Troubles cardiovasculaires et tabagisme, premières causes de mortalité évitables

La schizophrénie est parmi les troubles mentaux sévères de l’adulte la pathologie mentale qui est associée à la plus forte réduction d’espérance de vie, environ 14 ans, ce phénomène étant principalement expliqué par les maladies cardiovasculaires.1 Environ 1 patient sur 4 a un syndrome métabolique, ce qui est 2 fois plus fréquent que dans la population française2 pour une population plus jeune, avec une incidence d’environ 6 % par an malgré les efforts portés sur le style de vie. Parmi les facteurs expliquant ce phénomène viennent en premier lieu le tabagisme (plus de 1 patient sur 2, avec des chiffres stables, contre moins de 30 % dans la population générale, avec des chiffres fortement en baisse),3 l’absence d’activité physique, la mauvaise alimentation et les antipsychotiques de seconde génération, ainsi que le moindre suivi en médecine générale.5 Traiter la dépression pourrait s’avérer l’une des stratégies les plus efficaces dans la prévention des troubles métaboliques.

Douleur physique, insuffisamment dépistée et traitée

Des études récentes ont montré que près de 1 patient schizophrène sur 5 avait des douleurs physiques modérées à sévères, et que la migraine jouait un rôle prépondérant parmi les causes somatiques.6 La présence d’une dépression majeure augmentait également le risque d’avoir des douleurs, avec une relation probablement bilatérale bien décrite dans les populations non schizophréniques. Près d’un tiers des patients avec schizophrénie ont une dépression, majoritairement non diagnostiquée et non traitée.7 La dépression dans la schizophrénie est associée à une diminution de la qualité de vie, qui pourrait passer par une diminution de la santé physique.8

Hypovitaminose D

Plus de 1 patient schizophrène sur 4 a une carence sévère en vitamine D.9 Cette carence a été associée à des niveaux de dépression, d’anxiété et de risque suicidaire plus élevés, alors que la supplémentation semblait améliorer ces troubles.10 La vitamine D est un modulateur de l’inflammation dont certaines fonctions restent inconnues, notamment au niveau du cerveau. Au vu du rapport bénéfice-­risque, il semble recommandé de supplémenter ces patients en vitamine D pendant les mois d’hiver ainsi que les patients ayant des symptômes anxiodépressifs. Le dosage n’est pas remboursé et n’est pas recommandé en dépistage courant.

Inflammation chronique de bas grade

Deux tiers des patients schizophrènes ont une inflammation chronique périphérique de bas grade, définie par une protéine C-réactive ultrasensible supérieure ou égale à 1 mg/L.11 Cette inflammation est associée à des troubles cognitifs accentués, à la résistance au traitement antipsychotique, au tabagisme, à la dépendance nicotinique, au surpoids, à l’exposition à des infections dans l’enfance (en particulier la toxoplasmose) et à l’effet de certains traitements psychotropes, parmi lesquels certains antipsychotiques.12-16 L’une des sources de cette inflammation pourrait provenir d’une perturbation du microbiote intestinal, qui aurait également un impact sur la symptomatologie.17 Les anti-inflammatoires ont montré leur efficacité dans la schizophrénie en ajout aux traitements antipsychotiques, notamment la N-acetyl-Cystéine (2 g/j), la minocycline (300 mg/j), le raloxifene (60 mg/j) et l'aspirine (1g/j).18

Cancer

Les patients tabagiques ayant une schizophrénie sont à risque de mortalité par cancer respiratoire, en particulier du poumon. Le dépistage du cancer n’est pas satisfaisant à ce jour chez les patients schizophrènes, le retard diagnostique est important, et ces patients meurent en moyenne 8 ans plus tôt que les patients sans trouble psychiatrique sévère.19 Il faut noter que ce résultat n’était pas expliqué par les comorbidités somatiques, et les différences de prise en charge étaient notées jusqu’au dernier mois de vie, les patients avec schizophrénie recevant plus de soins palliatifs et moins d’actes de haute intensité en fin de vie. Le développement de réunions de concertation pluridisciplinaires et d’une discipline spécialisée de la prise en charge conjointe oncologie-psychiatrie-fin de vie semble nécessaire au vu de ces résultats.

