Quelques notions de physiopathologie
L’examen clinique doit rechercher une anomalie de fonctionnement des différentes structures anatomiques indispensables à une déglutition qualitative (encadré 1).
Les notions de trouble de la déglutition et de dysphagie font référence à la même définition d’un point de vue sémiologique. La déglutition ou acte d’avaler réalise le transport des aliments de la bouche jusqu’à l’estomac en assurant la protection des voies aériennes supérieures selon trois temps : préparation du bol alimentaire, transport oral, puis transport pharyngé.
En découlent différents mécanismes physiopathologiques :
- pendant la phase préparatoire : défaut de contention labiale ou vélopharyngée ; trouble de la salivation ou de la mastication ;
- pendant la phase de transport oral : trouble de l’initiation du temps oral ; défaut de fermeture de la cavité buccale, de propulsion du bolus, d’initiation ou de déclenchement du temps pharyngé ;
- pendant la phase pharyngée : défaut de protection des voies aériennes par défaut en haut de la fermeture vélopharyngée ou en bas de la fermeture laryngée ; anomalie des mécanismes d’expulsion comme la toux ou encore de propulsion pharyngée.
Examen clinique
L’interrogatoire vise à rechercher des symptômes spécifiques comme le bavage, la présence de résidus buccaux, la description d’un blocage haut situé ou bas situé, une toux, un reflux nasal.
Des symptômes aspécifiques orientent sur la gravité des troubles : restrictions alimentaires, augmentation de la durée du repas, modification des textures, isolement social, perte du plaisir de manger, peur des prises alimentaires, persistance d’une sensation de faim après le repas, altération de l’état général.
Les explorations fonctionnelles possibles sont la nasofibroscopie (par un ORL, fig. 1) et l’examen vidéoradioscopique de la déglutition d’un bolus baryté (examen de référence mais non réalisable en ville ni dans tous les centres). Des tests d’observation peuvent être réalisés en consultation : le 3 oz Water Swallow Test et le Gugging Swallowing Screen. D’autres examens existent mais ne sont pas pratiqués en routine clinique (IRM dynamique, échographie de la langue et des muscles du plancher avec une étude exclusive du temps oral, manométrie pharyngée et œsophagienne, scintigraphie de la déglutition, électromyographie, auscultation cervicale pour l’étude des bruits réalisés pendant la déglutition).
En pratique, l’interrogatoire et l’examen clinique réalisé par le médecin traitant ont toute son importance afin d’orienter le patient. Un questionnaire de dépistage rapide, le EAT 10, est plus simple que les tests d’observation décrits ci-dessus et pourrait être proposé en routine (fig. 2).
La conduite à tenir en MG est illustrée dans l’arbre décisionnel en figure 3.
Quelles causes ?
Les étiologies principales selon l’évolution (aiguë ou chronique) sont indiquées dans l’encadré 2.
La presbyphagie est à l’origine d’une atrophie de la muqueuse, d’une diminution de la force musculaire mais aussi du tonus et de l’élasticité, d’une édentation, d’une perte de goût, de troubles de l’insalivation, d’une invagination des lèvres avec incontinence labiale possible, d’une articulation temporo-mandibulaire moins mobile, d’une ossification des cartilages laryngés, ce qui va freiner l’élévation du larynx et donc entraver la protection des voies aériennes supérieures mais aussi diminuer, de fait, l’ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage pouvant être à l’origine de blocage. C’est un diagnostic d’élimination.
Les causes infectieuses – d’origine virale, bactérienne ou mycosique – sont fréquentes : caries, abcès dentaires, angines, abcès périamygdaliens/rétropharyngés/parapharyngés, épiglottite, œsophagite. Les processus infectieux neurologiques sont plus rares : atteinte des paires crâniennes dans les otites externes malignes par exemple, abcès cérébraux, poliomyélite, syphilis, méningite, Lyme, VIH, botulisme. L’angine diphtérique est très rare.
