Éducation thérapeutique des patients. C’est un acte thérapeutique, un soin, par opposition à l’éducation pour la santé (éducation sanitaire, promotion de la santé) qui se situe en amont de la maladie et lutte contre un comportement à risque. Mais c’est encore trop souvent un « traitement orphelin » en quête de reconnaissance.
thérapeutique
Le concept d’éducation thérapeutique des patients (ETP) s’inscrit dans une véritable politique de santé soutenue par les pouvoirs publics, mise en avant par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (loi HPST). La loi intègre, pour la première fois, dans le code de santé publique, l’éducation thérapeutique pour toute personne atteinte de maladie chronique et jette les bases de son développement
L’expression « éducation thérapeutique » semble cependant inadaptée, car il fait peur aux patients qui y voient une nouvelle contrainte (« scolarité », retour sur les bancs de l’école). Les termes « accompagnement dans le soin », « apprentissage » dans la prise en charge de la maladie chronique seraient probablement plus justes ! L’apprentissage concerne en effet plusieurs domaines : les connaissances (« savoir ») sur la maladie, les traitements médica- menteux et non médicamenteux ; la capacité à réaliser certains gestes et activités (« savoir-faire ») ; les modifications de comportement impliquant une démarche personnelle active d’adaptation (« savoir être ») pour « faire face » à la maladie (le « coping » des Anglo-Saxons – mise en place de stratégies d’ajustement), mieux communiquer avec les autres (« savoir- dire »), enfin envisager un avenir avec la maladie (« savoir vivre avec »).1
Deux points sont importants :
– l’éducation thérapeutique doit être différenciée de l’éducation « à la thérapeutique » trop restrictive car centrée sur les traitements médicamenteux, l’observance. L’ETP tient compte de la personne malade, de ses besoins, de sa période de vie, sa culture, ses représentations, ses croyances, des facteurs déclenchants (deuil, accident, divorce…), de son état d’esprit du moment, de ses ressources, de ses projets de vie, du soutien de ses proches… Certains patients ont une force psychologique très importante et arrivent à se reconstruire très rapidement. D’autres, plus résistants au changement, sont plus vulnérables et ont besoin de temps et de soutien pour « digérer » la survenue de la maladie chronique ;
– l’éducation thérapeutique doit également s’adresser au proche du patient, appelé « aidant familial » ou « proche aidant » ; c’est un partenaire de soins à part entière, voire un futur patient s’il néglige sa propre santé pour se concentrer exclusivement sur celle de la personne aidée. En effet, l’aidant familial peut rencontrer de nombreuses difficultés au quotidien (sensation d’inefficacité face à la souffrance du patient, caractère imprévisible de la maladie chronique, répercussions sur la vie quotidienne, renonciation à certains projets, et parfois isolement social…), il se fait parfois plus de souci que la personne malade elle-même, se pose des questions sur l’avenir, ce qui est source de tensions familiales et préjudiciable pour sa santé.
Information et éducation : deux objectifs différents
L’information et l’éducation des patients sont souvent confondues alors qu’elles ne visent pas les mêmes objectifs.
Délivrer une information
Contrairement aux idées reçues, l’ETP ne se résume pas à la délivrance d’une information. En effet, informer consiste à délivrer une information à un patient « passif » sans se préoccuper de ce qu’il en fait. L’information fait partie des devoirs de tout médecin et des droits de chaque patient comme le stipule la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Cet acte d’information est décisif pour le médecin : il s’agit de la première étape dans la relation médecin-malade qui permet d’obtenir un consentement au soin (et si possible une adhésion, une observance) et pour le patient « d’apprendre », d’acquérir des connaissances.
Plusieurs moyens sont à notre disposition pour informer : l’information orale individuelle (« colloque singulier ») ; la lecture d’une information écrite standardisée ; l’information médicale via les sites internet de santé (si possible sélectionnés et de qualité).
Mais cette information descendante est le plus souvent généraliste et peu adaptée, car elle ne prend pas en compte les besoins, attentes, craintes, croyances, représentations, peurs, ressources personnelles internes, externes, projets de vie à court ou plus long terme du patient, ses facultés, sa réceptivité, ses motivations, ses dispositions et son consentement au changement, sans parler des informations erronées véhiculées par les réseaux sociaux.
