L’électrophorèse des protéines sériques (EPS) est un examen simple, peu coûteux et pouvant se révéler très utile. Cependant, les informations données par cette analyse étant nombreuses, l’interprétation peut paraître complexe. Comment s’en sortir ? Que faire en cas d’anomalies ? Quelles pathologies rechercher ? Quand adresser ? On vous dit tout !

L’EPS consiste à séparer les protéines plasmatiques en fonction de leur poids moléculaire et de leur charge électrique. On sépare ainsi l’albumine et 5 fractions distinctes (α1 -, α2 -, β1 -, β2 -, et ɤ-globuline) contenant chacune différentes protéines.

L’albumine, les α1 -, α2 -, β1 -, et β2 -globulines sont essentiellement de synthèse hépatique tandis que les ɤ-globulines correspondent aux immunoglobulines (Ig) synthétisées par les lymphocytes B. La majorité des IgG et des IgM (95 %) migrent dans cette zone ainsi que 50 % des IgA. On retrouve aussi les IgD et les IgE en quantité anecdotique. Des anomalies de cette fraction (hypo- ou hypergammaglobulinémie et pic monoclonal) auront donc le plus souvent un lien avec des pathologies hématologiques ou avec des dysfonctions du système immunitaire.

Quand faire une EPS ?

La HAS a publié en 2017 les situations justifiant la prescription des EPS.

Les principales indications sont :

  • Anémie arégénérative ;
  • Hypercalcémie maligne ;
  • Protéinurie significative (> 0,5 g/L) ;
  • Insuffisance rénale récente ;
  • Lésions osseuses ostéolytiques ;
  • Adénopathies, splénomégalie ;
  • Infections à répétition ;
  • Neuropathie périphérique ;
  • Bilan d’œdème des membres inférieurs ;
  • Cardiopathie infiltrative ;
  • Lésions cutanées sans diagnostic évident.

En pratique, elle est également prescrite dans un bilan d’asthénie, d’altération de l’état général sans cause évidente retrouvée.

Interpréter les anomalies quantitatives à l’EPS

On distingue les zones α1 -, α2 -, β1 -, β2 -globulines des ɤ-globulines.

Les situations où on retrouve des diminutions ou des augmentations de l’albumine et des fractions α1 -, α2 -, β1 -, β2 -globulines sont liées le plus souvent à des pertes protéiques qu’elle qu’en soit la cause ou à un syndrome inflammatoire. Le tableau récapitule les étiologies possibles face à des anomalies quantitatives de ces protéines.

Les hypogammaglobulinémies se traduisent par un aspect aplati de la zone des ɤ-globulines. Avant tout, elles peuvent être transitoires et donc un contrôle à distance est conseillé en 1re intention. Elles peuvent être primitives ou secondaires.

Chez un sujet jeune, il convient d’évoquer un déficit immunitaire commun variable qui peut se révéler à la naissance mais aussi plus tardivement devant des infections ORL et pulmonaires récidivantes couplées à un défaut de réponse vaccinale. Le bilan biologique nécessitera un dosage pondéral des Ig et un immunophénotypage.

Chez le sujet plus âgé, elles peuvent révéler un myélome à chaînes légères dont la preuve sera apportée par la caractérisation des chaînes légères libres monoclonales dans les urines ou par le dosage des chaînes légères libres dans le sérum et le dosage kappa/lambda.

Les carences nutritionnelles majeures, les entéropathies exsudatives, les syndromes néphrotiques, d’autres hémopathies (LLC, lymphome non hodgkinien) ou encore une cause iatrogène (antiépileptiques, cytotoxiques, biothérapies, antipsychotiques) peuvent provoquer une hypogammaglobulinémie.

Une hypergammaglobulinémie polyclonale est caractérisée par une augmentation large, régulière, en dôme au niveau de la zone des ɤ-globulines et correspond à un taux de ɤ-globulines supérieur à 14 - 16 g/L sans pic monoclonal.

Situation fréquente, elle est aspécifique et se traduit par une activation polyclonale des lymphocytes B, c’est-à-dire sans restriction, et doit dans un 1er temps être contrôlée à distance.

Lorsque l’anomalie persiste et bien qu’il n’y ait pas de consensus, un taux supérieur à 20 - 25 g/L doit déclencher des analyses complémentaires à la recherche d’une étiologie notamment infectieuse (penser au VIH), auto-immune, hématologique ou encore à une sarcoïdose (cf. encadré).

Le bilan de 1re intention comprendra une NFS, CRP, des sérologies virales (VIH, VHC, VHB), une recherche des anticorps anti-nucléaires et un bilan hépatocellulaire (BHC). Une imagerie thoracique à la recherche d’adénopathies en cas de suspicion de sarcoïdose et un typage lymphocytaire doivent être discutés.

S’en sortir avec les pics monoclonaux

Une Ig monoclonale est une Ig produite en quantité anormale par un clone unique de lymphocytes B. Elle est soit entière, constituée de l’association d’une chaîne lourde (à l’origine des IgG, A, M essentiellement, D et E de façon beaucoup plus rare) et d’une chaîne légère (kappa ou lambda), soit uniquement constituée de chaînes légères. La caractérisation d’un pic monoclonal nécessite la réalisation d’une immunofixation.