Parmi les causes tumorales, on distingue :
- cancers ORL (fig. 4) : le terrain alcoolique-tabagique est favorisant mais il ne faut pas oublier les cancers HPV-induits dont le nombre croît depuis quelques années (+ 200 % depuis les années 1960) ; ils sont à évoquer devant des douleurs pharyngées s’apparentant à une symptomatologie d’angine traînante et réfractaire aux antibiotiques. Bilan d’imagerie à réaliser : IRM + scanner cervicothoracique. La prévention se fait par le vaccin Gardasil 9 qui est étendu aux patients de sexe masculin depuis 2021 (encadré 3) ;
- tumeur des nerfs crâniens impliqués dans la déglutition ;
- tumeur cérébrale ;
- syndrome paranéoplasique.
Le diverticule de Zenker est un diverticule pharyngo-œsophagien à évoquer devant un patient âgé ayant un trouble de déglutition avec des régurgitations d’aliments non digérés après le repas pouvant s’associer à une altération de l’état général important. Un TOGD (transit œsogastroduodénal) en fait le diagnostic. Le traitement est chirurgical.
Les causes obstructives les plus fréquentes sont les corps étrangers (terrain psychiatrique ou dentier chez le patient âgé) et les ostéophytes cervicaux chez la personne âgée mis en évidence par une radiographie cervicale simple de profil ; étiologies plus rares : goitre, lipome cervical, arc aortique.
Les pathologies neurologiques en cause sont multiples :
- par atteinte des paires crâniennes autres qu’infectieuses et/ou tumorales et/ou métaboliques : syndrome de Guillain-Barré ;
- infirmité cérébrale et syndromes malformatifs comme la malformation d’Arnold Chiari ou la syringobulbie ;
- AVC : troubles de la déglutition retrouvés dans 60 à 80 % des patients ayant subi un AVC hémisphérique unique à type principalement de retard de déclenchement de la phase pharyngée. Ces troubles sont dans la plupart des cas résolutifs en quelques mois ; dans 20 % des cas on retrouve des inhalations dont 25 % vont entraîner des pneumopathies engageant le pronostic vital ;
- le traumatisé crânien peut regrouper un ensemble de troubles responsable de troubles de la déglutition sévères : on peut retrouver une hypotonie labio-glosso-pharyngée responsable de bavage ou au contraire une hypertonie responsable de trismus, des réflexes archaïques (succion, mâchonnement), des troubles du comportement alimentaire et de l’image du corps avec des postures inadaptées à une déglutition qualitative. Les troubles sont souvent majorés par la présence d’une trachéotomie et souvent d’une sonde nasogastrique ou d’une neuropathie de réanimation ;
- démence neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer ;
- SEP : les troubles de déglutition sont constants dans la phase terminale de la maladie ;
- SLA : la forme bulbaire survenant dans 25 % des cas est caractérisée par une dysarthrie et/ou dysphagie apparaissant au début de la maladie. Les autres signes cliniques devant faire évoquer cette pathologie en cas de troubles de déglutition chez un patient de 45 - 75 ans jusqu’alors sain sont : des crampes, une amyotrophie associée à un déficit musculaire, des fasciculations (à rechercher au niveau lingual, vidéo ici), un syndrome pyramidal (réflexes très vifs) et un syndrome pseudobulbaire (rire ou pleur spasmodique).
- maladie de Parkinson : les troubles de déglutition sont systématiques lors de l’évolution de la maladie ; le « rolling » (déplacement répété antériopostérieur du bol alimentaire) est spécifique.
Les maladies musculaires peuvent être en cause, qu’elles soient acquises comme les polymyosites et myosites dans lesquelles l’apparition de troubles de déglutition est un facteur de gravité, ou héréditaires comme la dystrophie myotonique de Steinert et la dystrophie oculopharyngée dans lesquelles les troubles de déglutition sont constants.
Autres causes :
- dysfonctionnement du sphincter supérieur de l’œsophage par défaut de relaxation de cause centrale, par compression mécanique de cause tumorale ou par hypertonie musculaire ;
- iatrogénie avec en chef de file la radiothérapie (prise en charge des cancers ORL) mais aussi la chirurgie des néoplasies des VADS, le port de SNG et/ou sonde d’intubation pendant une longue durée, certains médicaments (psychotropes, neuroleptiques, anticholinergiques, antipsychotiques)
- maladie de système : syndrome de Behçet (aphtes buccaux), syndrome de Gougerot-Sjögren (xérostomie), sclérodermie (trouble de la motricité œsophagienne) ;
- pathologies métaboliques comme le diabète pouvant être responsable de multineuropathie, maladie de Wilson, amylose.
