objectifs
Évaluer l’impact de l’éducation thérapeutique sur le succès du traitement. Expliquer les facteurs améliorant l’observance médicamenteuse et non médicamenteuse lors de la prescription initiale et de la surveillance. Planifier un projet pédagogique individualisé pour un porteur de maladie chronique avec ou sans comorbidités en tenant compte de ses facteurs de risque (v. item 1).
Argumenter une prescription médicamenteuse et l’éducation associée en fonction des caractéristiques du patient, de ses comorbidités, de la polymédication éventuelle, et des nécessités d’observance. Expliquer à un malade les risques inhérents à une automédication.
Planifier avec un malade les modalités d’une automédication contrôlée.

Éducation thérapeutique

Définition et principes

Les maladies chroniques affectent près de 20 millions de personnes en France, un effectif en constante croissance.[1] Elles représentent un coût majeur de santé (hospitalisations, consultations médicales, consommation de médicaments, examens complémentaires, etc.).
L’éducation thérapeutique du patient consiste à aider les patients à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique.[2] L’objectif pour les professionnels de santé est d’être capables d’aider ces patients à acquérir la capacité de gérer leur traitement afin d’améliorer leur qualité de vie et de prévenir les complications résultant de leur maladie.
L’éducation thérapeutique est donc un processus continu, qui peut être proposé dès l’annonce du diagnostic de la maladie chronique ou à tout autre moment de la maladie. Selon le code de la santé publique, l’ensemble des professionnels de santé est concerné, en particulier médecins, infirmiers, diététiciens, masseurs-­kinésithérapeutes, pharmaciens, etc.
On notera que l’information est un phénomène descendant, incitatif, alors que l’éducation thérapeutique est un phénomène participatif, transversal.

Étapes de développement d’un programme éducatif

Le projet pédagogique est au cœur de la démarche d’éducation thérapeutique mise en place par la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) en 2009. On distingue 4 étapes successives :
 

Élaborer un diagnostic éducatif

Le diagnostic éducatif est indispensable à la connaissance du patient et à la formulation ultérieure des compétences à acquérir. Les points clés à évaluer pour établir le diagnostic éducatif sont :

  • bilan médical de la maladie, de sa sévérité et des comorbidités associées ;
  • activités professionnelles du patient, intégration sociale ;
  • identification des besoins et attentes du patient ;
  • acceptation de la maladie, croyances et représentations de la maladie par le patient.

 

Définir un programme personnalisé d’éducation thérapeutique

Pour un patient, le projet pédagogique individualisé est l’ensemble des étapes permettant de l’aider à gérer au mieux sa maladie chronique. Les objectifs sont d’améliorer ses connaissances et ses compétences (capacités de décision, auto-soins, utilisation des médicaments) et, au final, son autonomie et sa qualité de vie.

 

 

 

Mise en œuvre des séances

Selon les besoins et préférences du patient, une première phase consiste à planifier les séances d’éducation thérapeutique par une sélection des contenus des séances, des méthodes et des techniques d’apprentissage.
D’un point de vue pratique, les séances sont individuelles, collectives, ou en alternance. La durée des séances est de 30 à 45 minutes chez l’adulte. Les séances collectives favorisent le partage d’expérience et rassemblent au minimum 3 personnes (au maximum 6 à 8 enfants, 8 à 10 adultes).
Les techniques et outils pour les séances d’éducation thérapeutique sont multiples :[3]

 

 

 

  • techniques pédagogiques : exposés interactifs, études de cas, tables rondes, simulations à partir de l’analyse d’une situation ou d’un carnet de surveillance, travaux pratiques, atelier, simulations de gestes et de techniques, activités sportives, jeux de rôle, témoignages documentaires ;
  • techniques de communication centrées sur le patient : écoute active, entretien motivationnel ;
  • outils divers : affiches, classeur-imagier, bandes audio ou vidéo, CD-roms, brochures, représentations d’objets de la vie courante, etc.

 

 

Réaliser une évaluation individuelle

Elle permet de faire le point avec le patient sur ce qu’il a compris, ce qu’il sait faire, comment il vit au quotidien avec sa maladie, ce qu’il lui reste éventuellement à acquérir afin de lui proposer une nouvelle offre d’éducation thérapeutique qui tienne compte des résultats de cette évaluation et de l’évolution de la maladie.

