L’étude de la douleur et de sa prise en charge lors de la rééducation est une grande oubliée des publi­cations sur le sujet de la brûlure sévère de l’enfant. Force est de constater qu’elle est multifactorielle et nécessite une prise en charge globale de l’enfant.

Épidémiologie des brûlures : majoritairement accidentelles 

En juin 2018, l’Agence nationale de santé publique a publié un rapport sur la brûlure en France. Le taux d’incidence des brûlures nécessitant une hospitalisation était de 12,3 pour 100 000 habitants. Les enfants de 0 à 4 ans représentaient plus du quart des patients hospitalisés pour brûlures (28,8 %). Le taux d’incidence des patients hospitalisés varie selon le sexe et l’âge : il est très élevé chez les moins de 5 ans (60,6/100 000), diminue chez les 5 ans et plus (10/100 000), puis augmente à nouveau chez les 15-24 ans (11/100 000).1 Les brûlures sont très majoritairement accidentelles (93,7 % des patients). Les causes varient selon le sexe et l’âge : l’exposition aux liquides chauds est la première cause de brûlure chez les 0-4 ans (garçons : 83,8 %, filles : 88,2 %) et les 5-14 ans (garçons : 59,4 %, filles : 77,3 %). Les brûlures par feu, flammes ou fumée sont relativement rares chez les 0-4 ans, puis augmentent en proportion avec l’âge chez les sujets masculins (25,5 % chez les 5-14 ans, 42,6 % chez les 15-59 ans) comme chez les sujets féminins (10,9 % chez les 5-14 ans, 34,5 % chez les 15-59 ans). Enfin, le contact avec des solides chauds est la deuxième cause de brûlure chez les 0-4 ans (garçons : 13,2 %, filles : 9,5 %).

Cicatrices hypertrophiques et rétractiles : un risque fréquent chez l’enfant 

Outre le risque vital lié à l’âge de survenue, l’étendue et la profondeur de la brûlure, les enjeux fonctionnels dépendent en grande partie de sa localisation. Les brûlures des mains et des pieds, péri­orificielles, ou intéressant un pli de flexion sont à haut risque de rétraction et de séquelles cicatricielles et fonctionnelles. En effet, la phase de maturation cica­tricielle dure environ deux ans, période durant laquelle l’évolution naturelle fait apparaître des cicatrices hypertrophiques, des rétractions cutanées et des douleurs chroniques.2

Dans les suites d’une brûlure sévère et en particulier après une greffe cutanée, il est important de respecter la phase de cicatrisation cutanée. Les pansements favorisent l’épidermisation, mais la fragilité de la peau ne permet pas une mobilisation normale dans un premier temps, au risque de créer de nouvelles plaies. Le processus de cicatrisation implique le dépôt de fibres de collagène linéaires n’ayant pas la flexibilité d’une peau native. Le dépôt d’un excès de collagène génère une cicatrice pathologique, épaisse, non souple, prurigineuse et parfois douloureuse : c’est l’hypertrophie cutanée, très fréquente en pédiatrie.6,7 En effet, le potentiel de réparation tissulaire est supérieur chez l’enfant, plus susceptible de développer des cicatrices hypertrophiques et rétractiles (fig. 1) pouvant entraver la croissance harmonieuse et entraîner une morbidité importante.6,8

Prurit, un équivalent douloureux

Le prurit est défini comme la sensation qui induit l’urgence de se gratter9 et est considéré comme un équivalent douloureux ; il est décrit comme le symptôme le plus pénible après une brûlure,10 à l’origine de lésions de grattage.11 Il a plusieurs composantes : pruritoceptive (générée par la peau et l’inflammation),12 neuropathique (due aux lésions neuronales de la brûlure),13 et psychologique. Il impose la prescription d’antihistaminiques, voire de traitement à visée neuropathique (encadré).

La rééducation repose sur un équilibre entre mobilisation et immobilisation 

La pressothérapie est le traitement de référence de la cicatrice hypertrophique : elle crée une hypoxie locale, sans ischémie. Pour être efficace, la pression doit être continue (23 heures/24) grâce à des vêtements compressifs (fig. 2) ou à des orthèses rigides transparentes (fig. 3), jusqu’à maturation cicatricielle.14-15 

En parallèle, la lutte contre la rétraction cutanée est assurée par la mise en capacité cutanée maximale à l’aide de massages puis de postures manuelles quotidiennes (le principe de la posture est de masser la zone d’intérêt afin d’assouplir la peau et le tissu sous-cutané, puis de créer un étirement cutané maximal allant jusqu’à la ­limite de la douleur), mais aussi d’orthèses rigides en zone articulaire (fig. 4),16 dont le besoin est plus fréquent que chez l’adulte du fait du risque accru de rétraction.14  

In fine, la rééducation est un équilibre entre l’immobilisation en capacité cutanée maximale et la mobilisation afin de contrôler l’inflammation sans perdre l’amplitude (fig. 5).15Elle doit être assurée tout au long de la maturation cicatricielle, et la surveillance cutanée doit être poursuivie jusqu’à la fin de la croissance.

