Définie communément comme la présence de tissu endométrial en dehors de la cavité utérine, l’endométriose touche environ 10 % de la population féminine en âge de procréer. Elle est donc un enjeu majeur de santé publique. Mieux connaître sa physiopathologie permet d’en améliorer le diagnostic.
Probablement mieux connue parce que mieux étudiée ces dernières années, cette pathologie ancienne, dont les premières descriptions remontent aux temps des pharaons, n’en demeure pas moins une maladie complexe et déroutante par bien des aspects.
De présentation protéiforme par excellence, l’endométriose ne répond pas, par définition, à une symptomatologie univoque, et nombreuses sont les situations où les praticiens sont pris en défaut. C’est bien là tout le défi de l’approche diagnostique de cette pathologie.
Les bases d’une consultation pour dysménorrhée bien menée, forte de bons réflexes et d’une connaissance actualisée, permettent de ne pas manquer le diagnostic (encadré).
Une femme sur 10 concernée
La prévalence actuelle de l’endométriose en France est difficile à mesurer, tant les biais sont importants : maladie sous- ou surestimée, patientes asymptomatiques.
On estime cependant que 10 % des femmes en âge de procréer sont atteintes d’endométriose, tous stades confondus, soit environ 2 millions de femmes en France et près de 190 millions de femmes dans le monde.1
Dans une publication récente de mars 2022, coordonnée par Santé publique France, l’incidence de l’endométriose prise en charge à l’hôpital sur la période 2011 - 2017 était estimée à près de 13 pour 10 000 patientes-années dans la tranche d’âge allant de 10 à 49 ans – chiffres globalement convergents avec ceux d’autres publications européennes.2
Si l’endométriose est classiquement décrite comme une pathologie des deuxième et troisième décennies de vie, son incidence chez les jeunes patientes ne doit pas être sous-estimée. Également difficile à appréhender, avec notamment un diagnostic posé tardivement, la fréquence de l’endométriose chez les adolescentes ne doit pas être considérée comme une exception. À titre d’exemple, Jansen et al. rapportent 62 % de cas d’endométriose objectivée par cœlioscopie en cas de dysménorrhée sévère et près de 75 % lorsque cette dysménorrhée est résistante aux traitements.3
Cette fréquence, élevée chez les femmes en âge de procréer, explique un coût important pour le système de santé français, évalué à environ 10 milliards d’euros par an.4
Comprendre la physiopathologie pour savoir l’expliquer aux patientes
Reflux menstruel « vaporisant » des fragments d’endomètre
La théorie du reflux tubaire, ou régurgitation menstruelle, reste à l’heure actuelle l’hypothèse physiopathologique la plus probante pour expliquer la présence, en dehors de la cavité utérine, de tissu endométrial. Ce reflux menstruel, médié par les contractions utérines et des trompes de Fallope perméables, véhicule vers la cavité pelvienne des fragments d’endomètre fonctionnel qui sont comme « vaporisés » au sortir des ostia tubaires sur l’ensemble des organes péritonisés. On comprend alors le caractère potentiellement ubiquitaire de cette pathologie, tout du moins au niveau de la cavité abdominale et du pelvis. Aucune règle ne régit cette « vaporisation », et donc les localisations multiples des lésions, si ce n’est la gravité et l’implantation préférentielle sur le torus et le culs-de-sac de Douglas ou la théorie des flux péritonéaux, capables d’expliquer la présence d’implants endométriosiques sous la coupole diaphragmatique droite. Ainsi, par gravité, plus de 90 % des lésions profondes se situent au niveau du compartiment postérieur du pelvis, et seulement 10 % dans le compartiment antérieur, au niveau de la vessie.5 Une fois régurgités puis vaporisés, ces fragments d’endomètre s’implantent sur le péritoine, s’infiltrent, envahissent les structures anatomiques sur lesquelles ils se sont « installés » et débutent une progression asynchrone aux côtés d’autres lésions parfois plus anciennes, déposées par des reflux préalables parfois plusieurs années auparavant. Ainsi, cohabitent, pour une même patiente, des lésions d’âges différents, répondant par ailleurs différemment aux traitements instaurés – les éléments jeunes, encore fonctionnels et glandulaires entraînant inflammation, fibrose, puis rétraction et adhérences.
Cette théorie du reflux tubaire, qui a l’avantage d’expliquer la répartition anatomique des lésions, est étayée par les facteurs de risque de l’endométriose, arguant une augmentation du risque corrélée au nombre de règles, et donc de régurgitations potentielles tout au long de la période d’activité génitale.