 

Impact sur le succès des traitements

Les compétences à développer chez les patients atteints de maladie chronique sont les suivantes :

  • les compétences de sécurité, visant à permettre au patient et à son entourage de savoir dépister et prendre en charge des situations à risque (hypoglycémie chez le diabétique, fièvre chez l’immunodéprimé) ;
  • les compétences d’auto-soins, à savoir les décisions prises avec l’intention de modifier l’effet de la maladie sur sa santé ;[4]
  • les compétences d’adaptation, définies comme les compétences personnelles et interpersonnelles, cognitives et physiques, qui permettent aux personnes de maîtriser et de diriger leur existence, et d’acquérir la capacité à vivre dans leur environnement et à modifier celui-ci. Elles font partie d’un ensemble plus large de compétences psychosociales.[5]

In fine, l’évaluation de l’impact de l’éducation thérapeutique s’effectue à plusieurs niveaux :

 

  • médical : amélioration de paramètres cliniques ou biologiques liés à la maladie, par exemples la fréquence des exacerbations d’asthme, l’HbA1c dans le diabète ;
  • autonomie et sécurité : réduction des effets indésirables des traitements, des rechutes et complications de la maladie, des recours aux urgences ou hospitalisations ;
  • comportemental : acquisition de compétences d’auto-soins, de sécurité ;
  • cognitif : amélioration des croyances erronées, des préjugés, des connaissances ;
  • global : amélioration de la qualité de vie, réalisation des projets.

 

Prescription médicamenteuse et éducation

 

Prescription médicale personnalisée

Le médecin a la liberté de ses prescriptions, mais le contrat tacite qui le lie au patient engage sa responsabilité quant aux conséquences possibles.
Le médecin doit donc évaluer le rapport bénéfices/risques de sa prescription, voire de sa non-prescription. Cette évaluation repose sur un diagnostic précis de la forme clinique de la maladie et des comorbidités et sur un état des lieux des thérapeutiques préconisées : médicaments disponibles, respect de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour certains médi­caments (biothérapie, immunothérapie), elle impose également des examens paracliniques préalables (bio­logie standard, immuno­histochimie, génétique). Malgré ces progrès médico-scientifiques, la prise en compte des attentes et des besoins des patients reste et restera un élément fondamental de la prescription. Cette appréciation constitue la base de la person­nalisation de toute décision thérapeutique, c’est-à-dire l’adaptation de la thérapeutique prescrite à chaque patient, dans une relation de communication et de confiance entre le médecin et son patient.

 

 

 

Décision de traiter

Quatre éléments sont indispensables à intégrer pour la décision de traiter :

 

 

 

  • connaissance des éléments liés au patient, tels que sa maladie, son état physiologique et psychologique ;
  • connaissance du mode de vie du patient, de son entourage, de ses attentes et besoins ;
  • connaissance des traitements possibles (rapport bénéfices-­risques) ;
  • respect de l’éthique médicale, de l’autonomie et de la qualité de vie du patient, dans une dimension empathique.

Ainsi, pour une même pathologie, les objectifs pourront être différents selon les patients.

 

 

 

Déterminants de la prescription médicamenteuse

L'interrogatoire et l'examen minutieux du patient sont indispensables, à l’initiation mais aussi lors du suivi du traitement en cours. Il faut donc :

 

 

 

