Les premiers résultats obtenus en laboratoire – fondés sur l’étude de la capacité neutralisante des sérums des personnes vaccinées – ont suggéré que les vaccins à ARN seraient moins performants, mais qu’ils garderaient une certaine efficacité vis-à-vis du variant V2 (dit « sud-africain »). En avril, le laboratoire Pfizer a annoncé les résultats d’un petit essai clinique conduit en Afrique du Sud (où ce variant est majoritaire) révélant que son vaccin était pleinement efficace contre cette souche ; cependant, dans cette étude incluant 800 personnes, seulement 6 infections étaient observées dans le groupe placebo, rendant les résultats peu concluants.
Cette question – pourtant cruciale pour le contrôle de la pandémie – reste donc en suspens : quelle est l’efficacité des vaccins à ARN contre ce variant V2 qui circule déjà en France ?
La situation épidémique particulière du Qatar a permis d’apporter des réponses à cette question. Ce pays a lancé une campagne de vaccination de masse avec Pfizer le 21 décembre 2020. Au 31 mars 2021, au total, 385 853 personnes avaient reçu au moins une dose de vaccin et 265 410 avaient finalisé le protocole à deux doses. L’intensification de la campagne vaccinale a eu lieu alors que le Qatar, après des mois relativement calmes (peu de cas et de décès), subissait – à partir de la mi-janvier 2021 – une poussée épidémique (2e vague) due à la propagation du variant V1 (dit « anglais ») ; quelques semaines plus tard, la souche V2 (dite « sud-africaine »), s’est installée générant une 3e vague. La vague liée au variant V1 a eu un pic au cours de la première semaine de mars, et l’expansion rapide de V2 a commencé à la mi-mars et se poursuit encore à ce jour. Le séquençage du génome viral effectué du 23 février au 18 mars a indiqué que 50,0 % des cas de Covid-19 étaient causés par le variant V2 et 44,5 % par la souche V1. Presque tous les cas dans lesquels le virus a été séquencé après le 7 mars ont été provoqués par un de ces deux variants.
Dans une étude publiée le 5 mai 2021 dans le New England Journal of Medicine, les auteurs se sont appuyés sur les bases de données nationales pour calculer le taux d’infection par le SARS-CoV-2 des personnes vaccinées et le comparer à celui des témoins non vaccinés. L’efficacité du vaccin contre toute infection causée par le variant V1 était estimée à 87,0 % – 89,5 % (selon la méthode utilisée), à partir de 14 jours après la deuxième dose, confirmant les données de vraie vie rapportées en Israël et en Grande-Bretagne (efficacité d’environ 90 % de Pfizer vis-à-vis du « variant anglais »).
Concernant le variant « sud-africain », les chercheurs ont identifié environ 1 500 infections chez des individus vaccinés, mais seulement 179 d’entre elles se sont produites plus de 2 semaines après la deuxième dose. L’efficacité contre toute infection par ce variant était estimée entre 72,1 % et 75,0 %. Le vaccin Pfizer serait donc efficace, mais environ 20 % moins que contre la souche sauvage. Néanmoins, cela ne semble pas se traduire par une mauvaise protection contre les formes d’infection les plus sévères (entraînant hospitalisation ou décès), qui était très élevée, de 97,4 %. Deux personnes sont décédées après infection par le variant V2 après avoir reçu leur deuxième dose de vaccin, mais, selon les auteurs, il est très probable qu’elles aient été infectées avant le début des effets protecteurs du rappel.
Ces résultats du Qatar sont rassurants : les vaccins à ARN actuels sont une arme puissante contre ce variant préoccupant. Par ailleurs, les laboratoires Pfizer et Moderna sont en train de développer des vaccins à ARN mis à jour pour le cibler spécifiquement. Les premiers résultats d’une étude de phase II de Moderna sont parus dans une prépublication : l’injection d’un boost de vaccin mis à jour (à 6 mois environ après vaccination avec les 2 doses habituelles) déclencherait une forte réponse contre le V2. Ce vaccin « rappel » contient un mélange d’ARN codant pour la protéine de l’enveloppe du virus « sauvage » (ancienne « recette ») et d’ARN de l’enveloppe muté correspondant au variant V2.
Notons que d’autres vaccins en cours d’étude semblent efficaces contre ce variant préoccupant : dans un essai publié dans le même numéro du NEJM du 5 mai 2021, incluant 6 000 participants (séronégatifs pour le VIH) recrutés en Afrique du Sud, Novavax réduirait de 60 % le risque de contracter la Covid, avec une grande efficacité contre les cas graves de la maladie (aucun cas chez les individus vaccinés et 5 dans le bras placebo).
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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Santé publique France. Coronavirus : circulation des variants du SARS-CoV-2. 7 mai 2021.
Abu-Raddad LJ, Chemaitelly H. Effectiveness of the BNT162b2 Covid-19 Vaccine against the B.1.1.7 and B.1.351 Variants. NEJM 2021 doi : 10.1056/NEJMc2104974.
Wu K, Choi A, Koch M, et al. Preliminary Analysis and Immunogenicity of a SARS-CoV-2 Variant Vaccine Booster. medRxiv 2021.05.05.21256716.
Nobile C. Entretien avec Samuel Alizon. Covid : les variants co-évoluent avec notre système immunitaire. Rev Pratb (en ligne), 5 mai 2021.