L’eczéma atopique – ou dermatite atopique – est une dermatose chronique inflammatoire prurigineuse qui touche environ 15 % des enfants et 4 % des adultes en France.1,2 Sa prévalence est en augmentation constante dans les pays industrialisés. La maladie est plurifactorielle : les mécanismes physiopathologiques combinent une fragilité innée de la barrière cutanée, une activation de l’immunité innée et adaptative et un déséquilibre du microbiome cutané.3
La dermatite atopique est associée à la survenue d’un asthme, d’une rhinite allergique et d’allergie alimentaire pour environ 50 % des patients. Des antécédents familiaux de maladies atopiques sont fréquents. L’augmentation de la prévalence de l’eczéma atopique en fait un problème de santé publique dont la prise en charge associe médecins généralistes, pédiatres et dermatologues.
Comment le repérer ?
Un diagnostic clinique
Le diagnostic de dermatite atopique est clinique. Des critères ont été établis par le United Kingdom Working Party.4 Peu utilisés en pratique, ils mettent en évidence les caractéristiques cliniques principales de l’eczéma atopique et en permettent le diagnostic en présence d’une dermatose prurigineuse chronique associée à au moins trois des critères suivants :
- eczéma visible des plis de flexion (ou des joues/faces d’extension des membres avant l’âge de 18 mois) ;
- antécédent personnel d’eczéma des plis de flexion (ou des joues/face d’extension des membres avant l’âge de 18 mois) ;
- antécédent personnel de peau sèche au cours de la dernière année ;
- antécédent personnel d’asthme ou de rhinite allergique (ou antécédent familial direct pour l’enfant de moins de 4 ans) ;
- apparition de lésions avant l’âge de 2 ans.
Le tableau clinique de l’eczéma atopique évolue avec l’âge et la durée d’évolution de la maladie. Lors de la phase aiguë, on observe des lésions vésiculeuses (souvent microscopiques, peu visibles à l’œil nu), secondairement suintantes puis croûteuses sur un fond érythémateux mal limité par rapport à la peau saine, et souvent associées à des lésions de grattage (fig. 1). L’évolution chronique de la maladie se fait sous forme de lichénification – épaississement de la peau due au grattage –, associée à une xérose (sécheresse) cutanée (fig. 2).
Chez le nourrisson, les lésions débutent souvent au niveau du visage (fig. 3) et du cuir chevelu, puis s’étendent sur les faces d’extension des membres et sur le tronc. Les régions péri-orificielles du visage (nez, sourcils et bouche) ainsi que le siège sont souvent épargnés. Après l’âge de 2 ans, les lésions se localisent plus volontiers au niveau des plis de flexion. On peut observer un double pli sous-palpébral (signe de Dennie-Morgan).
Chez l’adulte, les lésions se localisent principalement au niveau du visage et du cou (forme « head and neck »). L’inflammation chronique induite par l’eczéma peut être responsable d’une hyperpigmentation cutanée, notamment chez les patients de phototype foncé. Une forme similaire au prurigo existe, avec des nodules excoriés au niveau des membres inférieurs en particulier. La dermatite atopique peut être associée à une atteinte palpébrale et ophtalmologique (kératites et kératoconjonctivites) [fig. 4]. Une atteinte des mains et des dystrophies unguéales peut être également associée.
L’eczéma nummulaire est une forme particulière d’eczéma à connaître, plus résistante aux traitements : les lésions sont arrondies, infiltrées et inflammatoires.
Éliminer les diagnostics différentiels
Chez le nouveau-né, le tableau clinique, notamment l’atteinte du cuir chevelu, peut faire confondre dermatite atopique et dermite séborrhéique.
Un prurit chronique chez l’enfant doit toujours faire rechercher une gale.
Le psoriasis de l’enfant peut atteindre le visage et donc se rapprocher cliniquement d’un eczéma, notamment dans sa forme nummulaire. Par ailleurs, il faut savoir rechercher des formes syndromiques et des déficits immunitaires en cas d’association entre une dermatite atopique précoce et sévère, des infections à répétition et un retard de croissance staturo-pondérale.
Chez l’adulte, notamment lorsque l’eczéma débute tardivement, il faut savoir rechercher un psoriasis, un lymphome T cutané (mycosis fongoïde), une dermatophytose, une gale ou une toxidermie (chez le sujet âgé principalement).
Deux complications infectieuses
Deux complications infectieuses sont à dépister et à traiter : la surinfection bactérienne à Staphylococcus aureus et la surinfection herpétique.