Relayer les informations
L’information a donc tout intérêt à être relayée par une démarche éducative individuelle ou collective car bénéficier d’informations sur la maladie ne veut pas dire apprendre à vivre avec (« Il y a loin du dire au faire », Cervantès).
Un patient se soigne bien s’il décou- vre en lui le désir de bien se soigner, et s’il prend sa « santé » en mains. L’ETP aide les personnes malades à prendre soin d’elles-mêmes, à identifier et satisfaire leurs besoins, difficultés, attentes, à exercer un libre choix, et à mobiliser certaines ressources pour résoudre un problème… Ce processus de dévelop- pement personnel, de renforcement en capacité(s), ce sentiment qu’il est possible d’exercer un plus grand contrôle sur soi et la capacité d’accepter ce qui n’est pas maîtrisable, de reprise de pouvoir, aboutissent à une transformation personnelle avec une autonomisation du patient qui va donner du sens au présent : vivre une nouvelle vie, construire un avenir avec la maladie ; on parle d’« empowerment ».
L’ETP repose donc sur une attitude « active » d’un patient qui questionne, réagit, s’exprime, échange avec un professionnel de santé et/ou avec des pairs, et qui s’approprie l’information (les connaissances) pour « changer » ses habitudes de vie.
Chaque personne est singulière, chaque situation unique. Cet « accompagnement » personnalisé et bienveillant part des préoccupations du patient, de ses difficultés, volontés, facultés, l’aide à prendre des décisions pour des soins parfois lourds et compliqués, afin d’améliorer sa qualité de vie et a fortiori celle de ses proches. Il l’aide aussi à faire des choix pour ses projets de vie, son orientation… En effet, il est nécessaire de tenir compte des potentialités, des habiletés, du sentiment de maîtrise sur la maladie (contrôle perçu ou locus of control) interne ou externe (le destin…), de l’estime de soi, de la confiance (self-efficacy), du sentiment d’efficacité personnelle perçu et/ou de découragement (helplessness) qui façonnent les ressources du patient. Enfin, il est nécessaire de prendre également en compte son autodétermination (self-management), sa motivation (ou sa résistance au changement), ses stratégies de « coping » potentielles pour faire face à l’adversité, sa résilience pour aller de l’avant, rebondir, agir sur sa vie, sa santé. Sans oublier, enfin, de s’appuyer sur le soutien reçu (proches, aidants familiaux, proches aidants, pairs, associations, collègues, soutien social…) rarement évalué en consultation classique et pourtant précieux pour lutter contre le repli sur soi, l’isolement
Objectifs de l’ETP
L’ETP est un soin indissociable de la prise en charge classique d’une maladie chronique qui plonge le patient dans une quête de « sens ». Il faut exister malgré la maladie chronique, dans une société qui magnifie jeunesse et bonne santé… Comment accepter cette différence sans qu’elle prenne toute la place ? En effet, l’impact de la douleur et de la maladie peut être responsable de troubles sévères de l’image du corps (déformations…), d’un sentiment de culpabilité profond (maladie génétique rare…) ou de croyances (peur du fauteuil roulant…), muets en consultation classique mais souvent exprimés en ETP collectives. L’ETP est une démarche innovante qui permet au patient d’exprimer son vécu, son ressenti, de comprendre ce qui lui arrive, de « changer » son état d’esprit, ses habitudes, ses compor- tements pour accepter de se soigner et prendre soin de lui différemment. Elle a pour objectif de rendre un patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie.
Il s’agit d’une approche du « soin » dans sa globalité (« care », sollicitude) proposée par une équipe multidis- ciplinaire spécifiquement formée à l’ETP, d’un accompagnement bienveillant du patient impliqué dans une démarche volontaire et active.
Une ETP dédiée pour toute personne ayant une maladie chronique
Il n’est pas possible de bien soigner une personne souffrant de maladie chronique sans qu’elle n’adhère pleinement à ses soins, ce qui suppose une bonne information, une « acceptation » (plutôt « adaptation-accommodation-intégration ») précoce de la maladie, puis une certaine mise à distance, sans refus/déni, enfin une participation active aux soins proposés.