Les pics monoclonaux sont fréquents (1 % de la population générale) et leur prévalence augmente avec l’âge (3 % pour les plus de 50 ans et 6,6 % après 80 ans). Ils correspondent à la prolifération d’un même clone cellulaire leur conférant classiquement un aspect étroit sur l’EPS. Les pics sont dans la zone des ɤ-globulines le plus souvent mais ils peuvent être décalés dans les fractions des β- et α2 -globulines. Compte tenu de possibles étiologies malignes, un pic monoclonal impose un bilan biologique simple de 1re intention : NFS, créatinine, LDH, calcémie, protéinurie, immunofixation, complété par de l’imagerie (radiographie du thorax, échographie abdominale, +/- scanner et IRM du rachis et du bassin).

Devant une gammapathie monoclonale, le raisonnement est simple. La réponse positive à l’une des 4 questions suivantes impose un avis spécialisé :

  • Est-ce que le taux du composant monoclonal est élevé (IgG ou IgM > 15 g/L ou IgA > 10 g/L) ?
  • Existe-il d’autres anomalies biologiques ?
  • Existe-il des signes cliniques évocateurs d’une hémopathie maligne ?
  • Âge inférieur à 60 ans ?

Quatre catégories de pics monoclonaux

« Réactionnels »

Ils sont dans ce cas associés à des pathologies « non lymphoïdes » : infections, maladies auto-immunes (lupus, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Gougerot-Sjögren…), hépatopathies chroniques ou déficit immunitaire acquis ou non (VIH, post greffe).

MGUS (Monoclonal Gammapathy of Undetermined Significance) ou GMSI (gammapathies monoclonales de signification indéterminée)

Ce sont des gammapathies fréquentes (55 % des pics monoclonaux), isolées, en général à IgG (70 - 75 %) ou à IgM (15 - 20 %) dont la quantification reste stable. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion. On ne peut définir un MGUS qu’après avoir réalisé un examen clinique, un bilan biologique de base et une imagerie osseuse ou abdominale. Le myélogramme n’est pas systématique. Attention, il ne s’agit pas d’une gammapathie bénigne mais d’un état prénéoplasique avec un risque d’évolution vers une hémopathie maligne estimé à 1 % par année de suivi en cas d’IgG et de 3 à 5 % par an pour les IgM. En effet, les patients avec une MGUS ont 25 fois plus de risque de développer un myélome et un risque 46 fois plus élevé pour la maladie de Waldenström. De plus 90 - 100 % des myélomes sont précédés par une MGUS. Trois facteurs de risque ont été identifiés :

  • isotype IgA et IgM ;
  • taux du composant monoclonal supérieur à 15 g/L ;
  • dosage anormal des chaînes légères libres sériques avec un rapport kappa/lambda inadapté.

Ainsi, la surveillance doit être régulière et prolongée (4 - 6 mois au début puis annuelle) et passe par des examens simples (EPS, protéinurie, NFS, ionogramme, créatinine, BHC, LDH et une imagerie osseuse en cas de point d’appel).

Un avis spécialisé s’impose en cas d’augmentation de 25 % du pic ou de plus de 5 g/L ou en cas d’apparition d’un symptôme clinique.

Hémopathies malignes : penser au myélome ou à une maladie de Waldenström

Le myélome multiple est une gammapathie à IgG ou à IgA dont l’incidence a augmenté ces dernières années avec 7 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année en France.

Les critères CRAB (anémie, insuffisance rénale, hypercalcémie et lésions osseuses lytiques en imagerie) définissent le myélome symptomatique.

Les myélomes indolents, stade précoce d’un myélome multiple, sont à évoquer en cas d’absence de critère CRAB associée à un taux d’IgG ou d’IgA ≥ 30 g/L.

Un pic à IgM associé à une cytopénie, à des signes généraux (fièvre, sueurs nocturnes, perte de poids) et à une hépato-splénomégalie doit faire penser à une maladie de Waldenström. Les IgM étant de grosses molécules, il faut être vigilant aux signes d’hyperviscosité (saignements des muqueuses, troubles visuels, céphalées, trouble de la conscience).

MGCS (Monoclonal Gammapathy of Clinical Significance) ou GMSC (gammapathie monoclonale de signification clinique)

Beaucoup moins fréquentes, elles sont liées à une activité pathogène de l’Ig avec 3 atteintes préférentielles : la peau (dermatose neutrophilique), le rein (glomérulopathie) et le nerf périphérique (neuropathie anti-MAG). La MGCS la plus fréquente est l’amylose AL, qui correspond à un dépôt d’Ig dans n’importe quel organe ; le diagnostic est objectivé par une augmentation des chaînes légères ou sur biopsie d’organes.

Encadre

Étiologies des hypergammaglobulinémies polyclonales

  • Pathologies infectieuses : fréquent ;
  • Pathologies auto-immunes ;
  • Toutes hépatopathies chroniques ;
  • Hémopathies ;
  • Sarcoïdose ;
  • Tumeurs solides ;
  • Origine ethnique (Afrique subsaharienne).

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