La valeur seuil la plus consensuelle actuellement justifiant une prise en charge spécifique est < 50 %, alors que la définition la plus stricte pour le diag- nostic d’insuffisance cardiaque systolique est < 45 %. Un seuil < 55 % est parfois retenu pour définir la limite inférieure de la normale.
Démarche bien codifiée
La démarche diagnostique est complexe car les étiologies sont multiples, certaines très fréquentes comme la maladie coronaire, et d’autres très rares ; elle se construit par étapes. Le bilan de première ligne est simple, et la clinique y joue un rôle prépondérant. Puis des bilans de plus en plus spécialisés requièrent le recours à l’expertise d’un centre de référence des cardiomyopathies.
L’évaluation pronostique repose sur la FEVG, une valeur inférieure à 35 % étant associée à un pronostic nettement altéré du fait du risque d’insuffisance cardiaque terminale ou de troubles du rythme ventriculaire exposant potentiellement à la mort subite. D’autres éléments ont une valeur pronostique, notamment la sévérité des symptômes d’insuffisance cardiaque (classe NYHA de I à IV ; tableau), les taux sanguins de biomarqueurs comme le BNP ou le NT-proBNP, une hyperexcitabilité ventriculaire ou une fibrose myocardique à l’IRM.
Trois grandes causes
Anomalies de charge ou de volume ventriculaire : le VG est soumis à une pression anormalement augmentée par un obstacle à l’éjection (rétrécissement aortique serré, HTA sévère chronique) ou une surcharge en volume (insuffisance mitrale ou aortique importante) qui finissent par altérer sa fonction.
Maladie du myocarde. Il peut s’agir d’une cardiomyopathie dans une forme dilatée dont les causes peuvent être multiples – dès le début du processus, la fonction systolique est altérée – ou bien de cardiomyopathies hypertrophiques/restrictives ayant évolué secondairement vers la dysfonction systolique.
Bilan de première ligne
– l’âge : plus les patients sont jeunes (< 35 ans notamment), plus la probabilité d’une cardiomyopathie génétique est élevée. Chez les sujets âgés, l’origine coronaire est la plus probable ;
– l’histoire cardiaque : signes évocateurs, angor, palpitations, syncope ;
– les facteurs de risque d’athérosclérose, notamment HTA et diabète ;
– les antécédents « extracardiaques » pouvant orienter vers une maladie de système de type sarcoïdose, Churg-Strauss ou vers certaines affections génétiques ;
– les traitements en cours (antinéoplasiques, chloroquine, psychotropes) et toxiques (alcool, cocaïne) ;
– les antécédents de radiothérapie ;
– une grossesse en cours ou récente ;
– des voyages ou épisodes infectieux récents.
Les antécédents familiaux doivent être soigneusement étudiés à l’aide d’un arbre généalogique étendu au moins aux apparentés du premier degré (parents, fratrie, enfants) pour dépister d’éventuelles cardiomyopathies, insuffisances cardiaques mais aussi des complications rythmiques et des morts subites.
L’examen clinique recherche une HTA ou au contraire une hypotension parfois secondaire à l’insuffisance cardiaque ; des manifestations cliniques de défaillance cardiaque, un souffle cardiaque, des signes évocateurs d’une maladie de système ou génétique : atteinte articulaire, musculo-squelettique, cutanée, etc.
Le bilan biologique de première ligne comporte : CPK (recherche d’une atteinte musculo-squelettique associée), ionogramme, créatinine, protéinurie, enzymes hépatiques, hémogramme, bilan martial, calcium, phosphate et TSH, fer sérique, sérologie VIH, CRP, BNP ou NT-proBNP. Ces derniers ont une importante valeur prédictive négative : lorsqu’ils sont respectivement inférieurs à 35 et 125 mg/mL : IC peu probable.
L’électrocardiogramme peut montrer des troubles conductifs, notamment un bloc auriculoventriculaire ou un bloc de branche, confirmer le rythme sinusal ou identifier une fibrillation atriale, des ondes Q pathologiques post-infarctus. Il est non spécifique dans certaines cardio- myopathies.
L’échographie cardiaque est cruciale pour le diagnostic et la mesure de la FEVG mais aussi pour traquer des anomalies de la cinétique segmentaire, notamment une séquelle d’infarctus, évaluer la masse cardiaque et les épaisseurs pariétales potentiellement augmentées en cas d’HTA, de sténose aortique, de cardiomyopathie hypertrophique, détecter une valvulopathie significative (sténose serrée, fuite importante), apprécier l’hémodynamique cardiaque (pressions de remplissage ventriculaire, pressions pulmonaires).
Pour mettre en évidence une coronaropathie, notamment chez les patients de plus de 35 ans ou avec facteurs de risque cardiovasculaire : coronarographie ou scanner coronaire selon le contexte.
Le dépistage familial des apparentés s’impose si le bilan oriente vers une cardiomyopathie, qu’il y ait ou non des antécédents avérés chez les proches. Dans ce contexte, une atteinte myocardique est identifiée chez environ 30% des apparentés.
Une IRM cardiaque peut être faite à ce stade, au moins si l’origine n’est pas identifiée notamment, car elle oriente parfois le bilan étiologique vers une cause inflammatoire, une hémochromatose ou plus rarement une dysplasie arythmogène du ventricule droit.