Agir précocement !

La rééducation est un point essentiel en matière de pronostic fonctionnel chez l’enfant.17 En effet, la cicatrisation en pédiatrie est souvent très rapide mais peut être explosive, surtout à partir de l’âge de 2 ans, avec une hypertrophie cicatricielle majorée en durée et en intensité.3 Intuitivement, on pourrait penser que la peau devrait s’assouplir au fur et à mesure des séances de massage/étirements mais, du fait des phénomènes inflammatoires chroniques au-delà du deuxième voire troisième mois, la rétraction cutanée peut être ressentie entre chaque séance.

Par ailleurs, après la phase de cicatrisation, la croissance peut être responsable de complications spécifiques (brides ­cicatricielles, alopécie, invagination ­cicatricielle).18,19 

Une prise en charge rééducative adéquate est indispensable le plus précocement possible après la phase aiguë et jusqu’à la maturation cicatricielle, qui survient en deux ans environ. 

Mettre en place des moyens efficaces pour lutter contre la douleur 

Les douleurs post-brûlure à la phase chronique sont donc multifactorielles ; elles peuvent être limitées grâce à différents moyens, notamment : 

  • la prise en charge cicatricielle car les plaies peuvent générer des douleurs et gêner les postures ;
  • l’application d’émollients pour limiter la xérose responsable des douleurs à type de tiraillements ;
  • le port d’appareillages (compression et posture) pour lutter contre la rétraction entre les séances de rééducation et limiter les douleurs mécaniques des postures ;
  • le traitement du prurit responsable de douleur intrinsèque et de lésions de grattage ;
  • la considération portée à l’anxiété aux soins, à leur moment par rapport au repas ou à la sieste par exemple, et à la durée des séances, en particulier pour les plus petits ;
  • la précocité de la rééducation, avec un objectif préventif d’apparition des ­rétractions, moins douloureuse que la prise en charge curative des rétractions cutanées.
Encadre

Prise en compte de la douleur pendant la rééducation chez l’enfant brûlé : une étude à l’hôpital de pédiatrie et de rééducation de Bullion 

L’hôpital de pédiatrie et de rééducation de Bullion assure une activité de soins de suite et de réadaptation (SSR) et accueille des patients à la sortie du centre aigu de brûlés, en hospitalisation complète ou en soins ambulatoires. Son équipe s’est intéressée à l’influence de la gestion de la douleur en amont et lors des séances de rééducation dans les brûlures de l’enfant. Dans le cadre d’une étude prospective observationnelle menée localement entre mai et décembre 2021, vingt patients ont été admis en hospitalisation complète pour des soins post-brûlures. 

Caractéristiques des patients inclus dans l’étude

Neuf patients ont pu être inclus durant une période de huit mois : trois garçons et six filles de 8 mois à 15 ans, avec une médiane d’âge de 3 ans. Six d’entre eux avaient moins de 4 ans au moment de l’accident et trois avaient plus de 12 ans, ce qui est cohérent avec les chiffres habituellement observés dans la littérature.1 Les brûlures étaient de causes diverses (accidents domestiques ou incendie du logement), avec une surface cutanée brûlée atteinte entre 6 et 50 %.

Avant ou après 3 mois : influence du délai d’admission en SSR

Le délai d’admission post-brûlure était en moyenne de trois mois, pour une durée d’hospitalisation moyenne de 80 jours. Ce délai d’admission en SSR après l’accident initial semblait influer sur le pronostic fonctionnel. Ainsi, lorsque la rééducation a pu débuter précocement (avant 3 mois), elle a eu pour objectif de prévenir l’évolution défavorable de la rétraction cutanée et des brides en devenir, ce qui a semblé générer, dans l’ensemble, peu de douleurs. En revanche, quand le délai d’admission était supérieur à trois mois, c’est-à-dire après le début de la phase inflammatoire, cela témoignait d’un temps en réanimation plus prolongé et d’une atteinte souvent plus sévère ; la rééducation a visé, dans ce cas, à obtenir un gain d’extension cutanée et d’amplitude articulaire du fait de l’apparition de rétractions avec des douleurs régulières au-delà du seuil de traitement. Aucun patient n’a été indemne de douleur au cours de l’hospitalisation, et il n’y a pas eu de diminution systématique de la douleur avec le temps.

