À partir de quel niveau d’efficacité un vaccin est-il jugé recommandable ?
Cela dépend des circonstances. Une efficacité moyenne, entre 50 et 70 %, peut être considérée comme suffisante : par exemple le vaccin contre le choléra efficace à 60-65 % est largement recommandé par l’OMS comme outil de lutte contre les épidémies.
Dans cette pandémie de Covid-19, et tenant compte de la contagiosité importante du SARS-CoV-2, j’aurais tendance à dire qu’il faut viser des efficacités vaccinales bien plus hautes. Si vous avez une efficacité de 50 %, vous n’aurez au mieux que 50 % de la population protégée (en fait 30-40 %, en tenant compte des personnes qui ne se vaccinent pas), avec un risque de reprise de l’épidémie malgré la vaccination.
Idéalement, faudrait-il une efficacité > à 90 % ?
Théoriquement, si on voulait maîtriser l’épidémie simplement par la vaccination (en abandonnant les gestes barrières, le contact-tracing…), il faudrait un vaccin efficace à plus de 90 % (et les vaccins à ARN le sont), mais aussi une couverture vaccinale très élevée de la population, autour de 90 %. Mais attention, tout cela est théorique : je comprends bien qu’il sera difficile de vacciner 90 % de la population, jeunes et enfants compris.
En pratique, nous disposons en Europe aujourd’hui de vaccins efficaces, dont la balance bénéfice-risque est très favorable, en tout cas chez tout individu de plus de 30 ans. Avant cet âge, et particulièrement chez l’enfant, et en l’absence de facteur de risque, la question peut se poser avec certains vaccins…
Devant toutes ces polémiques autour d’AstraZeneca (manque de transparence, problèmes de tolérance, décisions politiques contradictoires), comment s’y retrouver ? Que doivent dire les généralistes à leurs patients ?
Oui, la communication a été catastrophique et les études parfois bancales…
Pour moi, la question n’est pas la tolérance, car les effets secondaires graves sont très rares, ni l’efficacité (> 70 % dans les essais cliniques, voire de 90 % sur les formes graves dans l’étude de vraie vie écossaise), mais sa capacité à protéger contre certains variants (mutation E484K retrouvée dans le variant sud-africain, brésilien…) qui semblent moins sensibles aux vaccins (et à AstraZeneca en particulier, selon une étude en Afrique du Sud).
Je pense qu’il faut dire la vérité aux patients : avec ce vaccin, vous serez protégés contre 90 % des souches qui circulent maintenant, et avec une efficacité très bonne sur les formes graves. D’un point de vue individuel, si aujourd’hui on a le choix entre le vaccin AstraZeneca ou rien, il faut choisir AstraZeneca ! En revanche, en termes de stratégie de lutte, je pense que si on ne met pas en place un système de contact-tracing solide, ces variants peuvent poser problème, même en Israël où déjà 50 % de la population est vaccinée avec Pfizer.
Que pensez-vous de la proposition d’espacer les 2 doses de vaccin à ARN (6 mois selon l’Académie de médecine) pour qu’un maximum de personnes puissent en bénéficier ?
L’idée était de sauver un maximum de gens, mais elle perd de son intérêt au fur et à mesure que la quantité de vaccins disponibles augmente. De plus, si les personnes sont partiellement protégées dans un contexte de forte circulation virale, il y a un risque majoré de sélection des variants.
Est-ce que la couverture vaccinale actuelle est suffisante pour permettre le déconfinement annoncé par le gouvernement ?
Les mesures prises il y a 3 semaines n’ont eu qu’un effet limité sur l’épidémie, le nombre de malades en réanimation reste très élevé, il est de 5 978 aujourd’hui par rapport à 5 100 début avril.
Il faut comprendre que la stratégie du gouvernement (et de plusieurs autres pays en Europe) n’est pas d’empêcher la transmission du SARS-CoV-2, mais de protéger les personnes les plus vulnérables tout en laissant le virus circuler. L’objectif est de « limiter la casse » pour que le nombre d’hospitalisations et de décès soit le maximum tolérable (ou que les Français jugent tolérable), avec un niveau de tolérance qui augmente au fur et à mesure. Aujourd’hui, avoir 6 000 patients atteints de Covid en réanimation (c’est-à-dire plus que le nombre total de places qu’on avait en réa il y a un an) et 300 morts par jour, c’est considéré comme normal. Mais 70 % des personnes âgées ayant été vaccinées, ces décès concernent maintenant des personnes plus jeunes. Depuis début décembre on a eu 50 000 morts par Covid, ce qui est équivalent au nombre de décès comptabilisés de mars à novembre 2020 (correspondant à la 1ère et 2e vagues). Les gens semblent s’habituer puisque on leur fait croire qu’on ne peut pas se débarrasser de ce virus… Pourtant il y a des pays qui s’en sortent et ont maîtrisé l’épidémie ! Même s’ils ont encore quelques cas, l’épidémie est à un niveau très bas et avec la vaccination, ils pourront arriver au « zéro Covid ».
Parlez-vous de la Chine ?
Oui, mais aussi du Japon, de la Corée, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande. Ces pays ont choisi des stratégies de lutte parfois différentes, mais tous ont mis en place un contact-tracing très performant pour bloquer la progression de l’épidémie, et tous ont mobilisé un grand nombre d’équipes sur le terrain pour aider les personnes à s’isoler. Interdire aux gens de sortir de chez eux n’est pas applicable si on ne les aide pas, en particulier pour organiser leur isolement et s’approvisionner en nourriture.
En France, l’Assurance maladie a mis en place un système de visites à domicile s’appuyant sur des infirmiers libéraux, mais aujourd’hui le niveau de l’épidémie est trop élevé : avec 30 000 personnes diagnostiquées chaque jour, il faut, en tenant compte de leurs contacts, suivre et accompagner 100 000 personnes par jour !
Et maintenant, au lieu de faire des efforts pour faire baisser le nombre de cas et rendre ce genre d’action possible, on relâche les mesures faisant en sorte que la population accepte un niveau de plus en plus haut de contaminations… Étonnant, non ?
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien