Jusqu’à 30 % des patients dépressifs auraient une dépression résistante au traitement – généralement définie comme l’échec d’au moins deux traitements successifs bien conduits. L’ampleur du phénomène souligne l’importance de trouver des alternatives thérapeutiques efficaces.
L’une des pistes explorées, très médiatisée depuis quelques années, est celle portant sur des psychédéliques. La psilocybine, principe actif de certains champignons hallucinogènes, a montré une efficacité contre la dépression et la dépression résistante dans des essais randomisés, associée à un accompagnement psychologique. La kétamine – utilisée en anesthésie mais également détournée pour ses effets stimulants, hallucinogènes et dissociatifs – a fait ses preuves notamment contre les idées suicidaires, avec une action rapide, et peut aujourd’hui être administrée à l’hôpital en cas de dépression résistante. En outre, des psychostimulants comme le MDMA (amphétamine mieux connue sous le nom d’ecstasy) sont aussi testés en association avec l’accompagnement psychologique dans le trouble du stress post-traumatique – la FDA est en train d’évaluer une demande d’AMM pour cette molécule dans cette indication.
Des études récentes suggèrent des résultats encourageants sur le protoxyde d’azote (« gaz hilarant »), une autre substance psychoactive employée comme anesthésiant – et actuellement détournée à des fins récréatives.
Quelles données ?
Plusieurs travaux ont suggéré que l’inhalation de protoxyde d’azote pouvait avoir un effet rapide (< 24 h) dans l’amélioration des symptômes dépressifs.
Certains essais randomisés évaluant un mélange équimolaire d’oxygène et protoxyde d’azote (50 % de chaque) contre placebo ont trouvé des différences significatives sur l’amélioration des symptômes dépressifs. Chez des patients ayant une dépression résistante, une seule séance d’inhalation du mélange durant 1 heure montrait une efficacité à 2 heures et à 24 heures de l’inhalation, mais l’effet ne perdurait pas à 2 semaines (essai en double aveugle mené en Chine sur 44 patients). Chez des patients ayant un épisode dépressif caractérisé, l’inhalation du mélange pendant 1 heure deux fois par semaine sur 4 semaines montraient une amélioration significative des symptômes à la 4e semaine (essai en double aveugle conduit au Brésil sur 23 patients).
Un autre essai randomisé, mené aux États-Unis sur 24 personnes, a trouvé qu’une plus faible concentration de protoxyde d’azote (25 %) était aussi efficace à 2 semaines que le mélange équimolaire, et plus efficace que le placebo, pour améliorer les symptômes chez des patients ayant une dépression sévère résistante au traitement. Elle avait aussi moins d’effets indésirables (principalement céphalées).
Quels mécanismes d’action ?
Dans une étude publiée en 2023 dans Molecular Psychiatry , des chercheurs de l’Inserm ont voulu mettre en lumière les mécanismes d’action du protoxyde d’azote sur le cerveau qui pourraient expliquer son effet antidépresseur.
Ils ont recruté 30 femmes âgées de 25 à 50 ans, dont 20 avaient une dépression résistante et le reste étaient des volontaires saines. Ils ont administré à toutes les participantes un mélange équimolaire de protoxyde d’azote et oxygène pendant 1 heure ; la progression de leurs symptômes a été évaluée grâce à l’échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS) et leur activité cérébrale a été scrutée au moyen d’IRM fonctionnelles réalisées avant et après l’inhalation.
Une réponse positive au traitement était définie comme la réduction d’au moins 50 % de l’échelle MADRS 1 semaine après l’inhalation. Elle a été constatée chez 9 des patientes dépressives (soit 45 %). Chez ces patientes, une très forte diminution de la connectivité cérébrale du cortex cingulaire antérieur avec le précunéus a été constatée à l’IRM ; or ces zones sont des « nœuds » du réseau du « mode par défaut », qui est celui qui s’active de façon synchrone quand on laisse libre cours à ses pensées – et dont l’hyperactivité est impliquée dans les ruminations et, par conséquent, la souffrance dépressive. Cela suggère que l’inhalation du protoxyde d’azote agit en « éteignant » ce mode.
De plus, les chercheurs ont constaté chez ces mêmes patientes une augmentation importante de l’amplitude des pulsations cérébrales, traduisant une hausse significative du flux sanguin dans le cerveau, dès les premières minutes de traitement. Cet effet, dû probablement aux propriétés vasodilatatrices du protoxyde d’azote, semblait favoriser la réponse antidépressive, sans doute en facilitant la pénétration de la molécule dans le cerveau.
Ces résultats doivent encore être validés sur un plus grand nombre de patients. Ce même groupe de chercheurs est en train de mettre en place plusieurs essais randomisés, notamment chez des personnes âgées dépressives et des personnes ayant des idées suicidaires. « Ces études nous permettront […] d’affiner le protocole, entre autres le pourcentage de N2O dans le mélange, la durée d’exposition ou encore le nombre de séances nécessaires à une action durable dans le temps », explique Thomas Desmidt, premier auteur de l’étude, qui pense avoir suffisamment de données d’ici « quatre à cinq ans […] pour utiliser le protoxyde d’azote en routine clinique. »
Desmidt T, Dujardin PA, Andersson F, et al. Changes in cerebral connectivity and brain tissue pulsations with the antidepressant response to an equimolar mixture of oxygen and nitrous oxide: an MRI and ultrasound study. Mol Psychiatr 2023;28;3900-8.
Yan D, Liu B, Wei X, et al. Efficacy and safety of nitrous oxide for patients with treatment-resistant depression, a randomized controlled trial. Psychiatr Res 2022;317;114867.
Guimarães MC, Guimarães TM, Hallak JE, et al. Nitrous oxide as an adjunctive therapy in major depressive disorder: a randomized controlled double-blind pilot trial. Braz J Psychiatry 2021;43(5);484-93.
Nagele P, Palanca BJ, Gott B, et al. A phase 2 trial of inhaled nitrous oxide for treatment-resistant major depression. Sci Transl Med 2021;13(597).
À lire aussi :
Nobile C. Entretien avec le Dr Guillaume Fond. Dépression : un vent de changement sur les antidépresseurs. Rev Prat (en ligne) 4 octobre 2022.