Les dysphonies sont fréquentes chez l’adulte et 30 % des moins de 65 ans en sont touchés au cours de leur vie. Causes, pièges diagnostiques, conduite à tenir et prise en charge en MG, signes d’alerte… l’essentiel dans cette fiche pratique, arbre décisionnel à l’appui.

Motif fréquent de consultation en médecine générale, la dysphonie est une altération de la voix pouvant porter sur le timbre, la hauteur ou l’intensité.1 La phonation est un phénomène complexe faisant appel à 3 structures : l’appareil respiratoire (« soufflerie »), le vibrateur laryngé et les cavités de résonance. La vibration des cordes vocales (ou plis vocaux) génère le son de la voix, qui est ensuite modulé par les résonateurs supra-laryngés : oropharynx, nasopharynx, cavité buccale.2 La prévalence de la dysphonie, chez les adultes de moins de 65 ans, serait de 6,6 %, mais 29,9 % auraient un trouble de la voix au cours de leur vie.3Elle touche le plus souvent les femmes, avec un sex ratio de 3 pour 2 hommes.3

On parle de dysphonie aiguë lorsqu’elle dure quelques jours. Elle est dite chronique si elle persiste pendant plus de 15-20 jours.4 C’est un symptôme invalidant, surtout en cas d’usage professionnel de la voix. Son impact n’est donc pas négligeable, engendrant parfois un absentéisme au travail.3

Pièges diagnostiques

Il faut veiller à ne pas confondre l’altération de la voix avec celle de la parole.4 La parole est le langage articulé qui permet d’exprimer et de communiquer la pensée. Ainsi, la dysphonie doit être différenciée des troubles de l’articulation comme la dysarthrie due aux pathologies neurologiques (sclérose latérale amyotrophique, syndromes parkinsoniens) ou des modifications de la parole liées à des anomalies de la morphologie des résonateurs (rhinolalie, voix pharyngée dans les cancers ou amygdalites).

Enfin, l’hypophonie d’origine hypoventilatoire (insuffisance respiratoire avec baisse du débit d’air) est à repérer afin de ne pas omettre un bilan thoracique et pulmonaire.

Examen clinique

L’interrogatoire précise les caractéristiques du trouble. D’autres signes d’atteinte de la filière aérodigestive (dyspnée, dysphagie, odynophagie, hémoptysie), des douleurs ainsi qu’une altération de l’état général doivent être systématiquement recherchés.

On s’enquiert des antécédents du patient (consommation alcoolo-tabagique) et du contexte de survenue des symptômes (chirurgie récente, traumatisme, rentrée scolaire chez un enseignant).5

À l’examen, on palpe les aires ganglionnaires cervicales pour détecter des adénopathies ou une tuméfaction. L’examen ORL recherche des signes infectieux ou des lésions suspectes. L’auscultation pulmonaire (trouble ventilatoire) ne doit pas être omise. Enfin, un examen neurologique est nécessaire devant toute suspicion d’étiologie neurologique.4

En consultation ORL, une nasofibroscopie (introduction d’un fibroscope souple par une fosse nasale) permet un examen complet des fosses nasales, du pharynx et du larynx (figs. 1, 2 et 3). Ce dernier est examiné en position de respiration ainsi que phonatoire pendant l’émission du son « é ».

Quelles causes ? (réfs. 1,2,6)

Dysphonies aiguës

En cas de début brutal des symptômes, une laryngite aiguë est le plus souvent en cause, liée en général à une infection virale des voies respiratoires supérieures (v. encadré). La dysphonie est dans ce cas au premier plan et est accompagnée de signes de viroses (rhinorrhée, toux, fièvre, courbature…). Dans ce cas, un avis spécialisé n’est à priori pas nécessaire.

Les origines bactériennes sont plus rares. Le tableau peut être sévère et nécessite alors une évaluation systématique par l’ORL à la recherche de signes d’épiglottite nécessitant alors une prise en charge hospitalière. Il existe également des dysphonies d’origine herpétique, tuberculeuse, mycosique.

Le coup de fouet laryngé a une anamnèse caractéristique : il correspond à un hématome de corde vocale faisant suite à un effort vocal intense et/ou prolongé (cri, éclat de voix, éternuement, malmenage vocale ponctuel).

