objectifs
Diagnostiquer une douleur thoracique aiguë et chronique.Identifier les situations d'urgence et planifier leur prise en charge.
Diagnostiquer une douleur thoracique aiguë et chronique.
Identifier les situations d'urgence et planifier leur prise en charge.

Comprendre les enjeux de la prise en charge d'une douleur thoracique

Les douleurs thoraciques sont une cause fréquente de consultations et de recours aux structures d’urgence (SAMU et SAU) et correspondent à 5-10 % de l’ensemble des prises en charge.
Il s’agit d’un problème difficile en raison du grand nombre de causes responsables, de présentations cliniques hétérogènes, et de la diversité des examens complémentaires disponibles, parmi lesquels il faut choisir le(s) plus contributif(s). À cela s’ajoute une situation de stress particulier pour le patient et le praticien soucieux de ne pas manquer une urgence diagnostique et thérapeutique.
Plus que jamais, l’approche clinique et l’électrocardiogramme (ECG) sont primordiaux en première approche pour optimiser la prise en charge afin :
1) d’identifier immédiatement une détresse vitale ;
2) de recueillir et d’organiser ces informations cliniques et électro­cardiographiques afin de générer et hiérarchiser les hypothèses diagnostiques, en évoquant de principe les 6 urgences « thoraciques » : syndrome coronarien aigu, dissection aortique, péricardite, embolie pulmonaire, pneumothorax, rupture œsophagienne ;
3) de choisir alors la stratégie diagnostique la plus efficiente et rapide pour parvenir au diagnostic de certitude et au traitement adapté ;
4) d’organiser, si ces urgences sont écartées, un bilan secondaire pour parvenir à un diagnostic différentiel.
Le prérequis indispensable est de connaître les causes les plus fréquentes de douleurs thoraciques : cardiovasculaires, pulmo­naires, digestives et pariétales. Celles-ci sont résumées dans le tableau 1 (on conseille au lecteur d’étudier en amont de cette question les items du programme de l’ECN correspondant à ces pathologies).

Reconnaître une détresse vitale

Cette première étape est indispensable afin de prendre immédiatement les éventuelles mesures thérapeutiques adaptées. Elle consiste à rechercher par la prise des constantes et un examen clinique rapide les signes de détresse :
respiratoire : polypnée > 30/min ou bradypnée < 10/min (chez l’adulte), cyanose (hypoxie), hypersudation (hypercapnie), tirage par mise en jeu des muscles respiratoires accessoires, balancement thoraco-abdominal, troubles de conscience, saturation (SpO2) < 90 % ;
hémodynamique : signes de choc (pression artérielle systolique < 80 mmHg, tachycardie, pâleur, marbrures cutanées, oligurie), éventuellement associés à un œdème aigu pulmonaire ou à des signes de défaillance droite (turgescence jugulaire, pouls paradoxal) ; à l’extrême, arrêt cardiorespiratoire par tachycardie ou fibrillation ventriculaire, asystolie ou dissociation électromécanique ;
neurologique : confusion, agitation, convulsion, score de Glasgow ;
La constatation de signes de détresse vitale ou précurseurs d’une possible aggravation clinique doit faire initier – en plus des traitements adaptés – un monitoring (ECG, SAO2 et pression artérielle).

Identifier les arguments cliniques en faveur d’une urgence « thoracique »