Autres hypothèses physiopathologiques
D’autres théories physiopathologiques ont été proposées, notamment pour expliquer les très rares localisations intraparenchymateuses de l’endométriose, au niveau pulmonaire ou cérébral, par exemple. Il s’agit là des théories de la métaplasie müllérienne, des emboles vasculaires et lymphatiques, ou des théories reposant sur l’implication de cellules souches endométriales ou de progéniteurs issus de la moelle osseuse.6 - 9
Le reflux menstruel ne peut cependant à lui seul expliquer cette greffe endométriale et l’invasion des tissus sous-jacents observées chez les patientes souffrant d’endométriose. Le reflux tubaire est un événement fréquent, bien plus que ne l’est l’endométriose. Il est probable que plusieurs phénomènes interviennent de pair avec le reflux dans la formation des lésions d’endométriose, comme l’inflammation, l’environnement, l’altération de l’immunité ou des facteurs génétiques.10,11
Classification : trois formes possibles
L’ancienne classification en stades doit être oubliée au profit d’une définition plus anatomique et morphologique des lésions, maintenant communément admise. Trois formes d’endométriose sont ainsi définies.
Endométriose superficielle
Première forme, elle se caractérise par la présence d’implant peu épais, inférieur à 5 mm par définition.
Endométriose ovarienne ou endométriome
Forme la plus fréquente, elle correspond à l’implantation au sein même de l’ovaire de ces fragments d’endomètre – implantation probablement favorisée par les brèches laissées par les ovulations précédentes. Ces fragments s’introduisent ainsi dans le cortex ovarien et s’enkystent. À chaque menstruation, et parce que ces implants sont soumis aux mêmes influences hormonales que l’endomètre eutopique, des « règles » entrappées dans l’ovaire se produisent, expliquant pas à pas la genèse des endométriomes.
Endométriose profonde
Par définition, l’épaisseur dépasse ici les 5 mm. L’implantation se localise préférentiellement au sein de la cloison recto-vaginale, de la vessie ou du rectum. Il s’agit souvent de lésions plus anciennes car plus épaisses, rendues solides et indurées.11
La composante glandulaire de ces lésions est souvent minoritaire, remplacée par une fibrose d’installation progressive, témoin des phases répétées d’inflammation.
Acquérir le réflexe diagnostique d’endométriose, solution à un impossible dépistage
La question du diagnostic de l’endométriose appelle deux considérations d’actualité, bien au-delà des signes cliniques de cette pathologie que chacun doit maintenant connaître. Il s’agit là des questions d’errance diagnostique et, en corollaire, de l’organisation des soins et des nouvelles filières en construction au sein de chaque région.
Réduire l’errance diagnostique : une priorité !
Classiquement évalué à sept ans, le délai entre l’apparition des premiers signes cliniques de l’endométriose et l’établissement du diagnostic est maintenant au centre de l’attention des pouvoirs publics, eux-mêmes stimulés par une prise de conscience collective, partagée entre médecins et patientes, qui considèrent inadmissible une telle période d’errance sans diagnostic. C’est dans ce contexte que la prise en charge de l’endométriose s’est considérablement modifiée ces dernières années, notamment grâce aux recommandations de la Haute Autorité de santé et du Collège national des gynécologues et obstétriciens (HAS-CNGOF), émises en 2017, ou encore à l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, présentée début 2022.11,12
La prise en charge de l’endométriose s’entend maintenant dans le cadre de filières de soins partant des praticiens qui suivent régulièrement les patientes jusqu’aux centres de troisième niveau, dans une vision organisée et hiérarchisée de l’offre de soins. Au sein de ce maillage, la place du médecin généraliste, bien souvent en première ligne, est donc prépondérante : la notion de « réflexe endométriose » est pour lui un prérequis indispensable, dès l’évocation d’une dysménorrhée.
En préambule à la description de symptômes du spectre de l’endométriose, deux principes complémentaires sont donc maintenant communément admis. D’abord, toute dysménorrhée doit faire rechercher les autres signes d’endométriose. Ensuite, toute dysménorrhée n’est pas synonyme d’endométriose. Cette dernière notion est fondamentale afin d’éviter un surdiagnostic, tout aussi délétère que l’errance. Il est admis que 40 % des femmes en période d’activité génitale décrivent des menstruations douloureuses sans pour autant qu’une endométriose soit systématiquement sous-jacente.
Signes cliniques à rechercher : la règle des « 5D »
Le spectre des signes cliniques de l’endométriose s’étend à l’ensemble des organes du pelvis, et il est classique d’en résumer les principaux par la règle des « 5D » (tableau).