Quelle prise en charge ?
La prise en charge, globale, doit être précoce voire urgente en cas de facteurs de gravité (cf. ci-dessus).
Il est nécessaire de suppléer l’alimentation orale par une nutrition entérale ou de la compléter par des compléments nutritionnels oraux si elle est insuffisante ou que les troubles sont majeurs (passer à une alimentation entérale de type gastrostomie si l’alimentation orale ne peut se faire exclusivement après 3 mois de sonde nasogastrique). L’accompagnement doit se faire par une diététicienne qui adapte les apports caloriques et guide le patient dans son alimentation au quotidien.
Une prise en charge de rééducation par orthophonie est indispensable, à adapter à la cause des troubles.
Le suivi par un ergothérapeute peut être utile afin d’adapter l’environnement du patient et faciliter la prise alimentaire.
Le poids est un élément fondamental à surveiller chez les patients ayant des troubles de la déglutition.
Qu’en retenir ?
- Une symptomatologie traînante d’angine doit faire rechercher un néoplasie des voies aérodigestives supérieures, y compris si le patient n’a pas un profil alcool-tabac.
- Une altération de l’état général et/ou des pneumopathies à répétition sont à considérer comme une urgence chez un patient avec dysphagie.
- Une coordination des soins autour d’un patient ayant des troubles de la déglutition est nécessaire : orthophoniste, diététicienne, spécialiste, ergothérapeute, psychologue. Ils auront tous un rôle dans la prise en charge globale.
1. Structures anatomiques indispensables à une déglutition qualitative :
La sangle labiojugale.
Les muscles masticateurs (ptérygoïdien latéral et médial et temporal et masséter) et muscles du plancher buccal (muscles sus-hyoïdiens : géniohyoïdien, mylohyoïdien, digastrique) qui assurent la dynamique mandibulaire.
Les 17 muscles de la langue qui assurent la dynamique linguale pendant la déglutition : la partie antérieure de la langue va s’appuyer progressivement d’avant en arrière ; la partie moyenne va s’accoler au palais mou au moment de la déglutition et va se déformer pour laisser passer le bol alimentaire ; la base va réaliser un mouvement postérieur pour aider à la propulsion alimentaire dans le pharynx.
Le voile du palais : l’occlusion vélolinguale ferme l’accès à l’oropharynx pendant le début du temps oral puis l’occlusion vélopharyngée ferme l’accès à la cavité buccale quand le bol a été envoyé dans le pharynx.
Le larynx qui assure un repliement sur lui-même puis s’ascensionne et se projette en avant.
Dynamique pharyngée : péristaltisme pharyngien poussant les aliments vers l’œsophage.
2. Étiologies principales de dysphagie selon l’évolution
Dysphagies aiguës
Causes infectieuses
Corps étrangers
Dysphagies chroniques
Dysphagie en lien avec le vieillissement
Après radiothérapie cervicale
Maladies neurologiques : SEP, maladie de parkinson, AVC, SLA…
Maladies musculaires
Cancers ORL
3. Recommandations vaccinales contre les papillomavirus (HAS 16/12/2019) intégrées dans le calendrier des vaccinations 2021
Gardasil 9 peut être utilisé pour les populations suivantes :
- toutes les filles et tous les garçons de 11 à 14 ans révolus, avec un rattrapage possible pour tous les adolescents et jeunes adultes (hommes et femmes) de 15 à 19 ans révolus ;
- les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) jusqu’à l’âge de 26 ans.
Le schéma de vaccination consiste en l’administration de deux doses de vaccin Gardasil 9 (M0 -M6) chez les 11 - 14 ans révolus et trois doses (M0 -M2 -M6) en rattrapage chez les 15 - 19 ans révolus.
Chez les HSH, le schéma vaccinal inscrit dans le calendrier vaccinal depuis 2017 n’est pas modifié, avec l’administration de trois doses de Gardasil 9 jusqu’à l’âge de 26 ans révolus.
Extrait de : Mes vaccins.net. GARDASIL 9. 23 novembre 2023.
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