Après s’être assuré de la stabilité du patient, l’objectif est de reconnaître rapidement les signes évocateurs d’une des 6 grandes urgences « thoraciques » : syndrome coronarien aigu (en particulier ST+), dissection aortique, (myo)péricardite, embolie pulmonaire, pneumothorax, et exceptionnellement rupture de l’œsophage. Il s’agit d’une véritable « enquête clinique » qui doit recueillir en un minimum de temps les antécédents, les facteurs de risque de maladie athéromateuse ou de maladie thrombo- embolique veineuse, et les événements médicaux récents marquants. La sémiologie de la douleur doit être recueillie avec précision :
ancienneté et évolution aiguë ou chronique (si aiguë horaire de début) ;
mode d’installation progressif ou brutal, spontané ou déclenché (effort, position…) ;
caractère permanent ou non, paroxysmes éventuels, variabilité au cours du nycthémère ;
intensité (échelle analogique visuelle) ;
topographie (punctiforme, rétrosternale, basithoracique…) ;
type (constrictive, brûlure, écrasement, pincement…) ;
irradiations (membres supérieurs, mâchoire, dos…) et migration éventuelle ;
présence de symptômes associés (dyspnée, palpitations, lipothymie ou syncope, fièvre, frissons, sueurs, nausées, troubles digestifs) ;
sensibilité éventuelle à la trinitrine ou aux antalgiques, attitudes antalgiques (antéflexion).
L’examen clinique recherche les signes physiques cardinaux de chacune des pathologies. Il ne se limite pas à la sphère cardiovasculaire et thoracique mais doit également rechercher une fièvre et comporter un examen abdominal (du fait de pathologies digestives avec douleur thoracique projetée : cholécystite, pancréatite, pathologie ulcéreuse) et neurologique. On n’oublie pas la palpation thoracique, la reproduction éventuelle de la douleur à la pression étant très en faveur d’une origine pariétale.
Enfin, un ECG doit être systématiquement réalisé dans le même temps que l’examen clinique et dans les 10 minutes au plus suivant l’accueil du patient. Il identifie en premier lieu un sus-décalage du segment ST mais recherchera d’autres éléments contributifs.
Le tableau 2 résume les éléments clés anamnestiques, cliniques et électrocardiographiques en faveur des 4 urgences cardio­vasculaires.
Le diagnostic de syndrome coronarien aigu est aisé en présence d’une douleur typiquement angineuse, mais il ne faut pas sous-estimer les formes atypiques (expression digestive notamment dans les infarctus inférieurs) ou frustres (personne âgée, diabétique). Le diagnostic peut être retardé lorsque le patient est à faible probabilité a priori de coronaropathie, particulièrement la femme jeune. C’est la raison pour laquelle un ECG doit immédiatement être réalisé devant toute douleur thoracique ou abdominale. Le diagnostic de syndrome coronarien aigu ST+ repose sur l’association d’une douleur infarctoïde et d’ondes de Pardee ou d’un bloc de branche gauche non connu antérieurement (à considérer comme un équivalent de ST+). Le diagnostic de syndrome coronarien aigu non ST+ est plus difficile, l’ECG pouvant retrouver un sous-décalage de ST ou des ondes T négatives (moins spécifiques), mais également être strictement normal : un ECG per- ou postcritique normal ne permet en aucun cas d’éliminer un syndrome coronarien aigu. Dans la très grande majorité des cas, l’examen clinique est non contributif dans les syndromes coronariens aigus.
La dissection aortique survient dans deux situations typiques : avant 40 ans chez un patient porteur d’une dysplasie artérielle (maladie de Marfan ou bicuspidie aortique), au-delà de 50 ans chez un patient « athéromateux », cumulant les facteurs de risque cardiovasculaires, notamment une hypertension artérielle (HTA). La douleur thoracique est en général très brutale, prolongée, extrêmement intense, à type de déchirement, mais peut prendre un masque infarctoïde. Ont une forte valeur diagnostique : l’irradiation dorsale et le caractère migrateur de la douleur (jusque dans les lombes), une asymétrie tensionnelle > 20 mmHg entre les deux bras, l’abolition ou l’asymétrie d’un ou plusieurs pouls, et un souffle d’insuffisance aortique. Une ischémie d’une artère collatérale est parfois le tableau révélateur : déficit neurologique transitoire, accident vasculaire cérébral constitué, ischémie aiguë de membre, infarctus mésentérique. Le risque majeur dans les dissections de type A est l’hémopéricarde avec un tableau de tamponnade.
La péricardite survient le plus souvent dans sa forme bénigne, associant : contexte viral avec fièvre, douleur thoracique positionnelle (majorée par l’inspiration profonde et le décubitus, soulagée par l’antéflexion) sensible à l’aspirine, et frottement péricardique (spécifique mais inconstant). L’électrocardiogramme retrouvera un sus-décalage de ST concave et diffus (non systématisé), un sous-décalage de PQ (spécifique mais inconstant) et un microvoltage en cas d’épanchement abondant. La recherche de signes de tamponnade doit être systématique : polypnée avec orthopnée, toux, turgescence jugulaire avec reflux hépato-jugulaire, signes de choc, pouls paradoxal.
La myopéricardite est une péricardite avec atteinte myocardique associée, pouvant se manifester comme une simple péricardite (le diagnostic est alors posé sur l’élévation des troponines) mais aussi mimer un syndrome coronarien aigu, parfois avec insuffisance cardiaque et/ou troubles du rythme ventriculaire.
Le diagnostic d’embolie pulmonaire est évoqué sur l’association d’un terrain évocateur (néoplasie, traitement estroprogestatif + tabagisme, période postopératoire ou post-partum, antécédents personnels ou familiaux de maladie thromboembolique), d’une douleur basithoracique de type pleural, d’une dyspnée aiguë, et parfois d’hémoptysies, tardives et traduisant un infarctus pulmonaire. La clinique est peu contributive en dehors de la tachycardie sinusale et, tardivement, d’un possible foyer de condensation pulmonaire. Les signes de thrombose veineuse profonde sont absents dans 30 % des cas, et ceux de cœur pulmonaire aigu ne sont présents qu’en cas d’hypertension artérielle pulmonaire (charge thrombotique élevée ou embolie pulmo­naire multiples) : insuffisance ventriculaire droite, aspect S1Q3 + bloc de branche droite + des ondes T négatives en V1-V3 à l’électrocardiogramme.
Le pneumothorax, en dehors du contexte particulier de plaie pénétrante, doit être évoqué dans deux contextes : le patient emphysémateux et le jeune patient longiligne, ce d’autant qu’il existe des antécédents de pneumothorax. La douleur est brutale, volontiers après un effort glotte fermée, s’accompagne de toux sèche douloureuse. L’examen retrouve une abolition des vibrations vocales et du murmure vésiculaire et un tympanisme du côté du pneumothorax et, dans formes massives, un hémithorax distendu et immobile. La forme compressive associe une détresse respiratoire et un collapsus tensionnel, et nécessite une exsufflation en extrême urgence.
La rupture de l’œsophage est une situation rare mais gravissime, à évoquer devant une douleur thoracique violente épigastrique ou thoracique (pouvant simuler un syndrome coronarien aigu ou une dissection aortique), une hypersialorrhée, puis un emphysème sous-cutané cervical (crépitation sous-cutanée) et médiastinal (auscultation comparable à un frottement péricardique). La médiastinite survient devient dans les heures suivantes avec fièvre et état de choc.

