des problèmes somatiques du patient psychiatrique surtout lorsque celui-ci est déficitaire, désocialisé, donc plus vulnérable.
L’amélioration nécessaire de la prise en charge de la douleur en médecine se double, en santé mentale, du défi de la médicalisation d’un patient à morbidité et mortalité préoccupantes.
1. DDOPP : dépistage du risque addictif avant traitement antalgique en 5 questions
Douleur
Les causes et les mécanismes de la douleur sont-ils établis ?
Dépendance
Le patient fume-t-il sa première cigarette dès le matin ?
Boit-il régulièrement de l’alcool ?
A-t-il déjà présenté une addiction ?
Opioïdes
Le patient comprend-il la place limitée des opioïdes dans son traitement ?
Psychologie
Le patient est-il anxieux ou dépressif ? Ou instable ?
Psychotropes
Le patient prend-il des anxiolytiques ou des hypnotiques comme les benzodiazépines ? ou des antidépresseurs ? ou des régulateurs d'humeur ?
2. POMI () : repérage d’un comportement addictif débutant
Le POMI est un bref questionnaire de 6 questions qui paraît sensible et spécifique pour des patients sous opioïdes.
Vous arrive-t-il de prendre plus de médicaments (c’est-à-dire une dose plus importante) que ce qui vous est prescrit ?
Vous arrive-t-il de prendre plus souvent vos médicaments (c’est-à-dire de raccourcir le temps entre deux prises) que ce qui vous est prescrit ?
Vous arrive-t-il de faire renouveler votre traitement contre la douleur plus tôt que prévu ?
Vous arrive-t-il de vous sentir bien ou euphorique après avoir pris votre médicament antalgique ?
Vous arrive-t-il de prendre votre médicament antalgique pour vous aider à faire face ou à surmonter des problèmes autres que la douleur ?
Vous est-il arrivé de consulter plusieurs médecins, y compris les services d’urgence, pour obtenir vos médicaments antalgiques ?
3. Signes de dépendance à rechercher pendant le traitement. Recommandations de Limoges 2010
Les recommandations de Limoges (2010) proposent des signes de dépendance à rechercher pendant le traitement
Augmentation inhabituelle des doses
Majoration de la plainte douloureuse sans aggravation de la pathologie
Prescription par de multiples praticiens
Absence de production des ordonnances
Prescriptions ou traitements perdus
Résistance au changement de traitement
Refus des génériques
Détérioration des activités sociales, familiales et professionnelles
Troubles du caractère, modification du sommeil
Signes de sevrage physique
Douleur chez la personne vulnérable
Il peut s’agir d’un patient schizophrène ou autiste ayant un syndrome métabolique et souffrant d’un accident de santé comme, par exemple, une embolie pulmonaire manifestée par une recrudescence d’anxiété.
Il peut s’agir d’un patient douloureux souffrant d’un trouble anxieux ou d’un trouble dépressif, éventuellement caractérisé. Si le rapport de causalité entre anxiété ou dépression et douleur n’est pas clairement établi, il faut utiliser le concept de comorbidité et considérer chacun des troubles, d’un côté l’anxiété et/ou la dépression et d’un autre côté la douleur. Les traitements communs seront considérés en priorité.
Il peut s’agir de l’initiation d’un traitement antalgique chez un patient souffrant de dépendance ou à risques addictifs. Il pourrait s’agir d’un patient prenant des antalgiques et débutant un comportement addictif.hémorragique intrabuccale. Il était demandé de mentionner les examens à réaliser en urgence, notamment l’hémogramme ; et de décrire par la suite les résultats de cet examen : neutropénie, anémie normochrome et thrombopénie, orientant vers une leucémie aiguë.
ECN 2021 – Patient de 67 ans adressé aux urgences pour une pneumonie aiguë communautaire à pneumocoque. Il était demandé d’interpréter l’hémogramme retrouvant une anémie, une thrombopénie, une polynucléose neutrophile et une hyperlymphocytose. L’aspect morphologique devait faire évoquer une leucémie lymphoïde chronique.
HAS. Parcours de santé d’une personne présentant une douleur chronique. HAS, février 2023.
Serra E, Saravane D, de Beauchamp I, Pascal JC, Peretti CS, Boccard E. La douleur en santé mentale : première enquête nationale auprès des PH chefs de service de psychiatrie générale et de pharmacie. Doul et Analg 2007;2:1-6.
Serra E. Douleur chez la personne vulnérable. Les bases psychologiques de la douleur. La Revue du Praticien 2023;73(4):447-52.
Dans cet article
- Douleur en santé mentale
- Particularités cliniques de la douleur chez le patient psychiatrique ou à troubles du développement ou à troubles de la personnalité
- Particularités psycho- et physiopathologiques de la douleur en santé mentale
- Évaluation
- Particularités de la prise en charge de la douleur en santé mentale