Les édulcorants sont utilisés massivement par l’industrie agroalimentaire : on les retrouve dans les « sucrettes », les boissons « light », mais aussi dans une multitude d’aliments allégés. Selon des données françaises récentes, dont celles de deux études à grande échelle fondées sur la cohorte NutriNet-Santé, leur consommation non seulement n’a pas d’intérêt, mais est associée à un sur-risque de cancer et de maladies CV. Explications.

Molécules au pouvoir sucrant supérieur au sucre de table malgré une valeur énergétique très inférieure, les édulcorants intenses (aspartame, extraits de stévia, sucralose, acésulfame-K…) sont proposés comme une solution intéressante pour limiter l’apport en sucres dans notre alimentation moderne au goût très sucré. Cependant, les bénéfices espérés de leur utilisation – perte de poids, diminution de l’incidence du diabète de type 2 – tardent à être prouvés malgré de nombreuses études. En 2015, un rapport de l’Anses concluait à un manque de preuves concernant leur effet bénéfique sur la santé.

En parallèle, leur innocuité a fait l’objet de vifs débats, comme en témoignent les polémiques entourant l’aspartame depuis son autorisation en tant qu’édulcorant en 1994. Aussi, des études épidémiologiques ont suggéré une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires associée à la consommation de boissons édulcorées, mais aucune ne s’était, jusqu’à présent, intéressée à l’exposition aux édulcorants artificiels dans leur ensemble et pas seulement aux boissons qui les contiennent. Or les édulcorants sont présents dans certains produits laitiers, et dans une multitude d’aliments allégés : céréales, chewing-gums, conserves, confitures…

Dans une étude publiée en septembre dans le BMJ, des chercheurs français ont décortiqué, tous les 6 mois pendant 2 ans, ce qui avait été consommé pendant trois jours non-consécutifs par les 103 388 personnes de la cohorte NutriNet-Santé, sur la base de l’autodéclaration. Grâce à une banque de données répertoriant plusieurs milliers de produits et leur composition, les chercheurs ont calculé de manière détaillée la consommation en édulcorants des participants (acésulfame-K : E950 ; aspartame : E951 ; cyclamates : E952 ; saccharine : E954 ; sucralose : E955 ; thaumatine : E957 ; néohespéridine dihydrochalcone : E959 ; glycosides de stéviol : E960 ; sel d’aspartame-acésulfame : E962). À la faveur d’un suivi médian de 9 ans et de 5,6 jours de suivi nutritif détaillé pour les personnes inclues, les chercheurs ont déterminé le nombre d’événements cardiovasculaires des participants.

Résultat : après élimination des principaux facteurs confondants – âge, sexe, éducation, activité physique, tabagisme, IMC, diabète, etc. –, la consommation totale d’édulcorants était associée à une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires (hazard ratio (HR) = 1,09 ; IC (95 %) = [1,01 ; 1,18], P = 0,03). Les plus fortes associations ont été retrouvées avec l’aspartame, pour le risque cérébrovasculaire (HR = 1,17 ; IC (95 %) = [1,03 ; 1,31], P = 0,002), et le sucralose pour le risque de maladie coronaire (HR = 1,31 ; IC (95 %) = [1,00 ; 1,71], P = 0,05).

Les édulcorants les plus consommés dans la cohorte étaient l’aspartame, l’acésulfame-K et le sucralose, les boissons ne représentant en moyenne qu’environ la moitié des apports.

Ces données complètent celles publiées en mars dans PLOS Medicine par la même équipe, qui indiquaient – en suivant la même méthodologie – que les consommateurs d’édulcorants avaient, une fois pris en compte les facteurs confondants, un risque de cancer accru par rapport aux non-consommateurs (HR = 1,13 ; IC (95 %) = [1,03 ; 1,25], P = 0,002). La consommation d’aspartame et celle d’acésulfame-K étaient associées à un risque plus élevé global de cancer.

Cependant, ces études sœurs ont des limites entravant leur impact et leur généralisation à la population générale. Tout d’abord, le suivi alimentaire n’a concerné que 5,6 jours en moyenne par personne. Ensuite, la découverte d’une corrélation entre maladies et consommation d’édulcorants (par ailleurs souvent supportées par des p-value élevées) n’implique pas une causalité entre ces variables. Enfin, malgré la prise en compte dans l’analyse statistique des facteurs confondants, la cohorte NutriNet-Santé a un recrutement biaisé marqué par une population très féminisée (79,8 % de femmes), ayant un niveau éducatif et socioprofessionnel plus élevé que la population générale, ainsi qu’une meilleure sensibilisation aux questions de santé (attention à une alimentation équilibrée et à un mode de vie sain).

Selon les auteurs, prises ensemble, ces études « ne soutiennent pas l’utilisation d’édulcorants, consommées de façon quotidienne par des millions de personnes et présents dans des milliers de produits, en tant qu’alternatives sûres au sucre ». Elles apportent de nouveaux éléments importants aux autorités de santé – Organisation mondiale de la santé et Autorité européenne de sécurité des aliments – qui sont en train de réévaluer leurs positions officielles sur les éventuels bénéfices et risques liés à ces produits.

Pour en savoir plus

Debras C, Chazelas E, Sellem L, et al. Artificial sweeteners and risk of cardiovascular diseases: results from the prospective NutriNet-Santé cohort.  BMJ 7 septembre 2022.
Debras C, Chazelas E, Srour B, et al. Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study.  PLOS Medicine 24 mars 2022.

Une question, un commentaire ?