Gériatrie. Contrairement à l’idée reçue que les sujets âgés ne seraient pas capables de changer leur comportement de santé, de nombreuses données suggèrent que beaucoup souhaitent être acteurs de leur prise en charge et en tirent bénéfice.
L’éducation thérapeutique, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe de 1998, est un processus permanent intégré dans les soins et centré sur le patient, qui vise à aider les patients et leur famille à vivre au mieux avec la maladie. L’éducation thérapeutique est donc une stratégie thérapeutique proposée aux patients atteints de maladie chronique visant à l’acquisition par la personne et/ou ses proches de nouvelles compétences.1
Acquérir des compétences
Ces compétences à acquérir, déterminées et négociées avec le patient, sont des compétences d’auto-soins (dont des compétences dites de sé- curité qui visent à sauvegarder la vie du patient) et des compétences d’adaptation à la maladie, qualifiées également de compétences psychosociales. Les méthodes pédagogi- ques utilisées qui s’appuient sur différents courants de la pédagogie active, les contenus du programme d’éducation ainsi que le suivi et l’évaluation de ses effets doivent être adaptés aux compétences à acquérir, à la motivation et à la réceptivité du patient.1
La mise en œuvre de l’éducation thérapeutique est d’autant plus facile qu’elle repose sur des équipes édu- catives pluridisciplinaires formées à l’éducation thérapeutique, mais aussi, si possible, des membres de la communauté même des patients, c’est-à-dire des patients-experts.
Un besoin majeur d’éducation thérapeutique
Toute personne ayant une maladie chronique, quels que soient son âge, la nature et le stade d’évolution de la maladie, doit pouvoir bénéficier d’une offre d’éducation thérapeutique. Cette offre concerne également son entourage s’il le souhaite et si le patient souhaite l’impliquer dans la gestion de sa maladie. Le vieillissement s’accompagne d’une prévalence plus élevée des maladies chroniques. L’association de plusieurs maladies chroniques, appelée polypathologie, est la règle chez les personnes âgées.
Le parcours de soins des personnes atteintes de maladie chronique est complexe, impliquant de multiples intervenants professionnels dont la coordination n’est pas toujours optimale. Celui des personnes âgées polypathologiques est plus complexe encore et souvent chaotique, émaillé d’hospitalisations programmées mais aussi non programmées, pouvant générer des ruptures de prise en charge.
Toutes ces raisons font que le besoin d’éducation thérapeutique est parti- culièrement élevé chez les patients âgés, notamment s’ils ont plusieurs pathologies.2, 3
Aussi désireux que les plus jeunes d’être acteurs de leur prise en charge
Les personnes âgées ont soif d’apprendre et en ont la capacité. L’engouement des personnes âgées à se former tout au long de la vie (universités « inter-âges » ou « du temps libre ») et à voyager en est le témoignage. La volonté de rester autonome dans un monde qui change est certainement une motivation forte pour les personnes âgées.
Les personnes âgées s’intéressent à leur santé et souhaitent s’impliquer dans les décisions de santé qui les concernent. Plusieurs études démontrent que les personnes âgées, même très âgées, ont des idées claires sur leurs priorités en santé, souhaitent être informées et prendre part aux décisions médicales les concernant.4, 5
Les malades âgés peuvent tirer bénéfice des programmes d’éducation thérapeutique
Nombreuses sont les études qui montrent que les malades âgés et très âgés peuvent tirer bénéfice de leur participation à des programmes d’éducation thérapeutique.6, 7 Ces résultats vont à l’encontre des idées reçues selon lesquelles les personnes âgées ne seraient pas capables de changer leur comportement de santé.
Spécificités et hétérogénéité des malades âgés
Le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités fonctionnelles et plus encore des réserves fonctionnelles de l’organisme. Cependant, cette réduction est très variable d’un organe à l’autre (vieillissement différentiel interorganes) et d’un individu à l’autre (variabilité interindividuelle). Les maladies chroniques ajoutent leurs effets propres à ceux du vieillissement, la perte d’indépendance fonctionnelle résultant du vieillissement physiologique et des maladies chroniques invalidantes.
La population âgée est donc caractérisée par une grande hétérogénéité. Schématiquement, trois groupes d’individus âgés peuvent être distingués : les vigoureux, les fragiles et les dépendants. La fragilité8 est définie par une perte des réserves adap- tatives due au vieillissement et aux maladies chroniques. Les patients fragiles sont dans l’incapacité de s’adapter à un stress même minime. Ils sont particulièrement exposés au risque de décompensation fonctionnelle, de pathologies en cascade et d’entrée dans la dépendance.
Certains problèmes de santé fréquents au grand âge, comme la poly- pathologie, les troubles cognitifs, neurosensoriels ou les difficultés de déplacement, peuvent au premier abord apparaître comme des obstacles à la mise en œuvre d’une démarche d’éducation thérapeutique. La réussite de certains programmes d’éducation thérapeutique destinés aux personnes âgées démontre qu’elles ne sont pas des obstacles insurmontables, mais elles obligent à adapter la démarche et à l’individualiser.
Spécificités à prendre en compte
De façon simple (v. figure), on peut retenir qu’au sein de la population âgée les personnes âgées vigoureuses peuvent se voir proposer la même approche éducative qu’un adulte jeune et la participation à des groupes d’adultes de tous âges. Aux personnes fragiles, une démarche adaptée doit être proposée, avec la participation de l’aidant principal. Pour ces personnes, il faut généralement privilégier les petits groupes (5 ou 6 personnes au maximum) ou les séances individuelles et fractionner les formations, en préférant une démarche « pas à pas » car les capacités attentionnelles des patients sont diminuées et la fatigabilité augmentée. Pour les personnes âgées dépendantes dont celles ayant des troubles cognitifs modérés à sévères, la démarche éducative s’adresse prioritairement à l’aidant principal.