Choisir le(s) examen(s) complémentaire(s) pertinent(s)

Ce choix repose sur la hiérarchisation des hypothèses diag­nostiques issues de l’examen clinique et de l’électrocardiogramme, et doit permettre d’affirmer ou au contraire d’éliminer rapidement et avec une forte valeur prédictive le(s) diagnostic(s) évoqué(s). On assiste trop souvent à la prescription non raisonnée de nombreux examens biologiques et d’imagerie partant à la « pêche » au diagnostic. L’interprétation des résultats est alors souvent erronée car elle fait abstraction, faute d’hypothèse de départ, de la probabilité a priori de présence de la pathologie.
Si le diagnostic de syndrome coronarien aigu ST+ ou de syndrome coronarien aigu-non ST+ avec signes de gravité (douleur persistante, troubles du rythme, insuffisance cardiaque) est retenu ou fortement suspecté, le seul examen à réaliser en urgence est une coronarographie diagnostique et thérapeutique, en transférant si besoin le patient en extrême urgence vers le centre de cardio­logie interventionnelle le plus proche. C’est dans cette situation une faute médicale que d’attendre les résultats d'une cinétique de troponine.
Si un syndrome coronarien aigu non ST+ est évoqué et que le patient est stable, il faut réaliser 2 électrocardiogrammes et 2 dosages de troponines à 3 à 6 heures d’intervalle.
Une suspicion de dissection aortique implique la réalisation immédiate d’une échocardiographie transthoracique et d’une angio- tomodensitométrie (ou à défaut d’une échocardiographie transœso­phagienne sous anesthésie générale).
Une présomption de péricardite doit faire réaliser un bilan inflammatoire et un dosage de troponine à la recherche d’une myocardite, et une échocardiographie. En cas de myocardite, une IRM est à réaliser secondairement, sans urgence.
Le diagnostic d’embolie pulmonaire repose sur l’utilisation des scores de probabilité clinique de type Wells ou Genève modifié, qui conduiront soit à un dosage de D-dimères (probabilité faible ou intermédiaire), soit à une angiotomodensitométrie thoracique (probabilité élevée).
Le pneumothorax est confirmé par une radiographie thoracique de bonne qualité de face en position debout et en inspiration : hyperclarté entre la paroi et le parenchyme prédominant au sommet, et dans les formes massives rétraction du poumon au hile et élargissement des espaces intercostaux.
Dans la rupture œsophagienne, la radiographie pulmonaire initiale peut être normale, puis révèle après quelques heures le pneumo-médiastin (dissection gazeuse séparant la plèvre médiastinale du médiastin), l’emphysème sous-cutané (déjà reconnu cliniquement), et un hydro-pneumothorax gauche (dans 90 % des cas). Le bilan doit être complété selon avis spécialisé par un transit œsophagien aux hydrosolubles ou un scanner.
Le tableau 3 résume les données clés obtenues sur les différents examens complémentaires dans les 4 urgences cardio­vasculaires. La figure schématise l’algorithme de prescription des examens complémentaires en fonction de l’orientation clinique : si une urgence « thoracique » est confirmée, le traitement adapté est mis en œuvre. Dans le cas contraire, un retour à la clinique permettra de rechercher des arguments en faveur d’une autre étiologie, et le bilan complémentaire est complété pour étayer la ou les nouvelles hypothèses diagnostiques. Dans un petit nombre de cas, aucun élément d’orientation n’est retrouvé à l’examen clinique et il doit alors se résoudre à prescrire d’emblée, outre une radiographie thoracique, un panel de tests biologiques. Parallèlement, un bilan biologique pré-thérapeutique doit être demandé : ionogramme plasmatique, créatininémie, hémogramme, INR, groupe sanguin et recherche d’agglutinines irrégulières.