La surinfection bactérienne doit être évoquée en cas d’apparition de lésions vésiculo-bulleuses, jaunâtres associées à des croûtes mélicériques (fig. 5). Un traitement par antibiotique, local en cas de lésions très limitées, ou par voie générale le plus souvent, doit être instauré en cas de suspicion de surinfection : amoxicilline-acide clavulanique en première intention. L’antibiothérapie peut être associée à une corticothérapie locale soit d’emblée, soit après quarante-huit heures, selon la gravité de la sur-infection.
Une surinfection herpétique doit être suspectée en cas d’apparition de vésicules puis d’érosions volontiers nécrotiques, douloureuses, avec aggravation franche de la dermatite atopique. Cette surinfection nécessite la prescription d’un traitement par aciclovir per os, ou par voie intraveineuse en fonction de la gravité. Les dermocorticoïdes ne doivent pas être utilisés dans cette situation.
Trois volets indispensables pour une prise en charge optimale
Le traitement de la dermatite atopique repose sur une évaluation de la gravité, la recherche de cofacteurs aggravants (allergies, stress, surinfection) et la mise en place d’un plan de traitement personnalisé. On distingue le traitement d’attaque, à la phase aiguë, et le traitement d’entretien. Il est primordial d’expliquer au patient qu’il s’agit d’une maladie chronique évoluant par poussées, qui a généralement tendance à s’atténuer avec le temps mais qui nécessite des soins au long cours. La majorité des dermatites atopiques sont contrôlées par un traitement topique associant dermocorticoïdes et émollients. Certaines formes, plus sévères, peuvent nécessiter un recours aux traitements systémiques. Des recommandations européennes ont été rédigées en ce sens en 2022 (fig. 6 et 7).5,6
Topiques : la base
Les dermocorticoïdes constituent le socle de la prise en charge de l’eczéma atopique. L’utilisation de cette classe thérapeutique est parfois à l’origine de craintes. Pourtant, utilisés de manière raisonnée et surtout adaptée à la localisation des lésions et à l’âge du patient, ils engendrent très peu d’effets indésirables. Les dermocorticoïdes existent sous différentes formes galéniques de différents niveaux de puissance (tableau).
Les classes très fortes sont utilisées en traitement d’attaque sur des zones particulières, les mains et les pieds notamment, mais également pour certaines formes d’eczéma nummulaire ou très lichénifié. Les pommades sont intéressantes dans ces localisations car elles permettent une meilleure pénétration du principe actif dans la peau.
Les classes fortes sont les plus fréquemment utilisées en traitement d’attaque. Elles peuvent être appliquées sur des zones étendues en cas de poussée sévère, ou de manière plus prolongée sur des zones localisées plus difficiles à traiter.
Les classes modérées sont réservées au visage ou aux plis.
Les classes faibles ne doivent pas être utilisées.
Traitement de la poussée
Le traitement d’une poussée doit être poursuivi jusqu’à régression complète des lésions, c’est-à-dire réapparition d’une peau lisse et douce. Il doit être adapté à l’intensité de la poussée. Ce traitement d’attaque dure en général une à deux semaines. Les soins locaux peuvent être optimisés en proposant une application de dermocorticoïdes sous occlusif, notamment au niveau des mains et des pieds, ou la réalisation de bandages humides (« wet wrapping »).
Traitement d’entretien
Après traitement de la poussée, le protocole d’entretien doit être poursuivi au long cours.
Chez les patients ayant une dermatite atopique peu sévère et des poussées peu fréquentes, l’application quotidienne d’un émollient et l’utilisation de produits lavants sans savon adaptés (huiles lavantes ou syndets hypoallergéniques) sont le plus souvent suffisantes.
Pour les formes plus sévères, un traitement d’entretien dit « proactif » avec application de dermocorticoïdes, par exemple deux fois par semaine (même en l’absence d’eczéma), peut être proposé. L’important est que le patient soit capable de repérer précocement les signes de poussée (prurit, rougeur, peau rugueuse) et reprenne son traitement d’attaque dès les premiers signes de récidive.
Enfin, en traitement d’entretien, le tacrolimus topique (0,03 et 0,1 %) est une alternative aux dermocorticoïdes, notamment sur les zones à risque d’effets indésirables (visage et plis). Sa prescription est actuellement réservée aux dermatologues et aux pédiatres.
Traitements systémiques pour les formes sévères
Certaines dermatites atopiques, par leur sévérité, sont insuffisamment contrôlées par les traitements topiques et nécessitent la prescription de traitements systémiques. L’expertise d’un dermatologue est alors nécessaire.