Toute immobilité laryngée brutale, quelle que soit son étiologie, doit être suspectée devant l’association de dysphonie et fausses routes d’évolution conjointe (cf. causes des dysphonies chroniques). Cette suspicion impose un bilan tomodensitométrique cervico-facial et thoracique qui sera complété d’une échographie cervicale et thyroïdienne si le bilan est normal ainsi que d’une IRM cervico-faciale et de la base du crâne. Un bilan auprès d’un spécialiste est indiqué afin d’évaluer objectivement l’impact vocal, d’orienter le patient vers une prise en charge orthophonique rapide et enfin pour instaurer un geste chirurgical de médialisation qui sera à réaliser en urgence en cas de fausses routes majeures.

L’origine psychogène, peu fréquente, est à évoquer, uniquement après élimination formelle de toute cause organique, chez le/la patient(e) ayant une dysphonie voire une aphonie en dehors de toute cause traumatique ou infectieuse, d’autant plus si associée à un contexte d’angoisse ou dépression.

Un mécanisme allergique, plus rare, peut être responsable d’un épisode laryngé œdémateux brutal sans étiologie évidente. Une laryngite allergique, un œdème angioneurotique ou de Quincke mettent en jeu le pronostic vital et nécessitent donc une prise en charge spécialisée, hospitalière, urgente, en cas de suspicion.

Dysphonies chroniques

Elles peuvent être organiques ou dysfonctionnelles.

Les causes organiques sont la conséquence d’anomalies des plis vocaux. Les lésions bénignes les plus courantes sont les nodules (fig. 4). Chez une patiente tabagique chronique, la laryngite chronique se manifeste volontiers par un œdème dit de Reinke, de cause également bénigne (fig. 5).

Parmi les causes d’origine malignes, le carcinome épidermoïde est de loin la plus fréquente. Ces tumeurs surviennent principalement chez l’homme (sex ratio homme/femme de 6/1 pour les cancers du larynx), notamment en cas d’intoxication alcoolo-tabagique chronique. Elles peuvent être associées à une altération de l’état général, à des métastases ganglionnaires cervicales, voire à des atteintes synchrones des voies aérodigestives supérieures (fig. 6).

La papillomatose laryngée (fig. 7) est une pathologie le plus souvent bénigne mais dont la transformation maligne est possible. Il s’agit du développement au niveau de la muqueuse des voies aérodigestives supérieures (avec une forte prédilection pour le larynx) de lésions exophytiques volontiers exubérantes, ce qui explique qu’à la dysphonie initiale peut s’ajouter une dyspnée. Cette pathologie est due au papillomavirus (virus HPV). La transmission se fait par voie cutanée ou muqueuse (infection sexuellement transmissible par les rapports oraux génitaux). La prise en charge est chirurgicale puis impose un suivi spécialisé en raison de son caractère chronique et récidivant. La prévention se fait par la vaccination (Gardasil 9 recommandé) étendue aux patients de sexe masculin depuis janvier 2021.1

Enfin, les troubles de la mobilité peuvent être dus :

  • à une anomalie de l’innervation des plis vocaux (atteinte directe du nerf laryngé récurrent par un traumatisme chirurgical, un cancer thyroïdien, œsophagien, hypopharyngé, un cancer thoracique du côté gauche…) ;
  • à des pathologies neurologiques centrales (sclérose en plaques, accident vasculaire et tumeurs du tronc cérébral) et neuromusculaires (maladie de Charcot-Marie-Tooth) ;
  • au blocage de l’articulation crico-aryténoïdienne (ankylose, luxation) ;
  • et à des mouvements anormaux des cordes vocales (dysphonie spasmodique, tremblements, myoclonies).

Les dysphonies dysfonctionnelles – anciennement appelées non organiques – sont, elles, liées à un mésusage du larynx ; elles surviennent notamment chez les enseignants ou les professionnels de la voix (chanteurs, acteurs) mais également chez toute personne à la suite de malmenage et/ou de surmenage vocal. Elles peuvent aboutir à la formation de lésions bénignes des plis vocaux (nodules, polypes, fig. 8).

