D’après une étude publiée en 2020, 7,5 % des jeunes adultes déclarent avoir été victimes au moins une fois de violences physiques avant l’âge de 18 ans.1 Et, selon l’Observatoire national de la protection de l’enfance, 120 infanticides sont recensés chaque année en France.À ces violences physiques à l’issue parfois dramatique s’ajoutent les violences psychologiques, plus insidieuses et d’autant plus difficiles à identifier mais dont le retentissement est tout autant gravissime. Or, seuls 5 % des signalements* émanent de médecins et 0,5 % de généralistes. 

Le médecin de famille entretenant des liens étroits avec ses patients, rédiger une information préoccupante (IP) peut, en effet, être un acte émotionnellement difficile. Pourtant, cela ne devrait pas être vécu comme une punition mais plutôt comme une opportunité pour apporter de l’aide et protéger un mineur (par nature vulnérable). Rappelons que ce n’est surtout pas au médecin de juger si l’enfant est en danger ou non, il s’agit de transmettre son inquiétude ; charge ensuite aux travailleurs sociaux et/ou autorités judiciaires d’évaluer la situation et de prendre une décision en conséquence (aides éducatives, accueil en crèche, soins, médiation… voire, à l’extrême, placement).

Par ailleurs, le praticien peut craindre que la levée du secret ne compromette son intégrité. Car, si le Conseil d’État stipule bien qu’un « médecin ne peut être poursuivi devant les juridictions disciplinaires à raison d’un signalement de maltraitance d’un mineur lorsqu’il a fait son signalement conformément aux termes de la loi et qu’il a agi de bonne foi »,3 trois affaires récentes nous rappellent que rien n’est aussi simple : ainsi, des condamnations ordinales ont été prononcées « pour immixtion dans les affaires de famille » et violation du secret professionnel, allant jusqu’à plusieurs mois d’interdiction d’exercer. Le Conseil d’État a secondairement annulé certaines de ces condamnations, mais plusieurs procédures d’appel restent en cours.

A contrario, le médecin peut-il être poursuivi pour ne pas avoir transmis ses inquiétudes ? Le secret médical est notamment protégé par l’article 434 - 3 du code pénal excluant les personnes assignées au secret professionnel de l’obligation générale de dénoncer les violences infligées à un mineur. Aucune poursuite pénale ni disciplinaire n’est donc possible au seul motif que le médecin n’aurait pas signalé un cas de maltraitance sur enfant, ce choix résultant de sa liberté de conscience. Néanmoins, l’article 223 - 6 du code pénal sanctionne la non-assistance à personne en danger, obligation qui incombe à chacun.

De cette opacité naît une évidente réticence des médecins à transmettre leurs inquiétudes. Comment les y aider ?

Le Conseil de l’Europe vient d’adopter une recommandation visant à renforcer les systèmes nationaux de signalement des cas de violence à l’encontre des enfants à l’intention des professionnels.4 En France, se pose la question de rendre obligatoire pour les médecins le signalement à l’autorité judiciaire* de toute maltraitance sur mineur. Mais dix tentatives de proposition de loi en ce sens ont déjà échoué… Est-ce d’ailleurs la bonne solution ? Former et informer ne serait-il pas plus productif ? Impliquer les médecins généralistes dans la création d’outils de repérage et de circuits d’information ne serait-il pas plus pertinent ? 

* Il existe deux niveaux de transmission :

- l’IP auprès de la CRIP (autorité administrative) en cas de danger ou risque de danger pour la santé, la sécurité ou la moralité ou en cas de conditions d’éducation ou de développement gravement compromises ou en risque de l’être ;

- le signalement auprès du procureur de la République (autorité judiciaire) lorsque des sévices ou privations sont constatés.

En pratique, prendre conseil auprès du médecin ou d’un travailleur social (partage du secret professionnel autorisé dans ce cadre) de la CRIP permet une décision partagée. Il est aussi possible de contacter l’UAPED hospitalière la plus proche.Enfin, il est essentiel d’agir en transparence avec les parents, sauf intérêt contraire de l’enfant (article L226 - 2 - 2 du code de l’action sociale et des familles).

Références
1.Charruault A. et al. « Les violences sur mineur·e·s dans la famille et son entourage », in Brown et al. (dir.), Violences et rapports de genre. Enquête sur les violences de genre en France. Paris : INED éditions ; 2020.
2. https://vu.fr/NfYJX
3. https://vu.fr/OpsIi
4. https://vu.fr/Xfpvo
5. https://vu.fr/FdIec