  • lister les antécédents personnels, médicaux et chirurgicaux : maladie cardiaque, respiratoire, hépatique, rénale, neurologique ou psychique ; notion d’allergie, d’intolérance ou de toxicité médicamenteuse. Lister également les antécédents familiaux ;
  • recenser les traitements en cours, récupérer les ordonnances et les courriers des autres médecins, identifier une automédication ;
  • évaluer le terrain, en vue d’une adaptation de posologie ou une éviction de certains médicaments : âge physiologique, du nourrisson jusqu’au grand vieillard (mettre en balance l’espérance de vie réelle et le risque thérapeutique), femme enceinte (risque tératogène ou toxique), mère qui allaite, sujet immunodéprimé, génétique ;
  • examiner le patient. Les mesures du poids et de la taille sont indispensables pour adapter la posologie. Les médicaments à marge thérapeutique étroite (digitaliques, neuroleptiques) doivent faire l’objet d’une attention spécifique ;
  • déterminer la fonction rénale et hépatique, exigeant une modulation de posologie ; rechercher une déshydratation et une dénutrition, fréquentes chez le sujet âgé, ordonnant la non-utilisation ou la réduction de posologie de certains médicaments : anticoagulants oraux, sulfamides hypoglycémiants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), diurétiques ; ces trois derniers étant susceptibles d’entraîner une insuffisance rénale fonctionnelle, surtout en cas d’association ;
  • apprécier la capacité du patient et de ses proches (de ceux qui vivent avec lui) à comprendre les objectifs et les modalités du traitement, à lire l’ordonnance elle-même, à identifier les effets indésirables les plus fréquents, les plus graves ; une altération cognitive, mnésique et/ou sensorielle (notamment visuelle, cataracte, dégénérescence maculaire liée à l’âge) trop prononcée mettra en danger le patient, cette détérioration pouvant être provoquée ou aggravée par le traitement lui-même (hypno­tiques, neuroleptiques…) ;
  • définir le contexte socioéconomique et l’autonomie financière et physique du patient, qui pourraient le conduire au mésusage, voire à la non-observance du traitement prescrit ;
  • savoir objectiver la réelle motivation du patient à vouloir suivre le traitement prescrit, selon les effets indésirables (impuissance sous bêtabloquants), les contraintes d’horaires des prises (anti­rétroviraux), les conceptions idéologiques, culturelles ou religieuses, en période de jeûne, par exemple. Il conviendra d’informer minutieusement le patient et ses proches des objectifs et des modalités du traitement (posologie, horaires des prises), commenter l’ordonnance elle-même, expliciter les effets indési­rables les plus fréquents, les plus graves et s’assurer que les explications ont bien été comprises.

 

 

Décision partagée

La décision thérapeutique peut se faire classiquement selon 3 modèles :

 

 

  • paternaliste : le médecin apporte les informations, descendantes, et décide ;
  • patient autonome : le patient s’informe par ses propres moyens et va décider, avec ses proches ;
  • décision partagée : chacun apporte ses informations, ses connaissances, ses besoins et attentes, et une décision commune au soignant et au patient va émerger.

Dans le modèle de décision partagée, les soignants apportent l’information médicale, les patients apportent l’information qu’ils ont, mais aussi leurs attentes et besoins. Le modèle de décision partagée est le modèle actuellement privilégié car il prend en compte les attentes et besoins des patients. Théoriquement, ce modèle permettra la meilleure observance et la meilleure satisfaction des patients. Pour aboutir à une décision partagée pertinente, l’information et surtout l’éducation du patient sont nécessaires.

 

Observance

Définition

L’observance est le degré de concordance entre le comportement du patient et les recommandations des soignants, aussi bien au niveau de la prescription que du suivi thérapeutique. On différencie classiquement l’adhésion, c’est-à-dire l’adoption des règles de prises médicamenteuses proposées, et la maintenance thérapeutique, qui représente la durée effective de prise médi­camenteuse sans écart significatif par rapport à la prescription initiale.
L’observance concerne donc :

  • la prise médicamenteuse : posologie, horaires et nombre de prises, absence de prise ou prise injustifiée, voire automédication ;
  • le bon suivi des règles hygiénodiététiques ;
  • le suivi médical, c’est-à-dire la réalisation d’examens complémentaires, la venue aux visites de contrôle.

Facteurs de bonne observance

L’observance implique, de la part du patient, une acceptation initiale du traitement proposé et le maintien de cette adhésion dans le temps. La condition nécessaire est une compréhension des modalités de prise du médicament, des bénéfices attendus, du rythme de surveillance et des risques d’effets indésirables.
D’une manière générale, l’observance sera meilleure si l’administration du traitement est simple et de courte durée et qu’il est efficace et bien toléré.
La relation entre le médecin et le patient joue également un rôle important. L’optimisation de la stratégie thérapeutique, la hiérarchisation et la personnalisation des prescriptions, la qualité de l’information du patient, le temps passé par le médecin, une relation médecin-malade fondée sur la confiance, le respect et l’empathie favorisent l’observance.