Dysménorrhée
La dysménorrhée intense, avec une échelle visuelle analogique (EVA) évaluée supérieure à 7, est présente dans la majorité des cas et correspond essentiellement à la douleur ressentie lors de la contraction utérine – contraction elle-même ressentie comme plus intense dans un climat d’hypersensibilité pelvienne. Cette dernière est une conséquence possible de l’évolution chronique de la pathologie endométriosique.
Dyspareunie
La dyspareunie reliée à l’endométriose est décrite comme balistique, profonde et positionnelle. Ce signe, traduit lors de l’examen clinique par le réveil d’une douleur localisée dans le cul-de-sac vaginal postérieur, évoque la présence de lésions, tant profondes que superficielles, siégeant au niveau du cul-de-sac de Douglas, de la cloison rectovaginale, du vagin lui-même, du torus ou des ligaments utérosacrés. Les rapports sexuels sont ainsi perçus comme douloureux, en profondeur, obligeant la patiente et son partenaire à modifier leur position, voire parfois à cesser l’acte. La douleur peut également se poursuivre en post-coïtal, notamment du fait de la rémanence des mécanismes de la douleur ou parfois des contractions musculaires générées par un orgasme survenant dans un contexte de pelvis inflammatoire.
Douleur à la défécation
Elle traduit l’existence de lésions à la frontière des compartiments moyen et postérieur, en arrière de l’utérus et en avant du rectosigmoïde. Il peut s’agir soit des mêmes lésions responsables de dyspareunie, soit de lésions plus intimes avec le tube digestif. Ainsi une localisation digestive, superficielle ou profonde, peut se voir stimulée par le passage des selles, créant de facto une algie parfois intense pouvant aller jusqu’à la lipothymie.
L’alternance diarrhée-constipation s’associe fréquemment à une douleur à la défécation, de même que la rectorragie, qui doit être systématiquement recherchée.
Douleur à la miction
La douleur en urinant fait suspecter une atteinte vésicale, associée ou non à des épisodes d’hématurie. Il s’agit là possiblement d’un des signes les plus déroutants de l’endométriose avec de nombreuses situations où cette dernière est confondue avec des épisodes de cystite répétés. Un examen cytobactériologique des urines (ECBU) négatif, une répétition des crises algiques malgré des traitements supposés adéquats ou l’association avec d’autres signes du spectre endométriosique doivent faire considérer la possibilité d’une atteinte vésicale par une endométriose superficielle ou profonde.
Douleur pelvienne chronique
En dehors des règles, la douleur pelvienne chronique, parfois mal systématisée, traduit la possibilité d’atteinte multi-site de l’endométriose et souligne le caractère chronique des symptômes, loin d’être uniquement cataménial.
Autres signes éventuels
À ces cinq grands symptômes s’ajoutent des signes moins fréquents :
- une scapulalgie, préférentiellement droite et surtout lorsqu’elle est cataméniale, témoigne d’une atteinte diaphragmatique ;
- des douleurs pariétales peuvent être secondaires à une localisation pariétale sur d’anciennes cicatrices (césarienne, épisiotomie, cœlioscopie…), la localisation ombilicale, parfois visible sous forme d’un nodule sombre avec l’apparition d’épisodes de saignements cataméniaux, est une particularité qu’il convient de connaître ;
- une lombosciatique peut traduire un nodule profond s’insinuant près de la lame sacro-recto-génitale ou des racines du nerf sciatique ;
- enfin, la dysurie, qui correspond à la difficulté à vider la vessie, symptôme distinct de la douleur à la miction, témoigne parfois d’une atteinte profonde postérieure, uni- ou bilatérale.
Nécessité de quantifier la douleur
Un interrogatoire bien mené, orienté initialement par la présence de dysménorrhée, doit rechercher a minima les 5D et traduire l’intensité de la douleur en valeur quantifiable, permettant ainsi le suivi de l’évolution des symptômes post-traitement notamment. L’EVA, quantifiant les douleurs avec un curseur sur une règle graduée de 0 à 10, est un outil simple et facilement utilisable en consultation. L’échelle numérique simple (ENS) dispense de l’utilisation d’une règle, demandant à la patiente d’exprimer l’intensité ressentie de 0 à 10 également.
Examen clinique
Il est ensuite recommandé de procéder à l’examen clinique dans le respect des patientes, après explication, demande et accord. Il recherche, tout en écartant les diagnostics différentiels, des nodules bleutés, signes d’endométriose vaginale au niveau du cul-de-sac postérieur ou une induration ou algie du cul-de-sac de Douglas, témoins d’une localisation postérieure.
