Les douleurs abdominales fonctionnelles sont courantes chez l’enfant (10 à 15 % des douleurs abdominales). Récurrentes, c’est-à-dire lorsqu’elles surviennent à au moins trois reprises sur une période minimale de 3 mois, elles peuvent affecter sévèrement les activités quotidiennes – absentéisme scolaire, par exemple.
Il s’agit de douleurs ne pouvant pas être attribuées à une autre pathologie, selon la classification de Rome IV (2016). On en distingue quatre entités : dyspepsie fonctionnelle, syndrome de l’intestin irritable, migraine abdominale et douleurs « non spécifiées ailleurs » ; mais il est à noter que douleur abdominale fonctionnelle et pathologie organique peuvent coexister.
Actuellement, leur prise en charge repose avant tout sur l’écoute de la plainte et la réassurance familiale, tout en favorisant une relation de confiance entre le patient, ses parents et le médecin (expliquer que douleur fonctionnelle ne signifie pas qu’elle est « dans la tête » ; faire accepter aux parents l’inutilité des examens complémentaires). L’hypnothérapie et les TCC, efficaces à long terme, sont recommandées en première intention. Les régimes d’éviction du lactose, du gluten ou appauvris en FODMAP (fermentescibles oligo- and disaccharides, monosaccharides and polyols) peuvent être tentés pendant 15 jours à 1 mois, bien que leurs bénéfices ne soient pas démontrés (à poursuivre uniquement en cas d’amélioration des symptômes). Enfin, des études ont suggéré l’efficacité de certains probiotiques, mais ils ne sont pas recommandés systématiquement, faute de preuves concluantes à ce jour.
Une nouvelle revue systématique de la Cochrane qui vient d’être publiée a examiné cette question. Il s’agit d’une actualisation de leur dernière revue sur le sujet (2017), incluant les études plus récentes. Les auteurs ont ainsi analysé 18 essais contrôlés randomisés publiés jusqu’en octobre 2021, pour essayer de déterminer l’efficacité et la tolérance des probiotiques dans la diminution des douleurs abdominales fonctionnelles de l’enfant.
Les probiotiques sont des bactéries et des levures – souvent appelées « bonnes bactéries » – dont on pense qu’elles peuvent favoriser une physiologie intestinale normale en améliorant l’équilibre des colonies bactériennes intestinales, ce qui permettrait de réduire l’inflammation et ainsi d’améliorer les symptômes des douleurs fonctionnelles. Les probiotiques peuvent être associés à des prébiotiques (aliments qui en favorisent la croissance) : on parle alors de symbiotiques.
Un bénéfice modeste mais des preuves encore à confirmer
Les essais inclus, qui totalisaient 1 309 patients âgés de 4 à 18 ans ayant reçu un diagnostic de douleur abdominale fonctionnelle (selon les critères de Rome II, III ou IV), comparaient des préparations probiotiques (y compris des symbiotiques) à un placebo. Les probiotiques utilisés étaient principalement : Lactobacillus reuteri, Lactobacillus rhamnosusGG, Bifidobacterium lactis et Bifidobacterium coagulans. Douze essais évaluaient l’efficacité des probiotiques, cinq celle des symbiotiques et un combinait les deux. La durée des interventions allait, selon les études, de 4 à 12 semaines.
Les critères de jugement principaux étaient : l’amélioration globale de la douleur – succès du traitement tel que défini par chaque étude –, la réduction de la gravité et/ou la fréquence de la douleur, ou sa résolution complète. Les critères de jugement secondaires comprenaient les événements indésirables et divers critères reflétant le retentissement des douleurs sur la qualité de vie (assiduité et/ou performance scolaires, fonctionnement psychosocial, modification de la qualité de vie mesurée à l’aide d’outils validés).
La méta-analyse suggère qu’un traitement par probiotiques serait plus efficace qu’un placebo dans l’amélioration globale de la douleur : 50 % de succès à la fin du traitement contre 33 % pour le placebo (RR = 1,57 ; IC à 95 % : 1,05-2,36), mais ces données, provenant de six études, sont d’un niveau de confiance faible. L’efficacité des probiotiques dans la résolution complète de la douleur n’est pas claire, les données étant jugées d’un niveau de confiance très faible en raison d’une incohérence entre les différents résultats et d’un risque élevé de biais.
Quant aux symbiotiques, le taux de réussite à la fin du traitement était estimé à 47 % contre 35 % dans le groupe placebo (RR = 1,34 ; IC à 95 % : 1,03-1,74). Ces données, provenant de quatre études (une ayant utilisé la combinaison Bifidobacterium coagulans et fructo‐oligosaccharide, une autre Bifidobacterium lactis et inuline, une autre Lactobacillus rhamnosus GG et inuline, la dernière n’ayant pas précisé) étaient aussi estimées avoir un niveau de confiance faible. Sur la résolution complète de la douleur, l’analyse a suggéréune faible différence : 52 % de réussite dans le groupe probiotique à la fin de l’étude contre 32 % dans le groupe placebo (RR = 1,65 ; IC à 95 : 0,97-2,81 ; deux études ; preuves d’un niveau de confiance faible).
Enfin, dans les deux cas, les auteurs n’ontpas pu établirdes conclusions significatives sur l’amélioration de l’intensité et la fréquence de la douleur plus précisément, étant donné l’hétérogénéité des résultats (niveau de confiance très faible). Sur les critères de jugement secondaires, il n’y avait pas suffisamment de données probantes.
Pour les événements indésirables, la méta-analyse n’a pas trouvé de différence entre les probiotiques et le placebo dans l’arrêt des traitements dus à des effets secondaires. Cependant, le faible nombre d’événements rapportés et les risques de biais ne permettent pas de conclure avec un niveau de certitude élevé. Aucune des études incluses n’a rapporté des EI graves.
Finalement, une analyse par sous‐groupes d’entités de douleur abdominale fonctionnelle (syndrome du côlon irritable, dyspepsie fonctionnelle, migraine abdominale, autre douleur abdominale fonctionnelle) ou par souche spécifique de probiotique n’a pas pu être effectuée, faute de données suffisantes.
En conclusion, il semblerait que les probiotiques et symbiotiques puissent être globalement plus efficaces que le placebo pour traiter les douleurs abdominales fonctionnelles de l’enfant, mais pour l’instant les preuves suggérant cette efficacité sont encore d’un niveau de confiance faible. Davantage d’essais contrôlés randomisés plus ciblés sont encore nécessaires (avec des souches spécifiques de probiotiques, par exemple) pour combler ce manque de données probantes.
À lire aussi :
Lemoine A, Lemale J. Douleurs abdominales récurrentes de l’enfant. Rev Prat Med Gen 2021;35(1053);13-4.
Mercier JC, Basmaci R, Gaschignard J, et al. Item 269-270. Douleurs abdominales et lombaires aiguës chez l’enfant et chez l’adulte – partie enfant. Rev Prat 2020;70(9);e299-308.