Orienter le bilan vers les diagnostics alternatifs

Si les « urgences thoraciques » sont écartées, il convient de s’assurer de l’absence de pathologie abdominale se manifestant par une douleur projetée thoracique : pathologie ulcéreuse, biliaire, ou pancréatique.
Une autre cause classique est la pneumopathie infectieuse. En fait, le syndrome infectieux est souvent au premier plan et la douleur plus un signe associé. Elle est pleurétique : latéralisée, irradiant parfois vers l’épaule, majorée par les mouvements respiratoires et la toux. On retrouve une fièvre, des frissons, une toux avec expectoration purulente, et un syndrome de condensation ou des râles diffus. La radiographie thoracique fait le diagnostic. En dernier lieu, on recherche éventuellement une pathologie chronique dont la douleur actuelle constitue l’expression inaugurale.
Les douleurs psychogènes, survenant souvent en situation de stress personnel ou professionnel, sont fréquentes mais constituent un diagnostic d’élimination, après avoir écarté toute cause organique. Dans 10 à 20 % des cas, aucune cause n’est retrouvée malgré un bilan exhaustif. La prise en charge aura néanmoins permis d’éliminer une pathologie organique grave et la sortie est alors possible en organisant une consultation de suivi qui veille à l’absence de récidive. En cas de douleur chronique, il convient de conseiller une consultation spécialisée en fonction de l’orientation diagnostique.•
La douleur thoracique est un défi médical car elle peut refléter de multiples affections aux présentations cliniques variées et parfois peu spécifiques. Le risque vital potentiel lié à certaines de ces affections nécessite la prise en charge immédiate du patient et la recherche en premier lieu de signes de détresse vitale.
L'électrocardiogramme doit être immédiat et systématique devant toute douleur thoracique pour rechercher un infarctus ST+ évolutif, les présentations cliniques atypiques étant source d’erreurs et de retards diagnostiques hautement préjudiciables.
Un électrocardiogramme normal n’exclut aucunement le diagnostic de syndrome coronarien aigu non ST+.
Les 6 grandes urgences thoraciques doivent être évoquées de principe et leur signes clés recherchés : syndrome coronarien aigu, dissection aortique, embolie pulmonaire, péricardique (+ tamponnade), pneumothorax, et rupture œsophagienne.
Le recueil précis et complet des données anamnestiques et sémiologiques est primordial : parfois il rend la cause évidente, mais souvent – en l’absence de certitude diagnostique – il permettra de construire un raisonnement clinique probabiliste hiérarchisant les hypothèses et orientant la prescription des examens complémentaires indispensables pour conduire le patient vers un traitement adapté.
Se rappeler que certaines causes « thoraciques » peuvent mimer une pathologie abdominale (ex : douleurs épigastriques isolées dans certains infarctus inférieurs) et inversement (douleur hémithoracique et scapulaire isolée dans certaines cholécystites).
Points forts
Douleur thoracique aiguë et chronique

POINTS FORTS À RETENIR

La douleur thoracique est un défi médical car elle peut refléter de multiples affections aux présentations cliniques variées et parfois peu spécifiques. Le risque vital potentiel lié à certaines de ces affections nécessite la prise en charge immédiate du patient et la recherche en premier lieu de signes de détresse vitale.

L'électrocardiogramme doit être immédiat et systématique devant toute douleur thoracique pour rechercher un infarctus ST+ évolutif, les présentations cliniques atypiques étant source d’erreurs et de retards diagnostiques hautement préjudiciables.

Un électrocardiogramme normal n’exclut aucunement le diagnostic de syndrome coronarien aigu non ST+.

Les 6 grandes urgences thoraciques doivent être évoquées de principe et leur signes clés recherchés : syndrome coronarien aigu, dissection aortique, embolie pulmonaire, péricardique (+ tamponnade), pneumothorax, et rupture œsophagienne.

Le recueil précis et complet des données anamnestiques et sémiologiques est primordial : parfois il rend la cause évidente, mais souvent – en l’absence de certitude diagnostique – il permettra de construire un raisonnement clinique probabiliste hiérarchisant les hypothèses et orientant la prescription des examens complémentaires indispensables pour conduire le patient vers un traitement adapté.

Se rappeler que certaines causes « thoraciques » peuvent mimer une pathologie abdominale (ex : douleurs épigastriques isolées dans certains infarctus inférieurs) et inversement (douleur hémithoracique et scapulaire isolée dans certaines cholécystites).

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