Effet des appareillages

Quand il n’était pas gêné par les plaies ou le prurit, le port précoce et adéquat des appareillages a permis de conserver l’extensibilité cutanée d’une séance à l’autre en limitant la rétraction cutanée, influant ainsi sur la douleur. 

Prise en charge de la douleur

Au cours de cette étude, aucun patient n’était douloureux de façon chronique en dehors des séances de rééducation, qu’il s’agisse de douleurs nociceptive ou neuropathique.3,4 Toutefois, tous ont reçu des applications pluriquotidiennes d’émollients et un traitement antiprurigineux (desloratadine et/ou hydroxyzine). Les patients partiellement soulagés ont reçu des traitements spécifiques à visée neuropathique (prégabaline ou gabapentine) bien que leur efficacité antiprurigineuse reste discutée.5

Par ailleurs, pour les soins (bains et/ou pansements), les patients dont les plaies n’étaient pas cicatrisées au moment de l’admission en SSR ont nécessité quotidiennement des prémédications (morphine associée ou non au midazolam). 

Dans le cadre de la rééducation, aucune prémédication n’a été prescrite au cours de l’étude. Les rééducateurs et les patients en capacité de verbaliser leur ressenti ont décrit des douleurs essentiellement mécaniques et prédominant au début de chaque posture. Une fois la posture en place, la douleur semblait s’estomper. Les moyens de divertissement adaptés à l’âge de l’enfant ont été systématiquement proposés (dessins animés, jeux et discussion pour les plus grands). Le protoxyde d’azote n’a jamais été utilisé en rééducation du fait de la mise en place de moyens alternatifs non médicamenteux efficaces. 

Références
1. Santé publique France. Hospitalisations pour brûlures en France : dans 9 cas sur 10, les brûlures sont accidentelles. 2018. Juin 2018. Disponible sur https://bit.ly/3mVPEW9  
2. Wiechman SA. Psychosocial recovery, pain, and itch after burn injuries. Phys Med Rehabil Clin N Am 2011;22(2):327‑45,vii. 
3. Nelson S, Conroy C, Logan D. The biopsychosocial model of pain in the context of pediatric burn injuries. Eur J Pain Lond Engl 2019;23(3):421-34. 
4. Mauck MC, Smith J, Liu AY, et al. Chronic Pain and Itch are Common, Morbid Sequelae Among Individuals Who Receive Tissue Autograft After Major Thermal Burn Injury. Clin J Pain 2017;33(7):627-34. 
5. Biró T, Ko MC, Bromm B, et al. How best to fight that nasty itch - from new insights into the neuroimmuno­logical, neuroendocrine, and neurophysiological bases of pruritus to novel therapeutic approaches. Exp Dermatol 2005;14(3):225-40.
6.. Sanchez J, Antonicelli F, Tuton D, et al. Particularités de la cicatrisation de l’enfant. Ann Chir Plast Esthet 2016;61(5):341‑7. 
7. Li-Tsang CWP, Feng B, Huang L, et al. A histological study on the effect of pressure therapy on the activities of myofibroblasts and keratinocytes in hypertrophic scar tissues after burn. Burns 2015;41(5):1008‑16.
8. Wurzer P, Forbes AA, Hundeshagen G, et al. Two-year follow-up of outcomes related to scarring and distress in children with severe burns. Disabil Rehabil 2017;39(16):1639‑43. 
9. Vitale M, Fields-Blache C, Luterman A. Severe itching in the patient with burns. J Burn Care Rehabil 1991;12(4):330-3. 
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11. Poiret G, Guerreschi P, Maillet M, et al. Treatment of sequelae of burns in children. Ann Chir Plast Esthet 2011;56(5):474-83. 
12. Yosipovitch G. Assessment of Itch: More to be Learned and Improvements to be Made. J Invest ­Dermatol 2003;121(6):xiv-xv.
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19. Sankale AA, Manyacka Ma Nyemb P, Coulibaly NF, et al. Post-burn scar contractures in children in the lower limb. Ann Burns Fire Disasters 2010;23(2):75-80.

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essentiel

La douleur est une composante essentielle à considérer dans la prise en charge des enfants brûlés.

La douleur post-brûlure dépend de plusieurs facteurs, comme le port d’appareillage ou l’anxiété aux soins. 

Une rééducation précoce permet de prévenir l’évolution défavorable de la rétraction cutanée, à l’origine de douleurs.