Tout au long de la journée, notre travail consiste à recevoir des patients ; chacun d’entre eux nous raconte une histoire. Quel qu’en soit le sujet (le motif de consultation), le patient nous transmet des éléments qui ne sont pas d’ordre médical.
Exemples tellement fréquents qu’ils en deviennent banals : « J’ai une virose bénigne, mais je suis surtout fatigué » ; « J’ai besoin d’un certificat de sport, et j’en profite pour signaler des difficultés familiales » ; « Je demande des ordonnances à visée préventive (mammographie, biologie…) mais c’est surtout parce qu’on vient de dépister un cancer à un collègue de travail » ; etc.
Et, à chaque consultation, se pose la question de la bonne distance dans la relation médecin-patient.
Il n’y a évidemment pas de bonne ou de mauvaise manière d’exercer, et le dialogue qui se déroule dans le cabinet dépend de nombreux paramètres : personnalité du médecin, plutôt bavard ou réservé, temps accordé à la consultation, interrogatoire plus ou moins ouvert ou dirigiste, choix d’« ouvrir des portes » ou non (« Comment ça se passe au travail en ce moment ? »).
L’empathie paraît être une qualité importante pour exercer la médecine générale, mais, sans même s’en rendre compte, le praticien est plus empathique avec les patients auxquels il s’identifie le plus : s’il a lui-même de jeunes enfants, il est très soutenant concernant les réveils nocturnes des jeunes parents ; s’il a des ados, il est surtout empathique avec les problèmes de temps d’écran…
Cette bonne distance est parfois difficile à maintenir, surtout quand on connaît le patient depuis longtemps et qu’on l’a accompagné dans plusieurs épreuves.
Difficile de ne pas être touché quand un diagnostic difficile est posé, ou lors de l’annonce d’un pronostic péjoratif. La tentation est alors grande de faire le maximum pour aider (appels téléphoniques, rendez-vous en urgence, prise de nouvelles en cas d’hospitalisation…). Et on peut d’ailleurs alors se demander si « l’on n’en fait pas trop ».
Quand un patient « déballe » une histoire vraiment très difficile, par exemple le décès d’un enfant, un viol, un accident dramatique, on est souvent bouleversé, mais on essaie de ne pas le montrer. Ce ne serait probablement pas d’une grande aide pour le patient de voir qu’il fait pleurer son docteur !
À l’opposé, c’est parfois l’absence d’empathie qui vient polluer la relation avec le patient ! Quelqu’un qui insiste pour avoir une prescription inappropriée ou qui met systématiquement en échec les solutions proposées nous place dans l’incapacité de comprendre ce qui se cache derrière sa demande. On se limite alors à expliquer notre position le plus factuellement possible, mais personne ne ressort satisfait de ce type de consultation.
Il peut même arriver que la seule vue du nom d’un patient sur l’agenda nous crispe ! Il faudrait probablement de nombreuses séances de psychothérapie pour comprendre l’origine de cette incompatibilité…
Une fois de plus (mes conclusions se suivent et se ressemblent !), ce sont la pratique et l’expérience qui nous permettent de progresser et de trouver la juste distance.
Les étudiants bénéficient, de nos jours, de séances de « jeux de rôle » filmées pour s’entraîner à gérer ces difficultés et apprendre à se comporter avec les patients. C’est une avancée, car, même s’il n’est pas possible de reproduire parfaitement la relation médecin-patient, cela permet d’admettre que la personnalité de ce dernier a probablement davantage d’influence sur nos pratiques qu’imaginé.