Chaque année, environ 600 enfants atteints de syndrome drépanocytaire majeur naissent en France, dont les deux tiers résident en Île-de-France et dans les DROM-COM. Recommandée en 2022 par la HAS, la généralisation du dépistage néonatal de cette maladie à tous les nouveau-nés doit être mis en place entre 2024 et 2025.
La confirmation du diagnostic repose sur les examens biochimiques de l’hémoglobine qui révèlent une hémoglobine anormale majoritaire, l’HbS. Les syndromes drépanocytaires majeurs sont principalement de type SS, SC, et S/β thalassémies. Exceptionnellement, il peut s’agir de formes génétiques SO Arab, SD Punjab, SE.
Le PNDS qui vient d’être publié actualise les recommandations de prise en charge sur la base de nouvelles données et en prenant compte les derniers guides de bonnes pratiques européens et internationaux. Si les nouveautés concernent majoritairement les traitements spécialisés, qui concernent davantage les services hospitaliers et centres de référence/compétence, d’autres aspects concernent le médecin traitant.
Le rôle du MG est en effet important. Le suivi hospitalier étant limité à environ trois consultations par an, celui-ci a souvent la charge du renouvellement des ordonnances d’antalgiques ou des traitements de courte durée, de la mise à jour des vaccinations et de la prise en charge d’événements intercurrents. Il joue également un rôle dans l’éducation thérapeutique des parents puis de l’enfant, et peut aider à la constitution de dossiers d’adaptation scolaire ou de demandes d’aides auprès de la MDPH.
Prévention du risque infectieux
En raison d’une susceptibilité accrue aux infections, le calendrier vaccinal doit être scrupuleusement respecté avec, en plus des vaccins obligatoires et recommandés pour la population générale, des vaccins supplémentaires (cf. calendrier vaccinal 2024), notamment :
- antipneumococcique : dose supplémentaire de vaccin conjugué VPC15 ou VPC13 à 3 mois, et dose de vaccin polyosidique VPP23 à 2 ans et à 7 ans ;
- antiméningococcique ACYW : de 6 semaines à 5 mois, 2 doses espacées d’au moins 2 mois et rappel à 12 mois ; rappels tous les 5 ans ;
- antiméningococcique B : M3, M5, M12 et rappels tous les 5 ans) ;
- antigrippal annuel (tétravalent à partir de 6 mois).
Autres vaccins recommandés :
- anti-Covid- 19 à partir de 6 mois : 3 doses à S1 -S3 -S8 entre 6 mois et 4 ans (en l’absence de vaccination ou infection antérieure), puis 1 dose annuelle à partir de 5 ans ;
- anti-varicelle à partir de 1 an (non remboursé) : non recommandé officiellement mais conseillé afin d’éviter fièvre et surinfections cutanées responsables de complications de la drépanocytose ;
- anti-hépatite A à partir de 1 an (non remboursé) ;
- antiamaril à partir de 1 an pour les voyageurs en zone d’endémie (autorisé en cas de traitement par hydroxyurée) [non remboursé] ;
- antityphique à partir de 2 ans pour les voyageurs en zone d’endémie (non remboursé).
Un pense-bête « Calendrier vaccinal pour patient drépanocytaire » (calendrier des vaccinations complet et de rattrapage, et plan vaccinal en cas de voyage intertropical) a récemment été mis à disposition par la MCGRE, avec d’autres outils pratiques à télécharger sur ce lien.
Attention : aucun vaccin ne dispense de l’antibioprophylaxie antipneumococcique : Oracilline dès l’âge de 2 mois, à raison de 100 000 U/kg/j jusqu’à 10 kg, puis 50 000 UI/kg/j au-delà de 10 kg sans dépasser 2 millions d’UI/j, en 2 ou 3 prises quotidiennes. On la poursuit jusqu’à l’âge de 5 ans au moins (généralement jusqu’à l’adolescence). L’importance de cette prophylaxie doit être soulignée à chaque consultation afin de diminuer la non-adhésion progressive au traitement.