Cet « accompagnement global » depuis le premier instant où est évoqué le diagnostic pour garantir l’avenir des patients avec la meilleure qualité de vie possible repose sur l’ETP.
L’idéal est donc de proposer une ETP très précocement, dès la consultation d’annonce, afin d’aider le patient à « intégrer-accepter » sa maladie. L’ETP aide les patients et/ou l’entourage à comprendre la maladie et les traitements, à collaborer aux soins afin de conserver et/ou améliorer la qualité de vie.2
L’ETP accompagne ensuite le patient à tous les stades de la maladie et tout au long du suivi. Cet accompagnement bienveillant, qui cumule le « prendre soin » et le soutien dans la capacité d’ajustement, doit être renforcé lors d’étapes clés, comme l’annonce d’une complication, d’une rechute, la proposition de soins palliatifs… Grâce à l’ETP, les patients changent leurs habitudes de vie, acquièrent de nouveaux apprentissages pour se prendre en charge différemment. Pour les patients il y a un « avant l’ETP » et un « après l’ETP » : nous constatons une plus grande confiance en eux, et en nous, moins de souffrance, moins de repli sur soi, moins d’isolement, une meilleure communication avec les autres (famille, proches, collègues…).
Nous sommes bien au-delà d’une offre de soins fondée uniquement sur la science et traitée par un professionnel. L’ETP permet de passer du « cure » au « care ». Elle donne le sentiment d’exister, elle apprend une certaine autonomie. Grâce à l’ETP, le patient n’est plus un simple spectateur (ou figurant), il devient acteur (auteur, co-constructeur…) de sa santé ; il va prendre sa santé (définition de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) en mains (pas seulement sa maladie).
Le patient reste cependant libre d’entrer (seul ou avec un proche) dans un programme d’ETP ou de le quitter s’il le souhaite. Tous les patients ne sont pas volontaires pour suivre un atelier d’ETP.
Certains préfèrent, hélas, surfer sur Internet, faire appel aux « forums », réseaux sociaux, et viennent à nous parfois désemparés, gavés de fausses informations (fake news, « infox »), par exemple régimes « sans », médecines alternatives miracles, ou englués dans la voie des dérives sectaires, qui profitent de leur fragilité. L’ETP connectée de demain coordonnée par des soignants et pairs experts de la maladie sera sûrement très utile pour ces patients.
Une pratique obligatoire et fondamentale mais marginale
L’ETP est considérée comme un élément indispensable de la prise en charge des patients souffrant de pathologie chronique, mais reste une démarche aujourd’hui encore tout à fait marginale dans le processus de soins. Cette démarche qui emprunte à de nombreux champs des sciences humaines doit aller toujours plus loin dans l’ouverture vers les patients, vers de nouveaux professionnels de soins et vers de nouveaux domaines du soin, en préventif et en aigu. En effet, qui dit maladie chronique dit aspects multidimensionnels, et l’écart est grand entre « disease » des médecins, maladie des manuels, et « illness » du malade, maladie éprouvée subjecti- vement et progressivement intégrée à une histoire personnelle.
En effet, l’inquiétude, l’anxiété, parfois même l’angoisse peuvent être très préjudiciables dans une maladie chronique, il faut donc apprendre au patient (et à son proche) à prendre du recul : essayer d’apaiser ses peurs grâce à l’écoute, la parole, les échanges entre pairs, la relaxation…, d’où l’intérêt d’accepter d’être entouré par la famille, de rencontrer d’autres patients, de participer à des séances d’ETP collectives, de contacter une association de malades... Cela permet de cheminer un peu plus sereinement, d’améliorer la qualité, la continuité des parcours de soins et de vie. Si les soignants sont convaincus que l’ETP présente un vrai bénéfice pour les patients et leurs aidants, nous avons parfois le sentiment qu’elle reste une activité « secondaire » qui passe toujours après les soins classiques, alors qu’il s’agit d’un soin à part entière qui modifie profondément les postures, les pratiques, l’organisation des soins, les relations soignants-patients et les relations entre les équipes d’ETP.