La ciclosporine est un immunosuppresseur. Elle a l’avantage d’être rapidement efficace. Ses effets indésirables (néphrotoxicité, hypertension artérielle, hypertrichose, nausées) la rendent moins facile d’utilisation que les anticorps monoclonaux. Il s’agit du traitement systémique de première intention dans la dermatite atopique de l’adulte.
Les anticorps monoclonaux dupilumab (anti-IL- 13 et IL- 4) et tralokinumab (anti-IL 13) ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’adulte et l’enfant à partir de 6 mois dans le traitement de la dermatite atopique sévère. Ils s’administrent en injection sous-cutanée, avec un bon profil de tolérance.
La photothérapie était auparavant l’un des traitements de choix de la dermatite atopique. Ses principales limites sont la nécessité de multiples rendez-vous et le risque de cancers cutanés sur le long terme.
Enfin, le méthotrexate fait également partie de l’arsenal thérapeutique, hors AMM. Il a été relégué au second plan depuis l’arrivée de nouveaux traitements.
Les inhibiteurs de Janus kinase (JAK) ont obtenu l’AMM dans la dermatite atopique modérée à sévère de l’adulte (baricitinib, abrocitinib, upadacitinib) et de l’adolescent (upadacitinib). Ces traitements sont très efficaces, mais leur profil de tolérance sur le moyen et long termes est moins bien connu.
Éducation thérapeutique indispensable
La dermatite atopique est une maladie chronique qui nécessite que le patient comprenne sa maladie et en maîtrise la prise en charge. Certains centres proposent des ateliers d’éducation thérapeutique permettant de renforcer les connaissances du patient et de l’impliquer dans la prise en charge de sa maladie.
L’utilisation de produits d’hygiène adaptés, hypo-allergéniques, permet de réduire l’exposition aux allergènes et donc de réduire le risque de sensibilisation. L’application quotidienne d’émollients est également un élément clé pour espacer les poussées.
La reconnaissance précoce des signes de poussée (érythème, prurit, peau rugueuse) permet au patient d’initier lui-même un traitement adapté de manière précoce et de le poursuivre jusqu’à régression complète de la poussée (peau lisse et douce, non prurigineuse).
Le patient doit également être capable d’appliquer correctement son traitement dermocorticoïde grâce à la règle de l’unité phalangette (fig. 8) : quantité de crème déposée d’un trait continu sur toute la longueur de la dernière phalange de l’index d’un adulte. Cette quantité permet de traiter une surface de peau correspondant à la surface des deux mains d’un adulte.
Le médecin doit interroger le patient sur l’existence d’éventuelles craintes concernant le traitement, notamment les dermocorticoïdes, qui pourraient freiner l’observance thérapeutique, mais aussi sur de possibles croyances (par exemple, un produit naturel serait forcément « bon » pour la peau, alors que de nombreux produits « naturels » contiennent des allergènes).
Mener l’enquête pour rechercher intolérances et allergies associées
Eczéma de contact
Du fait d’une barrière cutanée poreuse qui favorise la pénétration des allergènes, les patients atteints de dermatite atopique ont un risque accru de développer des allergies de contact.7
Le bilan allergique comprend des patch-tests permettant la recherche d’une allergie retardée. Cependant, il n’est pas systématique et doit être guidé par l’anamnèse et le tableau clinique.
Un eczéma localisé uniquement au niveau des mains ou de la pulpe des doigts est évocateur d’une allergie de contact (composant des gants si le contexte professionnel est évocateur, allergie à certains produits ménagers). Une atteinte localisée sur les zones découvertes doit faire rechercher une allergie à un composant aéroporté (bougie parfumée, brumisateur...). Un eczéma situé uniquement au niveau du visage, ou particulièrement sévère sur cette localisation, est évocateur d’une allergie à un composant cosmétique.
Une dermatite atopique sévère résistante aux traitements habituels doit également faire réaliser un bilan allergologique afin de rechercher des allergènes aggravant l’eczéma. Les produits cosmétiques personnels du patient doivent systématiquement être testés, en plus des batteries standard.
Enfin, la réaggravation d’un eczéma atopique en rémission depuis plusieurs mois ou plusieurs années doit faire suspecter une allergie de contact surajoutée.