Évaluer le retentissement sur la qualité de vie
Le spectre clinique de l’endométriose ne se cantonne pas au cadre des douleurs mais s’étend bien au-delà, avec des répercussions possiblement majeures qui dépassent ainsi le champ pur de la gynécologie. L’asthénie, conséquence de l’inflammation généralisée, l’absentéisme scolaire, universitaire et professionnel, avec les pertes possibles d’opportunités qui en découlent, et la dépression inhérente aux maladies chroniques sont autant de signes indirects qu’il convient d’identifier, dans une vision globale de la prise en charge de ces patientes. La qualité de vie doit ainsi être abordée et évaluée au même titre que la douleur.
Absence de profil type
La difficulté du diagnostic réside également dans le fait qu’il n’y a pas de profil type de l’endométriose et que, en fonction de l’âge et de la localisation des lésions, les tableaux cliniques sont nombreux, soulignant ainsi le caractère protéiforme de cette maladie. Il est important de rappeler ici l’absence de corrélation entre l’étendue des lésions et l’intensité des douleurs.
Même incomplet ou encore associé à un symptôme peu commun, un tableau de douleur pelvienne complexe, par opposition à une dysménorrhée isolée sans traitement, doit faire évoquer l’endométriose par ce fameux « réflexe » qu’il convient maintenant d’avoir. Notons qu’il n’y a pas lieu, selon les recommandations actuelles, d’explorer une dysménorrhée isolée, bien contrôlée par les traitements hormonaux, sans autre symptôme associé et sans désir de grossesse.11 Nonobstant, une dysménorrhée, même isolée, rebelle aux traitements (hormonaux ou antalgiques) doit faire évoquer une possible endométriose.
Gare aux diagnostics différentiels ou associés !
Une vigilance doit être portée sur les diagnostics différentiels des douleurs abdomino-pelviennes, et ceci en particulier une fois le diagnostic d’endométriose posé, pour éviter d’attribuer à tort à l’endométriose un tableau clinique en rapport avec une appendicite aiguë, une colique néphrétique ou encore une occlusion sur endométriose digestive. L’endométriose ne doit ainsi pas être l’arbre qui cache la forêt !
Pour en savoir plus
- MOOC national endométriose et sites internet des filières régionales de lutte contre l’endométriose.
- Recommandations HAS-CNGOF aux médecins généralistes, décembre 2017 : pistes de lecture et tableaux synoptiques.
- Ressources sur sante.fr pour compléter les informations données à vos patientes en fonction de la chronologie de leur parcours endométriose.
- Ressources websérie endAURA pour compléter les informations données à vos patientes en fonction de la chronologie de leur parcours endométriose.
2. Santé publique France. Épidémiologie de l’endométriose prise en charge à l’hôpital en France : étude de 2011 à 2017. Mars 2022.
3. Janssen EB, Rijkers ACM, Hoppenbrouwers K, et al. Prevalence of endometriosis diagnosed by laparoscopy in adolescents with dysmenorrhea or chronic pelvic pain: A systematic review. Hum Reprod Update 2013;19(5):570-82.
4. Simoens S, Dunselman G, Dirksen C, et al. The burden of endometriosis: Costs and quality of life of women with endometriosis and treated in referral centres. Human Reprod 2012;27(5):1292-9.
5. Chapron C, Chopin N, Borghese B, et al. Deeply infiltrating endometriosis: pathogenetic implications of the anatomical distribution. Hum Reprod Oxf Engl 2006;21(7):1839-45.
6. Batt RE, Smith RA, Buck Louis GM, et al. Müllerianosis. Histol Histopathol 2007;22(10):1161-6.
7. Batt RE, Yeh J. Müllerianosis: Four developmental (embryonic) mullerian diseases. Reprod Sci Thousand Oaks Calif 2013;20(9):1030-7.
8. Hufnagel D, Li F, Cosar E, et al. The Role of Stem Cells in the Etiology and Pathophysiology of Endometriosis. Semin Reprod Med 2015;33(5):333-40.
9. Jerman LF, Hey-Cunningham AJ. The role of the lymphatic system in endometriosis: A comprehensive review of the literature. Biol Reprod 2015;92(3):64.
10. Vercellini P, Viganò P, Somigliana E, et al. Endometriosis: Pathogenesis and treatment. Nat Rev Endocrinol 2014;10(5):261-75.
11. HAS, CNGOF. Recommandation de bonne pratique. Prise en charge de l’endométriose. Décembre 2017.
12. Ministère des Solidarités et de la Santé. Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose. Février 2022.