Facteurs de non-observance

Les problèmes d’observance d’un traitement sont extrêmement fréquents dans les maladies chroniques. Ils concerneraient, à des degrés divers selon les pathologies et leur sévérité, entre 30 et 80% des patients.[6, 7] Elle explique une part de la différence constatée entre les conclusions des essais cliniques, dont les participants sont sélectionnés pour leur observance, et les résultats observés en pratique médicale courante.
Les facteurs de non-observance sont nombreux et variés :

  • liés au patient :

. mauvaise compréhension de la maladie, du traitement et de ses objectifs,
. sous-estimation de la sévérité d’une maladie,
. crainte de devenir dépendant vis-à-vis des médicaments d’une manière générale,
. craintes des effets indésirables d’un médicament en particulier, reposant sur des données sérieuses (corticoïde au long cours) ou non (vaccins),
. degré de motivation ;

  • liés à l’état de santé du patient :

. nature de l’affection traitée, d’autant plus que la maladie est peu ou non symptomatique : on observe plus de 60 % de non-observance pour le traitement d’une anomalie biologique telle que l’hypercholestérolémie,
. comorbidités : troubles sensoriels et mnésiques, difficultés motrices ou de coordination, notamment chez les sujets très âgés, anxiété, dépression ;

  • liés au traitement :

. complexité de la stratégie thérapeutique : modalités d’administration contraignantes (fréquence élevée des prises), galénique mal adaptée, horaires et durée,
. efficacité thérapeutique faible ou non perceptible,
. effets indésirables médicamenteux ;

  • liés au système de soins :

. implication des soignants,
. défaut de prise en charge des soins/traitements par les assurances publiques ou privées.
Les conséquences potentielles d’une mauvaise observance sont l’échec et le risque thérapeutiques. Par exemple, le non-contrôle des symptômes d’une maladie chronique peut conduire à un risque d’escalade thérapeutique injustifiée. Devant un échappement, voire un échec thérapeutique, il faut toujours, et en premier lieu, penser à une non-observance, avant d’ajouter un nouveau médicament, source potentielle d’interactions médicamenteuses et d’effets indésirables.

Évaluation de l’observance

L’observance est un élément indispensable de la surveillance d’un traitement médicamenteux, au même titre que l’efficacité et les effets indésirables. En pratique, les problèmes d’observance peuvent être difficiles à détecter, mais il existe des techniques et des outils qui peuvent s’avérer utiles :

  • les entretiens lors des visites médicales. Chaque interrogatoire doit être adapté selon le patient, et il n’existe pas de solution miracle pour déterminer l’observance exacte. Certaines pistes de discussion peuvent néanmoins permettre d’obtenir des informations :

. faire reformuler par le patient de manière empathique la manière dont il prend ses traitements (dose, horaires de prise, fréquence des oublis),
. s’assurer que le patient a compris l’action et l’intérêt de son traitement,
. encourager le patient à exprimer les craintes et/ou les difficultés éventuelles liées au traitement,
. s’enquérir de la survenue éventuelle d’effets indésirables gênants et des moyens mis en œuvre pour les prévenir et les gérer/corriger,
. évaluer avec le patient le bénéfice qu’il perçoit à prendre un traitement au long cours,
. rechercher et lever les obstacles à une bonne observance du traitement ;

  • les questionnaires. Plusieurs questionnaires d’évaluation de l’observance sont disponibles (tableaux 1 et 2). Ces outils permettent d’estimer l’observance par des données chiffrées et d’obtenir une tendance évolutive lorsqu’ils sont répétés dans le temps ;
  • les dosages sanguins de médicaments. Lorsqu’ils sont disponibles, les dosages de médicaments peuvent permettre d’orienter la prise en charge thérapeutique. Une concentration plasmatique indétectable de médicament doit faire suspecter une non-observance, même si d’autres paramètres peuvent être en cause, tels qu’un défaut d’absorption ou une interaction médicamenteuse ;
  • l’évaluation indirecte par la réponse thérapeutique. L’absence de réponse doit conduire à une estimation de l’observance. A contrario, une réponse attendue au niveau clinique, biologique, radiologique, voire histologique est un argument fort en faveur d’une observance satisfaisante.