Traumatismes physiques violents

Les patients schizophrènes meurent plus fréquemment après une hospitalisation pour traumatisme physique violent (agression, accident de la route, chute) que les patients sans troubles psychiatriques sévères ;20 le caractère auto-infligé du traumatisme étant l’un des meilleurs facteurs prédictifs de mortalité à 30 jours.

Dysfonctions sexuelles

Plus de 40 % des patients atteints de schizophrénie rapportent des dysfonctions sexuelles, en premier lieu des troubles de l’érection chez l’homme et une baisse de libido chez la femme.21 La dépression, l’inflammation périphérique et les anticholinergiques ont été identifiés comme facteurs de risque en plus des antipsychotiques à forte affinité antidopaminergique (qui induisent une augmentation des taux de pro­lactine).

Quelle prévention ?

La mesure du tour de taille est le meilleur moyen précoce de dépister la survenue d’un syndrome métabolique et devrait être systématiquement réalisée chez tous les patients. Les normes sont un tour de taille < 94 cm pour les hommes et 80 cm pour les femmes.
Parmi les recommandations de prévention qui pourraient présenter les meilleurs rapports bénéfice-risque dans la schizophrénie, on peut citer :
– un régime anti-inflammatoire type régime méditerranéen22 et riche en protéines (1,5 g/kg/j de protéines) et en fibres (légumes frais, légumineuses), pauvres en sucres rapides, graisses saturées et produits transformés ;
– une supplémentation ponctuelle en oméga 3 et vitamine D (EPA > 1g/j et DHA > 400 mg/j), en cas de points d’appel (mauvaise alimentation, signes inflammatoires, surpoids, douleurs, signes digestifs) ;
– une activité physique de préférence aérobie (environ 150 min d’activité modérée répartie en 2 ou 3 séances, de préférence en groupe et sans notion de compétition) avec deux séances de renforcement musculaire par semaine ;
– un sevrage tabagique et le dépistage/traitement des comorbidités somatiques (en particulier la migraine, les autres douleurs et le syndrome métabolique).
Références
1. Correll CU, Solmi M, Veronese N, et al. Prevalence, incidence and mortality from cardiovascular disease in patients with pooled and specific severe mental illness: a large- scale meta-analysis of 3,211,768 patients and 113,383,368 controls. World Psychiatry 2017;16:163‑80.
2. Godin O, Leboyer M, Gaman A, et al. Metabolic syndrome, abdominal obesity and hyperuricemia in schizophrenia: Results from the FACE-SZ cohort. Schizophr Res 2015;168:388-94.
3. Mallet J, Le Strat Y, Schürhoff F, et al. Cigarette smoking and schizophrenia: a specific clinical and therapeutic profile? Results from the FACE-Schizophrenia cohort. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2017;79(Pt B):332‑9.
4. Atlas de la santé mentale en France. https://santementale.atlasante.fr/#c=home
5. Godin O, Leboyer M, Schürhoff F, et al. Predictors of rapid high weight gain in schizophrenia: Longitudinal analysis of the French FACE-SZ cohort. J Psychiatr Res 2017;94:62‑9.
6. Fond G, Boyer L, Andrianarisoa M, et al. Self-reported pain in patients with schizophrenia. Results from the national first-step FACE-SZ cohort. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2018;85:62-8.
7. Fond G, Boyer L, Berna F, et al. Remission of depression in patients with schizophrenia and comorbid major depressive disorder: results from the FACE-SZ cohort. Br J Psychiatry J Ment Sci 2018;213:464‑70.
8. Andrianarisoa M, Boyer L, Godin O, et al. Childhood trauma, depression and negative symptoms are independently associated with impaired quality of life in schizophrenia. Results from the national FACE-SZ cohort. Schizophr Res 2017;185:173‑81.
9. Fond G, Godin O, Schürhoff F, et al. Hypovitaminosis D is associated with depression and anxiety in schizophrenia: results from the national FACE-SZ cohort. Psychiatry Res 2018;270:104‑10.
10. Fond G, Faugere M, Faget-Agius C, et al. Hypovitaminosis D is associated with negative symptoms, suicide risk, agoraphobia, impaired functional remission, and antidepressant consumption in schizophrenia. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2019;269:879-86.
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