Allergies alimentaires
La prévalence des allergies alimentaires chez les patients atteints d’eczéma atopique est d’environ 15 %.8 Une attention particulière doit donc être portée à d’éventuels signes, mais ni la réalisation systématique d’un bilan allergologique ni les régimes d’éviction en l’absence d’allergie avérée ne sont recommandés.
La définition de l’allergie est avant tout clinique, avec la survenue de symptômes évocateurs d’allergie immédiate (urticaire, bronchospasme, vomissements, œdème de Quincke) dans les minutes suivant l’ingestion de l’aliment en cause ou, plus rarement, des signes d’allergie retardée (troubles digestifs, eczéma mal contrôlé, mauvaise croissance staturopondérale chez l’enfant). La survenue de ces symptômes doit faire réaliser un bilan allergologique. Ce bilan comprend le dosage des immunoglobulines (Ig) E spécifiques ainsi que la réalisation de prick-tests, parfois complétés d’un test de réintroduction orale.
Il faut différencier une sensibilisation d’une allergie vraie. On parle de sensibilisation en cas de tests allergologiques positifs (IgE ou prick-tests) pour certains allergènes sans manifestation clinique. Cette distinction est primordiale car les patients atopiques sont fréquemment sensibilisés à des allergènes sans aucune manifestation clinique. Or il n’y a actuellement aucune indication à réaliser une éviction en cas de sensibilisation seule.
Une situation particulière à connaître, dans l’eczéma atopique du nourrisson, est l’allergie aux protéines de lait de vache. Elle est souvent révélée par une aggravation brutale de l’eczéma après sevrage de l’allaitement maternel. Les tests allergologiques classiques sont peu contributifs. L’amélioration rapide de l’eczéma après éviction du lait de vache confirme le diagnostic.
Asthme et rhinite allergique
L’eczéma atopique est associé à un asthme dans 30 % des cas et à une rhinite allergique dans 70 % des cas. La survenue de symptômes évocateurs doit amener à la réalisation d’un bilan allergologique, mais celui-ci n’est pas systématique en l’absence de symptômes. Le dupilumab a l’AMM à la fois dans la prise en charge de l’asthme et de la dermatite atopique sévère, et a donc une place de choix dans la prise en charge des patients atopiques.
Que dire à vos patients ?
- L’eczéma atopique est une maladie chronique évoluant par poussées et nécessitant un traitement d’attaque et d’entretien.
- Le traitement d’attaque à base de dermocorticoïdes doit être instauré dès l’apparition des premiers signes de poussée : érythème et prurit, même sur le visage.
- Les dermocorticoïdes doivent être appliqués une fois par jour.
- La quantité de dermocorticoïdes doit respecter la règle de l’unité phalangette.
- Utilisé de manière proportionnée, un traitement par dermocorticoïdes engendre très peu d’effets indésirables.
- Au cours du traitement d’entretien, l’application quotidienne d’un émollient favorise la restauration de la barrière cutanée.
- L’utilisation de produits cosmétiques adaptés aux peaux atopiques permet de préserver l’hydratation cutanée et de réduire l’exposition aux allergènes.
2. Barbarot S, Auziere S, Gadkari A, et al. Epidemiology of atopic dermatitis in adults: Results from an international survey. Allergy 2018;73(6):1284‑93.
3. Weidinger S, Beck LA, Bieber T, et al. Atopic dermatitis. Nat Rev Dis Primers 2018;4(1):1‑20.
4. Williams HC, Jburney PG, Hay RJ, et al. The U.K. Working Party’s Diagnostic Criteria for Atopic Dermatitis: Part I- Derivation of a minimum set of discriminators for atopic dermatitis. B J Dermatol 1994;131(3):383‑96.
5. Wollenberg A, Kinberger M, Arents B, et al. European guideline (EuroGuiDerm) on atopic eczema – Part I: Systemic therapy. J Eur Acad Dermatol Venereol 2022;36(9):1409‑31.
6. Wollenberg A, Kinberger M, Arents B, et al. European guideline (EuroGuiDerm) on atopic eczema – part II: Non-systemic treatments and treatment recommendations for special AE patient populations. J Eur Acad Dermatol Venereol 2022;36(11):1904‑26.
7. Gittler JK, Krueger JG, Guttman-Yassky E. Atopic dermatitis results in intrinsic barrier and immune abnormalities: Implications for contact dermatitis. J Allergy Clin Immunol 2013;131(2):300‑13.
8. Silverberg JI, Simpson EL. Association between severe eczema in children and multiple comorbid conditions and increased healthcare utilization. Pediatr Allergy Immunol 2013;24(5):476‑86.