Automédication

Définition

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’automédication est le traitement de certaines maladies par les patients grâce à des médicaments autorisés, accessibles sans ordonnance, sûrs et efficaces, dans les conditions d’utilisation indiquées.[10]
En France, la définition est sensiblement identique, à savoir l’utilisation, hors prescription médicale, par des personnes pour elles-mêmes ou pour leurs proches et de leur propre initiative, de médicaments considérés comme tels et ayant reçu une AMM, avec la possibilité d’assistance et de conseils de la part des pharmaciens.[11]

Médicaments concernés

Les médicaments d’automédication, également nommés « médi­caments de médication officinale », sont disponibles sans ordonnance. Ils peuvent cependant être prescrits par un médecin. Ils sont régis par les mêmes règles de sécurité et de suivi que les médicaments de prescription. Ils ont fait l’objet d’une AMM et ont donc, à ce titre, un rapport bénéfice-risque considéré comme favorable dans les conditions autorisées. On distingue deux catégories de médicaments d’automédication :

  • médicaments « conseils » :

. disponibles sans ordonnance, via une demande au pharmacien,
. ils représentent la plupart des médicaments d’automédication,
. remboursables par la Sécurité sociale, en cas de prescription médicale uniquement ;

  • médicaments « grand public » :

. médicaments en accès direct (ou en libre accès, « over the counter », OTC) car placés devant le comptoir de la pharmacie, afin de permettre au patient de se servir lui-même,12
. on distingue les médicaments allopathiques, homéopathiques et à base de plantes,
. ils figurent sur une liste établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) selon des critères choisis pour garantir la sécurité sanitaire et la sécurité des patients,
. non remboursés par la Sécurité sociale.
Cette définition optimiste des médicaments d’automédication émane des autorités administratives et ordinales mais ne tient pas compte des « comportements d’automédication », pratiques potentiellement dangereuses qui concernent tous les médicaments. Il s’agit, par exemple, des médicaments prescrits antérieurement, stockés dans les armoires à pharmacie familiales et réutilisés par les patients ou par leurs proches sans avis médical. Il peut s’agir également de médicaments achetés sur internet et qui n’ont aucune AMM. L’automédication peut impliquer un « auto­diagnostic », qui correspond soit à des maladies réelles, connues, soit à des maladies imaginaires. Les motifs d’automédication sont nombreux et parfois associés aux éléments suivants :
– déni d’une maladie grave, pathologie jugée d’importance secondaire ;
– symptomatologie connue antérieurement et dont le patient considère qu’il sait comment la traiter ;
– rendez-vous chez le médecin difficile à obtenir ;
– médicament facile à obtenir.

Enjeux

L’automédication est une pratique répandue en France et proba­blement sous-estimée. Elle représente un marché de 3,9 milliards d’euros en 2016 et 10,7 % du chiffre d’affaires des officines. S’agissant de prix libres, les enjeux économiques et industriels sont importants. Des laboratoires spécialisés et des secteurs spécifiques de grands laboratoires pharmaceutiques consacrent leurs activités à ces médicaments d’automédication. L’industrie pharmaceutique exerce un lobbying en ce sens via l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA). Au niveau du système de santé français, on observe le déremboursement de nombreuses spécialités, visant à réduire les dépenses de l’Assurance maladie.

Risques

L’automédication expose principalement au risque de mésusage des médicaments, c’est-à-dire à une consommation médicamenteuse inadaptée et à ses conséquences iatrogéniques :

  • mésusage du médicament :

. utilisation de médicaments antérieurement prescrits sur ordonnance, avec recours systématique et abusif au contenu de l’armoire à pharmacie familiale, par exemple les benzodiazépines, les antibiotiques,
. utilisation de médicaments inconnus, conseillés ou transmis par l’entourage, ou achetés sur internet,
. modalités d’administration inadaptées telles que les erreurs de posologie, la durée de traitement trop prolongée ou trop courte, l’arrêt brutal d’un médicament, le non-respect des contre-indications et des précautions d’emploi,
. administration à de jeunes enfants de formes pharmaceutiques destinées à des adultes,
. utilisation de médicaments périmés,
. automédication non déclarée au médecin ou au pharmacien ;

  • effets indésirables :

. par exemple, l’hémorragie digestive sous acide acétylsalicylique, la somnolence sous benzodiazépine ou antihistaminique H1, etc. ;
– interactions médicamenteuses :
. par exemple, la diminution de l’absorption digestive de médicaments administrés simultanément avec un antiacide, l’augmentation du risque hémorragique par l’association AINS-­anticoagulant ;

  • risques iatrogéniques pendant la grossesse :

. par exemple, la prise d’acide acétylsalicylique au-delà de 24 semaines d’aménorrhée (5 mois révolus) : exposition du fœtus à une toxicité cardiopulmonaire (fermeture prématurée du canal artériel, hypertension artérielle pulmonaire) ;

  • évolution vers une pharmacodépendance :

