Lors de sa session « Quelles causes et conduites à tenir devant des vertiges ? » aux Journées nationales de médecine générale (JNMG), le Dr Didier Bouccara (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris) a abordé la maladie de Ménière, qui associe crises de vertiges, acouphènes et atteinte de l’audition portant sur les fréquences graves. Retour sur cette maladie de l’oreille interne et sur sa prise en charge.

 

La maladie de Ménière, généralement unilatérale, est une maladie de l’oreille interne (labyrinthe), structure anatomique dédiée à l’audition et à l’équilibre. La physiopathologie est discutée, mais des variations de la pression de l’endolymphe (faible volume de liquide y circulant) sont probablement en cause.

Diagnostic : priorité à la clinique

Le diagnostic requiert les 4 types de manifestations :

– des crises vertigineuses rotatoires durant au minimum 20 minutes, parfois plusieurs heures ;

– une hypoacousie, touchant surtout les fréquences graves, à identifier en audiométrie. Cette baisse peut précéder de plusieurs mois ou années les vertiges ;

– des acouphènes de tonalité plutôt grave, et s’accompagnant d’une sensation de plénitude de l’oreille atteinte ;

– des symptômes fluctuants qui varient d’un jour à l’autre, voire au cours d’une même journée.

En raison de cette diversité, la classification fait la distinction entre possible, probable ou définie ; la certitude exige une étude anatomo-pathologique de l’os temporal, mettant en évidence les lésions caractéristiques de l’hydrops.

Habituellement recommandée, l’IRM vise à éliminer une lésion évolutive (schwannome vestibulaire). En outre, des protocoles spécifiques semblent capables d’identifier des modifications caractéristiques de l’oreille interne.

Examens de l’audition

L’audiogramme peut être normal au début en dehors des vertiges. Quand une atteinte auditive apparaît, l’hypoacousie de perception (atteinte de l’oreille interne) se caractérise par l’aspect ascendant ou plat de la courbe audiométrique tonale, et son évolution fluctuante. Elle affecte régulièrement les fréquences graves jusqu’à 1 kHz, avec une perte de l’ordre de 30 à 50 dB durant les crises. Au stade initial, puis pendant de nombreuses années, l’audition s’améliore à la suite des crises. Plus tard, les fréquences aiguës sont aussi atteintes, le déficit audiométrique se stabilisant entre 40 et 60 dB de perte sur toutes les fréquences. Avec le temps, l’altération auditive perd son caractère réversible.

Symptômes associés, plénitude d’oreille et acouphènes parfois importants, de tonalité grave, peuvent rendre difficile l’évaluation précise des seuils auditifs. D’où l’intérêt de la corrélation des données de l’audiométrie tonale, qui mesure les seuils pour les sons, avec celles de l’audiométrie vocale, qui évalue la compréhension des mots.

Répéter le bilan auditif permet d’apprécier le retentissement sur la communication, de surveiller l’audition du côté non atteint, et dans certains cas de décider (ou non) de certains traitements locaux.

Épreuves vestibulaires

Tous les examens ne sont pas systématiques, mais certains sont très utiles à la fois pour confirmer le diagnostic et mesurer l’impact sur le système de l’équilibre.

La vidéonystagmographie (VNG) est réalisée en enregistrant les déplacements des yeux grâce à un système informatique, lors de différents tests de stimulation des capteurs de l’équilibre. La VNG explore principalement ceux localisés au niveau des canaux semi-circulaires. À cette occasion sont réalisées habituellement des épreuves rotatoires : le patient étant dans l’obscurité, l’examinateur fait tourner le fauteuil d’examen et enregistre la réponse au niveau oculaire. Normalement, lors de la rotation d’un côté, on observe un nystagmus : déplacement des globes oculaires dans le sens de la rotation du fauteuil. Au cours de la maladie, les réponses des 2 côtés peuvent être différentes.