Il persiste des idées reçues, des interrogations sur ses possibilités réelles de mise en œuvre et son évaluation. Actuellement essentiellement hospitalière ou proposée dans certaines maisons de santé ou lors de cures thermales, elle devra : se développer en ville, avec des réseaux ville-hôpital ; le médecin traitant a un rôle important à jouer en relais des programmes initiés à l’hôpital ;3 dans toutes les maladies chroniques fréquentes et les maladies rares ; et atteindre toutes les populations de patients et d’aidants familiaux.
Une évaluation difficile
Même si l’ETP a des impacts positifs, démontrer qu’elle est bénéfique est difficile car son évaluation fait appel à des critères de jugement bien différents de ceux qui permettent de juger le rapport bénéfice-risque d’un médicament. L’évaluation devrait, en effet, porter sur la mise en évidence des « changements » du patient en analysant différentes dimensions, biocliniques, psychosociales et pédagogiques, mais aussi des transformations par ricochet de l’entourage familial et des soignants (médecin traitant, spécialistes, paramédicaux…).
Les études publiées sont très hétérogénes : populations concernées, format des programmes (séances individuelles ou collectives, durée des séances, type de séances ambulatoires ou en hospitalisation), structure des équipes pluridisciplinaires, contenu et méthodes d’éducation (information, accompagnement, conseils, éducation proprement dite, thérapeutiques cognitivo-comportementales).1,4,5
Les outils d’évaluation de l’ETP restent donc à définir : connaissances (maladie, traitements), état de santé perçu, croyances et attitudes (coping, self-efficacy, locus of control), analyse des comportements (adhésion, observance, complications thérapeutiques, gestion de la fatigue, de l’anxiété, utilisation des ressources médicales, psychosociales, qualité de vie, et enfin impact socio-économique (utilisation des soins, économie de la santé…). Certaines études suggèrent que les interventions d’ETP sont des outils efficaces pour réduire les coûts relatifs à la santé.
Une démarche multi- et transdisciplinaire
L’ETP est assurée par une équipe multi- et transdisciplinaire formée spécifiquement à l’ETP. En effet, il faut être formé pour pouvoir animer, concevoir, évaluer des programmes d’ETP.
De multiples structures proposent des formations à l’ETP permettant d’acquérir des compétences spécifiques :
– biomédicales et de soins car l’ETP implique d’abord la connaissance approfondie de la maladie ;
– relationnelles ; pour faire de l’ETP, il faut apprendre à se taire et à écouter le patient (formation à l’écoute, empathie, patience, disponibilité, relation d’aide…), à soutenir et encourager ses efforts, à l’accompagner pour mobiliser ses ressources (accompagnement au changement), comprendre ses ressorts psychologiques… ;
– pédagogiques et d’animation (expression orale, pédagogie, commu- nication interne et externe…) ;
– méthodologiques et organisationnelles (animation de réunions, gestion d’un groupe…), conduite et planification de projets.
Les patients experts (patients intervenants, patients ressources, pairs) qui prennent part à l’ETP doivent avoir des prédispositions spécifiques, de grandes qualités (empathie, qualités didactiques, bien- veillance, générosité de cœur, motivation…) et suivent également une formation dédiée afin d’assurer un rôle de facilitateur d’écoute, de parole et de soutien et/ou d’accompagnement dans les séances éducatives. Précieux relais du soignant, ils doivent prendre de la distance face à leur propre maladie, ce qui n’est pas toujours simple. Ils signent une charte de confidentialité avec les services hospitaliers dans lesquels ils interviennent.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, il faut au moins une personne de niveau de formation 2 (diplôme universitaire [DU] ou interuniver- sitaire (DIU]) dans chaque équipe animant un programme d’ETP.6 On peut définir plusieurs niveaux de formation des professionnels en ETP :
– un premier niveau qui s’adresse au professionnel désireux d’acquérir la compétence de soignant éducateur (environ 40 heures) : enseignement théorique et pratique dans le cadre de certificats, diplômes dispensés par des enseignants certifiés dans des structures publiques (université, écoles paramédicales), privées et associatives, homologuées ;
– un 2e niveau permettant d’exercer les fonctions de coordinateur ou de formateur de soignants éducateurs acquis par des diplômes universitaires : DU, DIU, mastères, au terme d’une formation théorique et pratique (environ 100 heures) ;
– un 3e niveau réservé aux formateurs des soignants éducateurs (niveau 3e cycle).