. par exemple, un antitussif à base de codéine, utilisé per os par des sujets dépendants aux opiacés ;
– surdosage médicamenteux :
. par exemple, la prise concomitante de deux médicaments aux noms commerciaux différents mais contenant tous deux du paracétamol.
L’automédication expose également à d’autres risques :

  • retard de diagnostic d’une urgence vitale :

. cardiothoracique (infarctus du myocarde, embolie pulmonaire, pneumothorax), neurologique (accident vasculaire cérébral), digestive…,
. par exemple, une douleur thoracique aiguë traitée par antalgique ou AINS ;
– retard de diagnostic et traitement inadapté d’une pathologie chronique :

  • complication d’une affection bénigne :

. par exemple, déshydration secondaire à une diarrhée aiguë traitée uniquement par ralentisseur du transit intestinal, sans règle hygiénodiététique associée (hydratation adaptée) ;

  • accident de la voie publique :

. par exemple, une somnolence liée à l’automédication chronique par benzodiazépine ou la prise de codéine ;

  • accident du travail (conducteurs de véhicule et utilisateurs de machine) ;
  • développement de comportements addictifs ;
  • réactions positives aux tests antidopage chez le sportif.

Bon usage

Pour limiter les risques exposés ci-dessus, l’automédication doit être contrôlée. Les conditions et les modalités d’une automédication responsables sont :

  • le traitement de symptômes bénins et courants ; par exemple, douleurs légères ou modérées, fièvre, rhume ;
  • le traitement de courte durée ;
  • le fait de privilégier les spécialités pharmaceutiques simples ne contenant qu'un seul principe actif ;
  • le respect des exigences de sécurité :

. ne pas utiliser chez la femme enceinte ou allaitante,
. ne pas associer une automédication à un autre traitement médicamenteux en cours ;
– informer régulièrement son médecin de toute automédication ;
– demander conseil à son médecin ou à son pharmacien d’officine ;
– information des patients (lecture des notices des médicaments) ;
– éducation des patients ;
– consultation médicale en cas de persistance des symptômes.
Le médecin joue un rôle important dans l’identification d’une automédication et la prise en charge de ses complications :

  • identifier l’automédication : interrogatoire systématique du patient sur les traitements habituels ;
  • connaître et dépister les interactions potentielles entre médica­ments prescrits et automédication ;
  • rechercher les étiologies iatrogènes, notamment l’automédication méconnue, lors de la survenue de tout nouveau symptôme ;
  • conseil au patient par une information et une éducation concernant :

. les effets indésirables médicamenteux,
. les situations à risque (enfant, sujet âgé, grossesse, allaitement, polypathologies, multiples traitements concomitants) ;

  • déclaration de tout effet indésirable au centre régional de pharmacovigilance ;
  • connaître la pharmacologie (contre-indications, précautions d’emploi, effets indésirables, interactions médicamenteuses) des médicaments les plus utilisés par automédication, tels que l’acide acétylsalicylique, les AINS et les antalgiques.

Le rôle du pharmacien d’officine est également important pour prévenir les risques de mésusage de l’automédication. Il impose de sa part une information claire et adaptée, lors d’un entretien d’une durée suffisante et dans des conditions respectant la confidentialité du patient ;
– donner des consignes de vigilance concernant les enfants et les sujets âgés ;

  • rechercher systématiquement à l’interrogatoire une grossesse chez une femme en âge de procréer et expliquer, le cas échéant, les risques majeurs de l’automédication chez la femme enceinte ou allaitante ;
  • expliquer les posologies, les modalités d’administration, rechercher les contre-indications, précautions d’emploi et avertir le patient du risque d’interaction médicamenteuse.

Éducation des patients

Avant l’achat d’un médicament :

  • demander conseil au pharmacien d’officine ;
  • faire preuve d’une vigilance accrue dans certaines situations (femme enceinte ou allaitante, allergie médicamenteuse connue, sujet âgé de plus de 75 ans ou de moins de 12 ans, affections de longue durée, notamment hépatique, cardiaque, rénale ou diabète).

Avant la prise d’un médicament :

  • lire les informations inscrites sur la boîte de médicament (substance active, excipients, indication, mode de prise, précautions d’emploi, pictogramme sur les risques liés à la conduite automobile) ;
  • lire la notice ;
  • conserver le médicament et sa notice dans la boîte d’origine ;
  • tenir compte de la date de péremption.