Les mêmes règles vaccinales et d’antibiothérapie préventive sont proposées aux différents génotypes de syndrome drépanocytaire majeur.
Éducation thérapeutique
Elle a essentiellement pour but d’expliquer aux parents et aux enfants :
- les facteurs favorisant les crises vaso-occlusives (CVO) douloureuses :
- hypoxie : effort excessif et inhabituel, altitude (à partir de 1 500 m environ), vêtements trop serrés, obstruction des voies respiratoires supérieures... ;
- refroidissement : baignade en eau froide, vêtements mouillés après le sport, application de glace à la suite d’un traumatisme (contre-indiquée ++) ;
- fièvre ;
- déshydratation : vomissements, diarrhée... ;
- prise de corticoïdes par voie générale ;
- stress, émotions pouvant entraîner difficultés respiratoires et des crises douloureuses (tristesse, peur, colère) : être attentif aux changements de comportement (irritabilité, pleurs incessants, perte d’appétit...) ;
- prise d’excitants, d’alcool, de tabac ou de drogues illicites (adolescent) ;
- les signes qui imposent une consultation aux urgences :
- douleur qui ne cède pas au traitement antalgique donné à la maison (v. encadré), douleur thoracique ;
- fièvre ≥ 38,5 °C (enfant de moins de 3 ans) ou ≥ 39 °C (plus de 3 ans), ou mal supportée quel que soit l’âge, ou associée à des signes compatibles avec une infection ostéoarticulaire ;
- vomissements ;
- signes d’anémie aiguë, c’est-à-dire l’apparition brutale de : pâleur (conjonctives, paumes des mains et plantes des pieds), fatigue (par ex. refus du biberon), altération de l’état général (somnolence, enfant peu réactif, changement de comportement), pouvant signer une séquestration splénique aiguë ou infection à érythrovirus (parvovirus B19) ;
- augmentation brutale du volume de la rate (pour les parents qui souhaitent être entraînés à la palpation) ou du volume de l’abdomen, pouvant signer une séquestration splénique aiguë ;
- priapisme ;
- anomalie neurologique d’apparition brutale, même transitoire (y compris vertige) ;
- boiterie ;
- détresse respiratoire ;
- signes d’hémolyse (urines foncées voire couleur porto, majoration de l’ictère) dans le mois suivant une transfusion.
Scolarité, nutrition, activités de loisirs…
Régime alimentaire et supplémentations
Les supplémentations en oligo-éléments sont à proposer selon le contexte clinique :
- acide folique : supplémentation quotidienne de 1 mg/j semble suffisante (puisque la présentation actuelle est sous forme de comprimé de 5 mg : prise de 1⁄2 cp par jour, ou 1 cp dix jours par mois, ou 1 cp un jour sur deux) ;
- vitamine D : supplémentation selon les recommandations en vigueur ;
- si carence en fer avérée : une supplémentation martiale ;
- zinc : supplémentation quotidienne (10 mg de zinc/élément) peut être proposée en période prépubertaire car elle aurait un bénéfice sur la croissance staturopondérale ; en pratique, on le trouve sous forme de gluconate de granions de zinc (ampoule de 2 mL contenant 15 mg) et de Rubozinc (gélule à 15 mg) (non remboursés).
Une hydratation abondante (préférentiellement eau) est nécessaire, sans restriction et continuelle. Informer les parents, puis l’enfant, de la nécessité de boire jusqu’à « garder les urines aussi claires que possible ».
La constipation étant fréquente chez les enfants drépanocytaires, l’apport de fruits et de légumes est recommandé. Le traitement de la constipation est le même qu’en population générale.
Scolarité
Avec l’accord des familles et dans le respect du secret médical, une information sur la drépanocytose est à communiquer aux personnes impliquées dans l’accueil de ces enfants et aux enseignants dès l’entrée en maternelle.
Un projet d’accueil individualisé (PAI) doit être élaboré, à la demande des parents, en collaboration avec le médecin scolaire (téléchargeable sur https ://drepanoclic.fr/p/scolarite-pai). Il précise les modalités de la vie quotidienne et les conditions d’intervention d’ordre médical au sein de l’école.