Une ETP pour les proches
Par proches, nous entendons l’entourage au sens large. S’il s’agit de la famille, on parle d’aidants familiaux ; pour l’ensemble des personnes de proximité au contact des patients on parle de proches aidants, qui accompagnent les patients et jouent souvent un rôle fondamental de partenaire de soins en relais à domicile.
Le rôle des aidants familiaux est essentiel pour soutenir les patients souffrant de maladie chronique, en perte d’autonomie, ou en situation de handicap. Les aidants familiaux sont souvent des virtuoses, talentueux, autodidactes, dévoués, qui improvisent en permanence pour s’adapter à la situation ; ils sont parfois épuisés, stressés, isolés, critiqués malgré leur dévouement quotidien et parfois plus malades que le patient qu’ils aident.
Ils s’oublient, ne se plaignent pas, négligent parfois leur propre santé, assumant tout sans broncher, minés par un profond sentiment de culpabilité. Ces travailleurs de l’ombre tendent une main invisible, allant parfois au bout de leurs forces pour aider leur proche.3
Il est donc nécessaire de prévenir, repérer, orienter et prendre en charge les besoins et les difficultés liés à cet accompagnement et de proposer des parcours de soins et des ateliers dédiés aux « aidants familiaux ». Ils s’articulent autour de deux axes : informer sur les pathologies des « aidés » mais aussi et surtout leur apprendre à prendre du recul, trouver des solutions de répit, lutter contre le stress chronique lié à la maladie de la personne aidée, mieux concilier leur vie personnelle, professionnelle et leur rôle d’aidant et, enfin, s’occuper de leur propre santé physique, psychique et socioprofessionnelle.
Des difficultés
Si l’inscription de l’ETP dans la loi HPST a marqué la volonté des pouvoirs publics de développer l’éducation thérapeutique, sa reconnaissance, sa valorisation et les moyens hospitaliers restent très insuffisants. Il n’y a toujours pas d’acte codifié pour la prise en charge ambulatoire du patient qui participe à un programme d’ETP et les dotations finançant les missions d’intérêt général comblant les déficits hospitaliers restent « virtuelles » pour les équipes.
Dans les services où les professionnels de santé sont déjà très occupés, il n’est pas rare de faire passer cette activité en seconde ligne. Dans le contexte actuel, on objecte souvent que la pénurie de personnel oblige à donner priorité aux activités de soins plus classiques. Pourtant, il serait souhaitable de l’intégrer dans un projet médical global avec un budget spécifique.
L’ETP souffre donc d’un cruel manque de moyens humains, matériels et financiers :
– manque de temps pour la pratiquer, se former à l’ETP, l’évaluer (pas d’assistant de recherche clinique ), rédiger les dossiers des agences régionales de santé ;
– manque de reconnaissance globale : l’activité ETP est souvent considérée comme un « luxe »…
L’ETP se heurte, en effet, à un frein important, celui des mentalités (manque de conviction du rôle de l’ETP, doute sur son utilité, sa qualité, son efficacité…) responsable d’un recrutement hasardeux et aléatoire ;7
– manque de moyens financiers : financement dédié non fléché (crédits accordés déviés pour combler les déficits hospitaliers).