Conduite à tenir en MG (fig. 9)

Devant une dysphonie aiguë (< 8 jours), le médecin généraliste instaure le traitement : repos vocal pendant 2 à 3 jours avec arrêt du tabac +++ et des facteurs irritants. Les corticostéroïdes inhalés ou per os sont largement employés en pratique courante, cependant aucune étude n’a prouvé leur efficacité ; au contraire, de nombreuses études font part de dysphonie post-corticothérapies inhalées. La corticothérapie par voie orale et l’antibiothérapie ne sont pas recommandées.7Un IPP peut être associé en cas de pyrosis avéré.7

Le médecin généraliste, compte tenu des éléments de l’anamnèse et de l’examen clinique, adresse le patient chez l’ORL en urgence s’il détecte des signes de gravité immédiats :

  • hémoptysie ;
  • dyspnée ou obstruction des voies aériennes ;
  • fausses routes importantes ou aphasie associée ;
  • signes neurologiques évoquant un AVC aigu (orienter vers un service d’urgences) ;
  • suspicion d’inhalation de corps étranger.

Les autres éléments de l’anamnèse ou de l’examen clinique devant faire suspecter une cause potentiellement grave sont :

  • antécédents d’intoxication tabagique ou alcoolo-tabagique ;
  • découverte concomitante d’une masse cervicale ;
  • dysphonie post-traumatique ;
  • dysphagie, odynophagie, otalgie ;
  • signes neurologiques associés ;
  • perte pondérale inexpliquée ;
  • patient immunodéprimé ;
  • dysphonie s’aggravant ;
  • persistant dans les suites d’une chirurgie (intubation/chirurgie cervicale ou thoracique).

Ces facteurs, d’autant plus s’ils sont associés à un trouble de la voix datant de plus de 15 jours, imposent une consultation ORL.4

Si le patient a des exigences vocales élevées (usage professionnel de la voix), malgré l’absence de signe d’alerte et de suspicion de cause potentiellement grave, une consultation ORL est également nécessaire (sans urgence), pour poser précocement un diagnostic étiologique et éviter la chronicisation des lésions. Chez ces patients, une rééducation orthophonique est souvent utile pour réacquérir un « bon geste vocal ».

Comme pour tout symptôme, il ne faut pas hésiter à revoir le patient en cas de persistance, pour s’assurer de l’absence de signe de gravité imposant l’organisation d’une consultation spécialisée.

Encadre

Étiologies selon l’évolution1

Dysphonies aiguës

  • Laryngites aiguës
  • Immobilité laryngée d’apparition brutale (le plus souvent d’origine traumatique ou tumorale)
  • Aphonie psychogène
  • Traumatismes laryngés

Dysphonies chroniques

  • Lésions bénignes acquises (nodule, polype, granulome, œdème de Reinke)
  • Ou congénitales (sulcus glottidis, micropalmure)
  • Laryngites chroniques (œdème de Reinke, leucoplasie)
  • Cancers laryngés
  • Troubles de la mobilité des cordes vocales (paralysie récurrentielle, blocage de l’articulation crico-thyroïdienne)
  • Dysphonies à cordes vocales normales (dysphonie dysfonctionnelle, psychogène, spasmodique, presbyphonie)
Références
1. Giovanni A, Crestani S, Crevier-Buchman L, et al. Rapport de la SFORL 2022. Les troubles de la voix : mécanismes, explorations et prise en charge.  Paris: Santor, 2022.
2. Guerrier B, Giovanni A, Remacle M. Rapports de la SFORL 2004. Pathologie de la corde vocale chez l’adulte.  Paris: L’Européenne, 2004.
3. Roy N, Merrill RM, Gray SD, et al. Voice disorders in the general population: prevalence, risk factors, and occupational impact.  Laryngoscope 2005;115(11):1988-95.
4. Collège français ORL et CCF. Item 86. Trouble aigu de la parole. Dysphonie. 11 décembre 2017.
5. Giacchero P, Osta A, Adrey B, et al. Dysphonies dysfonctionnelles.Oto-rhino-laryngologie 2014 [20-752-A-15].
6. Plisson L, Demez P, Dolfus C, et al. Laryngites chroniques.  Oto-rhino-laryngologie 2013 [20-645-C-10].
7. Schwartz SR, Cohen SM, Dailey SH, et al. Clinical practice guideline: hoarseness (dysphonia).  Otolaryngol Head Neck Surg 2009;141(3 Suppl2): S1-S31.
Pour en savoir plus :
De Monès Del Pujol E, Amy de la Bretèque B, Carsuzaa F, et al. Actualisation de la recommandation pour la pratique clinique : paralysies laryngées unilatérales de l’adulte.  SFORL 4 juillet 2022

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