Devant une douleur au rachis/genou/épaule, les recos incitent à rationaliser la prescription d’imagerie, car au-delà des coûts, les résultats peuvent paradoxalement favoriser la chronicisation de la douleur. Mais comment faire dans la vraie vie, en cas de doute clinique ou devant un patient qui demande un examen ? Quels mots utiliser pour que le compte rendu ne devienne pas une source d’angoisse ? Le regard au plus près du terrain du Dr Florian Bailly, rhumatologue et médecin de la douleur, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.

L’imagerie (radio/scanner/IRM) est-elle trop prescrite en cas de douleurs musculosquelettiques ?

Oui, les études le montrent. Par exemple, parmi les personnes en arrêt de travail depuis 6 mois pour lombalgie, deux tiers ont déjà fait un examen dans le 1er mois, et la moitié entre le 1er et le 3e mois (fig. 1). Pourtant, les recos françaises sur la lombalgie ne recommandent pas d’imagerie avant 3 mois… et les Anglais recommandent de ne pas faire du tout d’examen ! Bien sûr, l’imagerie doit être prescrite devant des signes d’alerte (les « drapeaux rouges », fig. 2) qui représentent 1 % des cas, ou une sciatique (5 à 10 % des consultations). Mais il reste 90 % des situations où l’on ne devrait pas prescrire d’examen à la phase initiale…

Pourquoi alors ces prescriptions ?

Il y a deux cas de figure. Parfois, le médecin traitant veut se rassurer et exclure une pathologie sous-jacente. Dans ce cas, pour s’orienter, une question très utile à poser au patient est la suivante : « Cette douleur est-elle nouvelle, différente par rapport aux épisodes précédents, ou avez-vous déjà connu le même type de douleur, bien que moins intense ? ». Une douleur différente doit en effet alerter.

D’autres fois, il s’agit d’une demande du patient. Celui-ci, contrairement au médecin, ne pense pas à éliminer une pathologie grave : il veut comprendre l’origine de sa douleur.

L’imagerie peut-elle donc rassurer les patients dans ce cas ?

Souvent, les résultats augmentent leurs inquiétudes ! Selon une étude (rétrospective1), les personnes qui, en cas de lombalgie, ont une IRM plus rapidement, avant 6 semaines, auront plus de chirurgie (1,48 % vs 0,12 %) et plus de prescription d’opioïdes (35 % vs 28,6 %). Selon une autre étude,2 l’exposition à une IRM est associée à une probabilité de guérison fortement diminuée.

En effet, il faut savoir à quel point les anomalies sont fréquentes sur les clichés, y compris chez les personnes qui n’ont pas de douleur (disques usés ou protrusions discales, calcifications au niveau des épaules…, fig. 3), et elles n’ont souvent pas de rapport avec la douleur ressentie. Une étude prospective sur 200 personnes3 a comparé une IRM réalisée avant la survenue de la douleur et une seconde au moment de la lombalgie aiguë : dans la majorité des cas (84 %), aucun changement n’a été retrouvé. D’ailleurs, les principaux facteurs favorisant les fameuses « discopathies » qui inquiètent les patients sont l’âge (37 % à 20 ans versus 88 % à 60 ans) et la génétique ; le fait de bouger son dos ou de porter des poids n’a que très peu d’influence sur l’état des disques lombaires.

Comment donc rassurer les patients en cas de prescription d’une imagerie ?

Tout d’abord, lors de la prescription, il faudrait prévenir le patient que l’examen trouvera probablement des anomalies qui n’ont pas de lien avec la douleur.

Ensuite, lors de la lecture d’un compte rendu, il faut savoir que, paradoxalement, certains mots rassurants pour le médecin ne le sont pas pour les patients. Discopathie dégénérative, perte de hauteur du disque, nerf comprimé sont source d’angoisse alors que les classifications peu compréhensibles (par exemple : celle de Pfirmann pour grader en IRM la dégénérescent discale) sont bien moins anxiogènes. Les mots lombalgie d’origine musculaire, lombalgie non spécifique, épisode de lombalgie (fig. 4) sont à préférer car associés à un meilleur pronostic (majeure probabilité d’amélioration, moins de demande d’imagerie complémentaire ou de second avis, moins de chirurgie).

Attention à éviter le mot « arthrose » : considérée comme une affection banale par le médecin, c’est un diagnostic catastrophique pour les patients, évoquant une maladie s’aggravant avec le temps et handicapante, vis-à-vis de laquelle la médecine est impuissante.

Enfin, parfois l’examen le plus stressant pour le patient est celui qui est normal : déçu, il peut demander d’autres explorations, avec le risque de créer un cercle vicieux qui favorise la chronicisation de la douleur. Il faut donc bien prévenir les patients (avant la réalisation de l’imagerie) que l’examen ne peut pas montrer certaines anomalies, comme la contracture d’un muscle par exemple.

Références
1. Jacobs JC, Jarvik JG, Chou R, et al. Observational Study of the Downstream Consequences of Inappropriate MRI of the Lumbar Spine. J Gen Intern Med 2020;35(12):3605-12.
2. Webster BS, Bauer AZ, Choi YS, et al. Iatrogenic consequences of early magnetic resonance imaging in acute, work-related, disabling low back pain. Spine (Phila Pa 1976) 2013;38(22):1939-46.
3. Carragee E, Alamin T, Cheng I, et al. Are first-time episodes of serious LBP associated with new MRI findings?  Spine J 2006;6(6):624-35.
Pour en savoir plus :
Bailly F. Vous avez déjà fait une radio ou une IRM pour une douleur ?  Twitter 18 mai 2023.