Au cours du traitement :

  • prévenir les interactions médicamenteuses :

. éviter de prendre plusieurs médicaments en automédication,
. signaler au pharmacien la prise concomitante de médicament(s) (anticoagulant),
. éviter le jeûne, l’alcool et certaines boissons (à base de plantes, jus de pamplemousse) ;

  • respecter les modalités d’administration :

. posologie, nombre de prises quotidiennes, intervalle entre les prises, dose maximale recommandée, durée du traitement,

  • signaler tout événement indésirable à un médecin ou à un pharmacien,
  • ne pas laisser le médicament à la portée ou à la vue des enfants,
  • consulter son médecin en cas de persistance/aggravation des symptômes.

Au total, l’automédication peut être utilisée dans certaines circonstances en respectant des règles de bonnes pratiques, afin de limiter les risques iatrogènes potentiellement graves qu’elle peut provoquer. Elle doit être réservée au traitement de symptômes bénins, pendant une courte durée et en monothérapie. L’automédication chez la femme enceinte est contre-indiquée. Une consultation médicale s’impose en cas de persistance/aggravation des symptômes. Enfin, l’automédication est à prendre en compte dans toute prescription
1. CNAM .Rapport, 2019. https://www.ameli.fr/sites/default/files/rapport-charges-et-produits-2020.pdf
2. OMS-Europe. Rapport publié en 1996, Therapeutic Patient Education – Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the field of Chronic Disease, traduit en français en 1998.
3. HAS. L’éducation thérapeutique du patient en 15 questions- réponses. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/questions_reponses_vvd_.pdf
4. World Health Organization, Centre for Health Development. A glossary of terms for community health care and services for older persons. Kobe: WHO; 2004
5. World Health Organization. Skills for health. Geneva: WHO; 2003
6. World Health Organization. Adherence to long-term therapies. Evidence for action: WHO; 2003.
7. Global Initiative for Asthma. Global Strategy for Asthma Management and Prevention, 2018. Available from: www.ginasthma.org
8. Morisky DE, Green LW, Levine DM. Concurrent and predictive validity of a self-reported measure of medication adherence. Medical care 1986 Jan; 24(1):67-74.
9. Girerd X, Hanon O, Anagnostopoulos K. Évaluation de l’observance du traitement anti-hypertenseur par un questionnaire : mise au point et utilisation dans un service spécialisé. Presse médicale 2001;30:1044-8.
10. WHO Guidelines for the regulatory assessment of medicinal products for use in self medication. WHO Drug Information 2000;14:18-26.
11. Pouillard J. L’automédication. Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins, février 2001.
12. ANSM. Médicaments en accès direct. http://ansm.sante.fr/Dossiers/Medicaments-en-acces-direct

Points forts
Éducation thérapeutique, observance et automédication

POINTS FORTS À RETENIR

L’éducation thérapeutique est une approche multidisciplinaire, dont l’impact a été démontré dans les maladies chroniques.

Un projet pédagogique individualisé vise à aider les patients à gérer une maladie chronique au quotidien, pour améliorer leur autonomie et leur qualité de vie.

Des questionnaires permettent d’évaluer l’observance thérapeutique dans les maladies chroniques.

Pour une même pathologie, les conditions de prescription médicamenteuse peuvent être différentes selon les patients.

L’automédication non contrôlée expose à des risques iatrogènes importants.

Message auteur

Éducation thérapeutique, observance et automédication

Cet item est transversal, et il est difficile d’imaginer un dossier complet dédié à l’éducation thérapeutique ou à l’automédication. En revanche, ces thèmes peuvent faire l’objet de nombreuses questions à réponses multiples et peuvent être intégrés dans un dossier progressif portant sur une pathologie spécifique. Une liste de médicaments délivrée dans l’énoncé n’est jamais anodine pour la suite des réponses au dossier et doit alerter sur le risque iatrogène (effets indésirables, interactions médicamenteuses, etc.). En l’absence de réponse thérapeutique, penser au défaut d’observance. Penser également à l’automédication, et de nouveau au risque iatrogène, dans les situations suivantes :

– nouveau symptôme sans rapport avec une affection connue ;

– bilan biologique comportant des valeurs anormales ;

– nombreux médicaments concomitants ;

– terrain physiologique à risque : enfant en bas âge, sujet âgé, grossesse, allaitement ;

– pathologies à risque : Insuffisance rénale, insuffisance hépatique, insuffisance cardiaque..

Références

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