La lutte contre l’épidémie de Covid se réduit désormais à une seule obsession : nous entrevoyons le bout du tunnel, mais qui des mutations du virus ou de la campagne vaccinale sera déterminant pour réduire nos espoirs ou nous délivrer enfin ? 

On sait maintenant que plus le virus circule, plus il nous expose en toute logique darwinienne à des variants plus contagieux, peut-être plus agressifs ou échappant aux vaccins disponibles. Le « variant britannique » a créé une nouvelle épidémie mais reste sensible à nos vaccins ; or tout est plus incertain vis-à-vis de ceux apparus en Afrique du Sud et au Brésil, prémices peut-être d’un nouveau et inquiétant fossé entre le Nord et le Sud. 

Dans la course d’obstacles que sont les campagnes de vaccination, le Royaume-Uni apparaît à la fois comme un modèle et son contraire : un modèle pour le nombre important de ses sujets ayant déjà reçu une première dose, mais un contre-exemple aussi du fait de la stratégie égoïste que symbolise l’achat de ses vaccins à un prix supérieur et le refus d’exporter la partie prévue de sa production alors que l’Europe n’a pas fait le calcul inverse. On peut critiquer la naïveté européenne, mais au moins aura-t-on évité un scénario à l’anglaise qui aurait tourné à la foire d’empoigne entre les États membres, chaque pays surenchérissant pour obtenir en priorité des doses dans un désastreux populisme vaccinal. 

Nous pâtissons de notre désindustrialisation, de nos lourdeurs administratives, de notre sous-investissement dans le domaine de la santé mais aussi des polémiques qui se sont substituées à l’analyse de la crise liée à la grippe H1N1 de 2009. Elles sont à l’origine de notre désarmement sanitaire marqué par la perte progressive des moyens alloués à l’EPRUS*, l’organisme qui était censé nous protéger. Que n’a-t-on aussi critiqué, à l’époque, les vaccinodromes accusés d’avoir échoué parce qu’ayant écarté les généralistes de la vaccination ! On voit bien aujourd’hui combien ils sont indispensables (même si l’offre doit être multiple) et combien l’effort demandé aux médecins traitants, déjà surchargés, est difficile, tant ils doivent à la fois convaincre leurs patients, donner les rendez-vous, s’assurer d’obtenir les doses, remplir les formulaires, préparer et injecter le produit, surveiller ceux qu’ils viennent de vacciner et, enfin, prévoir la seconde dose… 

À cette situation complexe, se rajoute désormais la méfiance vis-à-vis du vaccin AstraZeneca qu’expriment nombre de patients désemparés par la cascade des annonces : un vaccin que tout le monde pouvait recevoir et dénué d’effets indésirables graves, puis un vaccin provoquant de très rares thromboses cérébrales justifiant de le déconseiller avant un âge qui varie d’un pays à l’autre, puis une seconde dose qui ne peut pas être administrée avec ce vaccin pour la population plus jeune qui en avait reçu une première, puis un vaccin déconseillé pour tout le monde en Moselle du fait de la présence du variant sud-africain et même retiré du marché au Danemark… Comment, en effet, le public peut-il s’y retrouver ? Alors que l’hésitation vaccinale reculait, la défiance s’installe désormais sur un vaccin particulier, rendant plus aléatoires les objectifs fixés pour la couverture vaccinale de la population. Pendant ce temps des centaines de personnes décèdent chaque semaine de l’infection dans une indifférence générale. Le chacun pour soi et l’irrationalité prennent facilement le pas sur l’entraide et la raison lors des épidémies. C’est aussi une leçon à tirer de la crise actuelle…

 

 

 

Jean Deleuze, éditorial à paraître dans le n° 4 de La Revue du Praticien, avril 2021.

 

 

* Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires. 

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