Il faut avoir en tête qu’un patient âgé n’est pas de fait un patient « limité ». Il faut veiller à n’être ni simpliste ni infantilisant. Il importe aussi de toujours valoriser les malades et leurs aidants, notamment à travers leurs expériences.
Les principaux éléments à rechercher (car ils ne sont pas nécessairement connus) et à prendre en compte pour une démarche d’éducation thérapeutique adaptée sont listés ci-dessous
Troubles cognitifs
Le vieillissement cérébral existe, mais les modifications cognitives liées à l’avancée en âge, en dehors des maladies neurocognitives, n’altèrent pas de façon majeure la capacité d’apprentissage de la personne âgée.
Il en va tout autrement des maladies de la mémoire, maladie d’Alzheimer et maladies apparentées, qui réduisent progressivement les capacités cognitives et peuvent entraver définitivement l’apprentissage. En cas de déclin cognitif modéré ou sévère, la participation de l’aidant principal est indispensable.
Troubles sensoriels
La presbyacousie touche la majorité des personnes de 80 ans et plus. Elle peut gêner la communication surtout dans un environnement bruyant. Les troubles visuels sont fréquents en raison de la prévalence élevée des pathologies ophtalmologiques. Les conditions d’éclairage des pièces où se tiennent les ateliers doivent être optimales, les outils et documents utilisés doivent être adaptés à des personnes ayant une baisse d’acuité visuelle (gros caractères, contrastes francs).
Troubles de la mobilité
Les incapacités les plus fréquentes chez les personnes âgées sont posturo-locomotrices. Un programme d’éducation thérapeutique comprenant de multiples ateliers dans un lieu relativement éloigné du domicile est une cause fréquente de non- participation des personnes âgées.
Polypathologie
La grande majorité des personnes âgées sont polypathologiques. De même que la prise en charge d’un malade polypathologique n’est pas la somme des prises en charge de chacune de ses maladies, l’éducation thérapeutique d’un malade ayant plusieurs pathologies ne peut pas être la somme des différents programmes correspondant à chacune des maladies.
En France, certains auteurs se sont particulièrement intéressés à cette question et ont réfléchi à une démarche adaptée au patient âgé polypathologique.2, 3 Le but n’est pas que le patient sache tout sur tout mais qu’il acquière des compétences transversales que tout patient âgé poplypathologique devrait maîtriser, quelles que soient ses pathologies chroniques (v. tableau) et des compétences spécifiques qui lui permettent de vivre le mieux possible avec ses maladies.
Rôle des aidants
En cas de déclin cognitif modéré ou sévère, c’est à l’aidant que doit s’adresser principalement le programme d’éducation thérapeutique. Cependant, même lorsque le malade très âgé n’a pas de troubles cognitifs et qu’il est en capacité d’apprentissage, il est bon d’associer l’aidant principal et de lui proposer aussi de participer au programme, sous réserve bien sûr de l’accord du patient. Impliquer l’aidant prin- cipal du malade âgé contribue en général à la réussite de la démarche d’éducation.
À CIBLER EN PRIORITÉ
L’éducation thérapeutique s’adresse à tous les patients atteints d’une ou de plusieurs maladies chroniques. Le patient âgé souvent atteint de multiples maladies chroniques est exposé à un risque accru de dé- compensations, de complications, d’hospitalisations et de décès. Il devrait être la cible privilégiée des programmes d’éducation thérapeutique. Dans les faits, il est souvent laissé sur le bord du chemin de l’éducation thérapeutique, alors que des études et des expériences prouvent qu’il peut en bénéficier, à condition d’adapter les approches éducatives aux spécificités du malade âgé : troubles cognitifs, difficultés de mobilité, troubles neurosensoriels, polypathologie…
1. Haute Autorité de santé. Éducation thérapeutique du patient, HAS, juin 2007. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/2FoGHcC
2. d’Ivernois JF, Gagnayre R. Éducation thérapeutique chez les patients pluripathologiques. Propositions pour la conception de nouveaux programmes d’ETP. Educ Ther Patient 2013;5:201-4.
3. Legrain S, Bonnet-Zamponi D, Saint-Gaudens P. Éducation thérapeutique des personnes âgées polypathologiques : quelle approche ? Santé Éducation 2014;3:13-7.
4. Tsevat J, Dawson NV, Wu AW, et al. Health values of hospitalized patients 80 years or older. HELP Investigators. Hospitalized Elderly Longitudinal Project. JAMA 1998;279:371-5.
5. Paillaud E, Canoui-Poitrine F, Varnier G, et al. Preferences about information and decision- making among older patients with and without cancer. Age Ageing 2017;46:665-71.
6. Legrain S, Tubach F, Bonnet-Zamponi D, et al. A new multimodal geriatric discharge-planning intervention to prevent emergency visits and rehospitalizations of older adults: the optimization of medication in AGEd multicenter randomized controlled trial. J Am Geriatr Soc 2011;59:2017-28.
7. Munshi MN, Segal AR, Suhl E, et al. Assessment of barriers to improve diabetes management in older adults: a randomized controlled study. Diabetes Care 2013;36:543-9.
Dans cet article
- Acquérir des compétences
- Un besoin majeur d’éducation thérapeutique
- Aussi désireux que les plus jeunes d’être acteurs de leur prise en charge
- Les malades âgés peuvent tirer bénéfice des programmes d’éducation thérapeutique
- Spécificités et hétérogénéité des malades âgés
- Spécificités à prendre en compte
- À CIBLER EN PRIORITÉ