L’ETP DE DEMAIN
L’ETP de demain va reposer sur différentes modalités qui émergent et remplaceront probablement l’ETP actuelle :
– séances à domicile par des équipes mobiles émanant des centres hospitaliers, ou via des structures existantes ;
– ETP en exercice libéral (réseaux de soins, maisons de santé…), développée avec les soins ambulatoires ;
– ETP connectée seule en complément des séances classiques (e-ETP) : MOOC, e-learning, web conférences pour acquérir des connaissances sur les maladies chroniques, applications dédiées pour tablette ou smartphone, serious games, suivi éducatif des patients par téléphone, relais par SMS, télémédecine au service de l’ETP (web ateliers d’ETP ; conférences interactives), dans le respect de l’éthique et de la confidentialité ;
– ETP partagée entre les différentes régions de France, avec co-construction de programmes spécifiques ;
– sans évoquer l’aide aux changements offerte par la réalité virtuelle…
Cette révolution doit s’accompagner d’un temps dédié à l’ETP valorisé et d’un changement des mentalités.8
Focus - Un exemple : l’éducation thérapeutique du patient en rhumatologie
Toutes les pathologies rhumatologiques chroniques peuvent en bénéficier
Le nombre des programmes proposés en France est croissant
Tous les aidants familiaux devraient également pouvoir bénéficier d’ETP, soit en accompagnant le patient aux séances, soit en participant à des séances spécialement dédiées à l’aidant.
L’ETP est le plus souvent organisée dans les établissements hospitaliers et réseaux de soins par une équipe multiprofessionnelle et transdisciplinaire (infirmières, pharmaciennes, diététiciennes, kiné- sithérapeutes, assistantes sociales, psychologues, secrétaires…) formée à l’ETP et coordonnée par un médecin formé à l’ETP. L’ETP s’organise en collaboration avec les associations de patients, les patients experts (patients ressources, pairs) également formés à l’ETP et parfois des bénévoles engagés et motivés. Les modalités éducatives sont diverses et adaptées aux besoins des patients, des aidants familiaux et aux ressources locales.
L’ETP s’effectue dans le cadre des soins d’hospitalisations de jour ou lors de consultations éducatives ambulatoires (séances individuelles ou collectives). L’implication de la médecine libérale est plus rare, les stations thermales proposent des programmes d’ETP pour la fibromyalgie, pour les aidants… Quelle que soit la maladie chronique rhumatologique, les compétences d’auto-soins (gestion de la douleur, de l’inflammation, suivi thérapeutique, prévention des complications, lutte contre les facteurs de risque, hygiène de vie…) et d’adaptation (gestion du stress…) sont indivi- dualisées au décours du diagnostic éducatif.2
Une expérience hospitalière
Après la création de consultations éducatives en 1992, du Centre d’éducation pour les rhumatismes chroniques (CERC), structure « virtuelle » (pas de personnel dédié ni de moyen financier) dédiée à l’ETP créé en 1999, l’équipe d’ETP du service de rhumatologie de l’hôpital Cochin propose plusieurs programmes d’information, d’ETP et d’accompagnement pour les patients ayant des rhumatismes chroniques (polyarthrite rhumatoïde, spondyloarthrites, sclérodermie systémique, rhumatisme psoriasique…) et leurs aidants familiaux. Les ateliers d’ETP se déroulent sur deux journées en rhumatologie, à une semaine d’intervalle. Un entretien éducatif partagé (« diagnostic éducatif ») est réalisé avant l’atelier. Il consiste à s’entretenir 45 minutes avec une infirmière afin d’évaluer les besoins, les attentes, les peurs, les difficultés, la réceptivité, la personnalité, les ressources du patient et de définir les compétences à acquérir. Il permet de prendre en compte la singularité du patient.
Ensuite, une réunion d’équipe construit la session éducative. Les patients sont alors accueillis en groupe de 8 à 10 personnes (en dehors du soin classique) deux jours, à une semaine d’intervalle : une journée pour apprendre la maladie et les traitements (médicamenteux et non médicamenteux) et une journée pour apprendre à « vivre avec ».9
La plupart du temps, les patients ne connaissent pas leur maladie (même ceux qui en souffrent depuis de nombreuses années), ni les objectifs des traitements. La deuxième journée, « vivre avec » est dédiée à la prise en charge diététique, psychologique, socioprofessionnelle, avec la participation des associations de patients ; elle est animée par un pair : patient expert en ETP ou patient ressource. Nous nous adaptons au groupe pour animer les sessions et nous les faisons évoluer régulièrement.