Des documents pratiques sur la scolarité, destinés aux parents et aux professionnels de l’éducation, sont disponibles sur les pages : https ://www.firah.org/fr/drepascol.html, https ://www.rofsed.fr/ et www.tousalecole.fr/content/drepanocytose.
Il est recommandé de tenir compte de la fatigabilité liée à la drépanocytose et de sensibiliser aux besoins scolaires spécifiques de ces patients : apprécier les difficultés scolaires permet de mettre en place un soutien (il existe des dispositifs permettant un accompagnement en milieu scolaire et des aménagements pour les examens/concours).
Orientation professionnelle (adolescence) : informer les patients des contre-indications de certains métiers (efforts physiques excessifs, position debout prolongée, rythme et horaires contraignants, exposition au froid).
Loisirs : sports, voyages…
En âge scolaire : les enfants peuvent participer aux activités sportives avec une autorisation de repos en cas de fatigue/essoufflement/douleur et la possibilité de boire sans restriction. Les risques liés à l’endurance doivent être expliqués.
Contre-indications : sport de haut niveau, sport en apnée, plongée sous-marine, sports de contact avec risque de contusion oculaire, baignade en eau froide.
Les voyages à l’étranger doivent être anticipés : rappeler aux parents la nécessité de consulter le médecin spécialisé et le médecin du voyage, au moins 3 mois avant le départ (vaccinations, conseils adaptés… pour rappel, la drépanocytose ne protège pas contre le paludisme). Les voyages d’une durée supérieure à un mois dans des pays où la continuité́ de la prise en charge ne peut être assurée ne sont pas recommandés.
En cas d’événement intercurrent datant de moins de 1 mois (hospitalisation, chirurgie), un voyage est contre-indiqué.
Traitement antalgique de la crise vaso-occlusive en ambulatoire
Repos et hydratation plus abondantes qu’à l’habitude sont indispensables dès la survenue d’une crise douloureuse.
Une bouillotte sur la zone douloureuse peut-être utile (l’application de froid est contre-indiquée).
Lorsque la crise est superficielle (crête tibiale, dactylite, côte) : une crème associant lidocaïne-prilocaïne sur la zone douloureuse peut être un complément utile à l’antalgie par voie orale/IV : sur 4 heures si patch EMLA, ou formes à action prolongée sur 12 heures (patch VERSATIS).
Une première prise de paracétamol par voie orale est recommandée (30 mg/kg sans dépasser 1 g par prise) ; si efficace, à renouveler toutes les 6 heures (15 mg/kg sans dépasser 1 g par prise), en systématique pendant au moins 24 heures. La forme rectale n’est pas conseillée en première intention car moins efficace ;
En cas de persistance de la douleur après 30 à 45 minutes ou en cas de douleurs intenses d’emblée : l’ibuprofène (dès l’âge de 3 mois et en l’absence de déshydratation, d’infection virale ou bactérienne sévère, de douleur abdominale et de traitement par IEC) jusqu’à 30 mg/kg/j peut être associé au paracétamol. Attention : la codéine n’est plus indiquée chez les moins de 12 ans ; chez les plus de 12 ans, elle n’est utilisée qu’après échec du paracétamol-AINS, à la plus faible dose efficace, pour la durée la plus courte possible ; elle est contre-indiquée en post-opératoire d’une amygdalectomie ou chez les enfants ayant un SAOS sévère. Le tramadol ne doit jamais être associé à un autre antalgique de palier 2.
En cas de douleurs abdominales, le phloroglucinol en lyophilisat oral peut être utilisé après l’âge de 2 ans. Si le patient est insuffisamment soulagé ou si la douleur est intense d’emblée : consulter aux urgences, après un contact si possible avec le médecin spécialisé.
Une application préventive de crème associant lidocaïne-prilocaïne sur les deux meilleures veines est recommandée.
À lire aussi :
Dossier Drépanocytose, élaboré selon les conseils du Pr Jean-Benoît Arlet. Rev Prat 2023;73(5);499-540.