Bilan de deuxième ligne
– l’âge : plus le patient est jeune, avec une longue espérance de vie, plus cette démarche fait sens. En outre, ces sujets sont très susceptibles d’être atteints d’une maladie génétique avec des implications pour la famille ;
– le contexte général : l’association d’atteinte d’autres organes peut suggérer une pathologie génétique ou systémique ;
– la gravité : car dans certains cas (troubles du rythme ventriculaire non contrôlés), un traitement spécifique peut améliorer le pronostic ;
– des anomalies « électriques » au premier plan, notamment des troubles conductifs sévères ou des arythmies supra- ou ventriculaires incitent à rechercher certaines causes génétiques (laminopathies ;
Ce bilan est généralement effectué en secteur hospitalier, idéalement dans un centre de référence spécialisé dans la prise en charge des cardiomyopathies compte-tenu de la complexité des algorithmes diagnostiques et de l’interprétation des examens.
Un certain nombre de dosages contribuent au diagnostic :
– thiamine (vitamine B1) carnitine, sélénium, à la recherche d’un déficit ;
– sérologies virales, Lyme, Chagas (causes infectieuses ou parasitaires) ;
– catécholamines plasma/urines (phéochromocytome) ;
– enzyme de conversion de l’angiotensine pour détecter une sarcoïdose ;
– bilan immunologique (anticorps divers, auto-anticorps) pour identifier une maladie de système.
Les études les plus récentes montrent que l’exploration génétique à ce stade identifie une mutation dans environ 50 % des cas. Ce diagnostic a connu des progrès considérables et il est maintenant accessible dans plusieurs services hospitaliers. La stratégie actuelle est de séquencer des panels de plusieurs dizaines de gènes, soit une recherche d’emblée large. Pour cela, un simple prélèvement sanguin suffit. Mais l’interprétation de ces test est complexe et longue (parfois plusieurs mois) requérant des échanges entre généticien et cardiologue. Souvent, il est nécessaire d’étudier le profil génétique des apparentés. Il est fortement conseiller de s’appuyer sur des centres de référence et de compétence dans le domaine.
Lorsqu’une mutation est identifiée, dans un certain nombre de cas, des prises en charge conventionnelles « à la carte » peuvent être proposées. Par exemple, si l’anomalie se situe au niveau du gène LMNA (laminopathies), responsable de 5 % des cas de cardiomyopathies dilatées, un défibrillateur est volontiers indiqué, et le traitement médical de l’insuffisance cardiaque doit être rapidement agressif.
Une atteinte inflammatoire du myocarde peut être responsable d’une dysfonction myocardique dans un contexte de myocardite aiguë ou de manière chronique. En cause : les infections virales et, dans une moindre mesure, bactériennes ou parasitaires, ainsi que les pathologies auto-immunes systémiques ou parfois auto-immunes spécifiquement cardia- ques. Elles sont sans doute sous-diagnostiquées à l’heure actuelle.
L’IRM cardiaque peut montrer des signes d’inflammation, la biopsie myocardique permet de rechercher des infiltrats inflammatoires et d’effectuer une analyse virologique. La TEP au 18F-FDG est l’examen de référence en termes de sensibilité et de spécificité. Il paraît logique d’envisager ces explorations chez les patients ayant des signes de gravité car les implications pronostiques d’un non-diagnostic peuvent être importantes.
En pratique, comment procéder ?
Le premier temps peut être géré en ville pour une majorité de patients par le biais d’un échange entre médecin généraliste et cardiologue. L’ensemble du bilan initial peut en effet être effectué en ambulatoire (sauf peut-être la coronarographie), ainsi que l’initiation du traitement, à l’exception des patients ayant des signes de gravité comme une insuffisance cardiaque décompensée.
Si le bilan de première ligne est négatif, on oriente le patient vers un service hospitalier et/ou un centre de référence spécialisé dans la prise en charge des maladies myocardiques.
Tableau
Médicamenteuses
• Chimiothérapies (anthracyclines ; antimétabolites, agents alkylants, Taxol, AC monoclonaux, inhibiteurs de la tyrosine kinase, immunothérapies)
• Psychotropes
• Chloroquine
Toxiques
• Éthanol+++
• Cocaïne, amphétamines, ecstasy
• Arsenic, cobalt, stéroïdes
Surcharge en fer
• Hémochromatose
• Transfusions itératives
Carentielles
• Sélénium, thiamine, zinc
• Hypocalcémie, hypophosphatémie
Endocriniennes
• Hypo- et hyperthyroïdie
• Cushing/Addison
• Phéochromocytome
• Acromégalie
Péripartum (rare, idiopathique)
• Fin de grossesse ou mois suivant l’accouchement
Génétiques
• Plus de 50 gènes : lamines, desmine, sarcomériques…
Inflammatoires
• Infectieuses : virales (parvovirus B19, HPV 6), bactériennes (Lyme), mycobactéries, fungiques, parasitaires (Chagas, responsable de myocardite)
• Auto-immunes : cardiaques ou systémiques (poly/dermatomyosites, Churg–Strauss, Wegener, lupus, sarcoïdose)
C’est un ensemble hétérogène de pathologies en rapport avec la mutation d’un gène codant pour les lamines A et C, protéines de la membrane nucléaire exprimées de façon ubiquitaire. Les phénotypes sont variables, avec un tropisme plus ou moins marqué à l’intérieur d’une même famille pour les tissus musculaires, nerveux et adipeux.
L’atteinte cardiaque est fréquente, elle se manifeste selon les patients par des troubles du rythme supraventriculaire, de la conduction (FA, flutter atrial) et une myocardiopathie dilatée isolée ou associée à une atteinte musculaire périphérique.
La cardiopathie conditionne le pronostic, avec un risque très élevé de mort subite rythmique chez l’adulte jeune (supérieur à celui des autres formes génétiques de cardiopathie dilatée).
L’évolution peut aussi se faire par une progression de la dysfonction ventriculaire gauche qui peut conduire à une insuffisance cardiaque terminale (souvent vers l’âge de 50 ans).
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