Les épreuves caloriques consistent à réaliser une stimulation thermique en instillant de l’eau froide (30 °C) puis chaude (44 °C) durant 20 à 30 secondes, successivement dans chaque oreille, avec une pause de 5 minutes entre chaque test. En cas de perforation du tympan notamment, l’eau est remplacée par de l’air. Cela déclenche un nystagmus dont on comptabilise les secousses durant 30 secondes, pour chacun des 2 côtés, afin de mesurer et comparer la réflectivité vestibulaire.

Pour le test vibratoire osseux, la vibration au niveau de la mastoïde induit une stimulation brève (quelques secondes) à haute fréquence des capteurs de l’oreille interne. Son intérêt est de mettre en évidence une asymétrie entre les 2 côtés.

Le test d’Halmagyi (head impulse test) a pour but de vérifier que les capteurs jouent bien leur rôle de stabilisation du regard, lors de mouvements très rapides que l’examinateur déclenche en mobilisant la tête du patient, ce dernier fixant un point. L’examinateur contrôle, soit directement en observant les yeux soit à l’aide d’un système vidéo, que le regard est bien stable en permanence. En effet, en cas de lésion de l’oreille interne, un mouvement très rapide des globes oculaires, appelé saccade, peut apparaître. Ce test peut être tout à fait normal en dehors des crises, mais il est très utile lors du suivi pour mesurer l’évolution de l’atteinte des 3 canaux semi-circulaires. Il est rapide à réaliser, comparé aux épreuves caloriques.

Identifier des modifications pressionnelles

Les symptômes étant liés à des modifications de la pression de l’endolymphe, différents examens (électrocochléographie, admittancemétrie multifréquentielle, tests de déphasage acoustique) la mesurent de façon indirecte et mettent en évidence un hydrops endolymphatique et/ou une hyperpression dans ce compartiment liquidien. L’objectif de ces examens est de mesurer le retentissement fonctionnel.

Quel traitement

Il dépend de la sévérité des symptômes, en particulier vertiges et troubles de l’équilibre. Un certain nombre de conseils concernent le mode de vie : dans la mesure du possible, limiter le stress, ou du moins apprendre à mieux le gérer – une prise en charge psychologique peut être proposée – et réduire les apports en sel, mais sans régime désodé strict. Par ailleurs, on recherche des troubles du sommeil, notamment un syndrome d’apnées du sommeil.

La bétahistine est le traitement de fond (24 mg matin et soir pendant 3 mois, renouvelable) le plus prescrit en France. Contre-indications : asthme et ulcère gastroduodénal. Les diurétiques (acétazolamide) sont à proscrire en cas de lithiases au niveau des voies urinaires. Les corticoïdes sont utilisés, là aussi en respectant leurs contre-indications, par voie générale ou locale. Dans ce dernier cas, on peut injecter la dexaméthasone (3 fois en 3 à 10 jours) sous anesthésie locale, à travers le tympan. Cette solution est parfois proposée quand les symptômes restent importants et invalidants malgré les médicaments. Dans la majorité des cas, le traitement de fond réduit la fréquence et la sévérité des vertiges. Si crise aiguë : acétylleucine par voie orale ou injectable.

Si les symptômes ne sont toujours pas contrôlés (médicaments + rééducation vestibulaire), un traitement plus « radical » peut être envisagé. Il peut s’agir d’injections de gentamicine, là aussi par voie transtympanique, ou d’une intervention chirurgicale qui consiste à sectionner le nerf vestibulaire : neurotomie vestibulaire.

L’appareillage audioprothétique est à discuter selon l’importance de la perte auditive et des éventuels acouphènes.

Attention : les atteintes bilatérales sont rares. Si elles sont simultanées avec baisse auditive bilatérale rapidement évolutive et vertiges fréquents, on doit rechercher une pathologie auto-immune s’exprimant au niveau de l’oreille interne. Elle peut faire partie d’une maladie systémique (syndrome de Cogan, par exemple) ou être isolée.

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

À lire aussi :

Bouccara D. Maladie de Ménière.Rev Prat Med Gen 2020;34(1042);416-8.