Les patients ayant déjà effectué une ou plusieurs journées d’ETP peuvent aussi participer à des ateliers collectifs (loisirs thérapeutiques) sur rendez-vous : il s’agit de soins de « support » (sophrologie, psychomotricité, atelier d’écriture, qi gong, tai chi chuan, pratiques artistiques…) pour prendre du recul face à la maladie. Ces ateliers coordonnés par l’équipe ETP sont animés par des bénévoles qui ont signé une convention avec l’hôpital et l’Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR) et une charte de confidentialité.
Définition de l’éducation thérapeutique du patient
D’après l’Organisation mondiale de la santé (1998)
« Transfert planifié et organisé de compétences du soignant vers le soigné afin de l’aider à acquérir (ou maintenir) les compétences (v. infra) dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec la maladie chronique ». « Un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et les procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie et destinés à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, à collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux activités normales »
http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0009/145296/E93849.pdf
Quelles sont les compétences à acquérir ?
L’ETP vise à aider les patients à gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique, grâce à l’acquisition de compétences : – des compétences d’auto-soins : décisions du patient avec l’intention de modifier l’effet de la maladie sur sa santé, par exemple auto-injections, modifications du mode de vie (diététique, activité physique) ; – des compétences d’adaptation : compétences psychosociales pour maîtriser-diriger son existence et acquérir la capacité à vivre dans son environnement et à le modifier (par exemple, savoir gérer ses émotions et maîtriser son stress).
https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/etp_-_comment_la_proposer_et_la_realiser_-_recommandations_juin_2007.pdf
Éducation thérapeutique du patient : les principaux messages
L’éducation thérapeutique (ETP) est un droit du patient souffrant de maladie chronique ; elle doit être proposée au patient et à son proche (« aidant familial »).C’est un processus qui se déroule par étapes, il est intégré aux soins et mis en œuvre par différents professionnels de santé formés spécifiquement.L’éducation thérapeutique permet au patient de concevoir un nouveau mode de vie, de nouveaux repères, de nouveaux projets de vie pour mieux vivre avec la maladie et prendre soin de sa « santé », pas seulement de sa maladie et de son traitement, car vivre avec une maladie chronique ne réduit pas à l’état de malade.Elle permet au patient de prendre de la distance, de la hauteur, du recul vis-à-vis de la maladie et de l’épreuve, de reprendre le pouvoir, de retrouver la capacité d’agir sur les déterminants de sa santé (empowerment, autonomisation, capacitation), de revoir ses priorités, de construire de nouvelles bases, d’acquérir des compétences qui aident à mieux vivre avec la maladie chronique.En France, l’éducation thérapeutique reste considérée comme un « appendice » du soin alors qu’elle offre un véritable « soin bienveillant » (« care »), un accompagnement pour le malade (et son entourage). Il est important d’augmenter l’accessibilité des programmes d’ETP, de créer et proposer de nouveaux outils (supports numériques…).L’ETP est une activité tonifiante, stimulante, créatrice qui ouvre l’esprit et nécessite un engagement dynamique et persévérant des soignants.L’ETP, « traitement orphelin », mal-aimé, en quête de reconnaissance, devrait enfin recevoir ses lettres de noblesse, ce d’autant que la réduction des durées d’hospitalisation, impérative pour les établissements de soins, ne peut se concevoir sans un accompagnement éducatif.Une ETP frontière dédiée (« discharge education »), sera peut-être mise à l’honneur ?Cette révolution est en réalité une évolution à petits pas, patiente, profonde et durable. « Un voyage de mille kilomètres commence par un pas » de Lao Tseu
Dans cet article
- Information et éducation : deux objectifs différents
- Objectifs de l’ETP
- Une ETP dédiée pour toute personne ayant une maladie chronique
- Une pratique obligatoire et fondamentale mais marginale
- Une évaluation difficile
- Une démarche multi- et transdisciplinaire
- Une ETP pour les proches
- Des difficultés
- L’ETP DE DEMAIN
- Focus - Un exemple : l’éducation thérapeutique du patient en rhumatologie