La drépanocytose est une hémoglobinopathie qui conduit à une anémie hémolytique chronique et à des épisodes vaso-occlusifs. Transmise sur le mode autosomique récessif, c’est la maladie génétique la plus fréquente en France et dans le monde. Elle fait partie des affections de longue durée (liste des ALD 30).

Pour une prise en charge précoce coordonnée

Depuis 2000, la drépanocytose fait l’objet d’un dépistage néonatal généralisé sur tout le territoire français. Il est ciblé en métropole (parents originaires de régions à risque) et systématique en outre-mer. Cela permet une prise en charge la plus précoce possible.

Quelques chiffres

Selon une étude de 2016, la drépanocytose concernait entre 19 800 et 32 400 patients en France.1 Son incidence est en constante augmentation : en 2019, 1 nouveau-né était atteint pour 1 303 testés contre 1 sur 2 089 en 2009.
En 2019, 586 naissances d’enfants drépanocytaires ont été recensées en France, dont plus de la moitié dépistés en Île-de-France.²

Parcours de soins coordonné : le médecin traitant, maillon essentiel

L’un des enjeux majeurs de ce dépistage est d’organiser la prise en charge de l’enfant dans un parcours de soins dédié : suivi hospitalier dans un centre de référence ou de compétence, circuit d’urgence, accompagnement psychosocial et suivi extrahospitalier.3
La prise en charge repose en partie sur des mesures préventives, mises en place avant l’apparition des premiers symptômes. Les complications (infections et séquestration splénique) mettant en jeu le pronostic vital peuvent en effet survenir dès l’âge de 3 mois, et de manière inaugurale. Des mesures d’éducation sont également nécessaires afin de permettre à la famille, puis au patient lui-même, de développer des compétences dans la gestion quotidienne de la maladie. Le Protocole national de diag­nostic et de soins (PNDS) précise ces mesures.4
Le médecin généraliste est un maillon essentiel du suivi coordonné ville-hôpital. Il participe à la mise en œuvre et à l’accompagnement des mesures spécifiques de prévention et d’éducation qui contribuent à l’amélioration de la survie et de la qualité de vie du patient.
Il s’assure de la régularité du suivi spécialisé hospitalier (en général 2 à 4 consultations par an et un bilan annuel en hôpital de jour).
Il est donc essentiel qu’il soit informé régulièrement par ses confrères hospitaliers : comptes-rendus de consultations et d’hospitalisations, notes dans le carnet de santé...

Prévention du risque infectieux

La susceptibilité aux infections fait toute la gravité de la maladie pour les jeunes enfants et justifie la mise en place précoce des mesures de prévention. Ce sont les germes encapsulés qu’il faut particulièrement craindre, du fait de l’asplénie fonctionnelle : principalement les infections invasives à pneumocoque, mais aussi à Haemophilus influenzae, à méningocoques et salmonelles, responsables de tableaux invasifs sévères, de localisations variées, et potentiellement fulminants. La prévention de ce risque passe par deux mesures simples et essentielles.

Antibioprophylaxie

Dès l’âge de 2 mois, une antibioprophylaxie par pénicilline V doit être introduite : Oracilline 100 000 UI/kg/j en deux ou trois prises jusqu’à 10 kg, puis 50 000 UI/kg/j. Ce traitement est pour­suivi jusqu’à l’âge de 15 ans pour la plupart des équipes hospitalières spécialisées.

Schéma de vaccination renforcé

Outre le calendrier vaccinal habituel (vaccins obligatoires, vaccin antituberculeux, vaccin contre le Covid-19 pour les plus de 12 ans), des mesures spécifiques sont nécessaires contre le pneumocoque, les méningocoques et la grippe (encadré 1).
Certaines équipes hospitalières ou de protection maternelle et infantile (PMI) proposent un calendrier qui peut aider le praticien (tableau).

Gestion des crises vaso-occlusives

Pour éviter la survenue de crises vaso-­occlusives (CVO), les facteurs déclenchants doivent être connus : exposition au froid, altitude, voyages en avion, stress, infection, déshydratation.
Il est important de s’assurer que le patient et/ou son entourage maîtrise l’utilisation des antalgiques (encadré 2)6 et les critères devant amener à consulter aux urgences en cas de CVO.
La CVO grave est ainsi définie par plusieurs critères :
– caractère multifocal (≥ 3 localisations) ;
– CVO à risque d’hypoventilation ;
– signes respiratoires ;
– fièvre élevée > 38,5 °C ou signes inflam­matoires locaux ;
– signes évocateurs d’anémie aiguë ;
– signes neurologiques ;
– durée de la CVO > 48 heures ;
– échec des antalgiques (bien pris) à domicile.

Symptômes d’alerte à connaître

Il est important de connaître et de vérifier que les parents savent repérer les signes qui doivent faire adresser leur enfant aux urgences (encadré 3).
Le service d’urgence doit être celui de proximité et, si possible, désigné dès le début de la prise en charge.

Reconnaissance des signes d’anémie aiguë

Il est fondamental que parents et médecin traitant connaissent le taux d’hémoglobine de base de l’enfant. L’aggravation aiguë d’une anémie chronique peut en effet entraîner un risque vital.
Cliniquement, cela se traduit par une pâleur (paumes des mains et des pieds, conjonctives), un essoufflement inhabituel, une fatigabilité accrue, une perte d’appétit ou une somnolence. Il est recommandé d’être particulièrement vigilant vis-à-vis de l’augmentation du volume de la rate ou de l’abdomen car ils peuvent révéler une séquestration splénique aiguë.

Rare mais grave : l’hyperhémolyse post-transfusionnelle retardée

L’hyperhémolyse post-transfusionnelle retardée (DHTR) est une complication rare mais qui peut engager le pronostic vital. Elle doit être connue du médecin, du patient et de son entourage. En effet, la majorité des patients drépanocytaires ont à subir, au moins une fois, une transfusion, en urgence, dans le cadre de traitements réguliers, ou en préparation à une anesthésie. La DHTR se caractérise par une chute brutale du taux d’hémoglobine. Une nouvelle transfusion pourrait aggraver cette chute. Il est donc important de savoir l’évoquer, d’autant plus qu’elle peut cliniquement ressembler à une crise vaso-occlusive. Ainsi, toute CVO survenant dans les trois à quinze jours suivant une transfusion doit alerter, surtout si elle est associée à des signes cliniques d’hémolyse.

Préparation d’un voyage

Les voyages, en particulier dans les régions tropicales, exposent les jeunes patients drépanocytaires à des risques sanitaires, notamment infectieux. Ils doivent donc être anticipés et préparés, idéalement se dérouler dans une période stable de la maladie et à distance d’une complication sévère. Ils nécessitent une consultation dans le centre hospitalier de suivi habituel et une consultation dans un centre de vaccinations internationales, au minimum trois mois à l’avance.
Les séjours en altitude au-delà de 1 500 m sont contre-indiqués, tout comme les activités en eau froide et la pratique de la plongée.
Une fiche pratique, réalisée par le Groupe de pédiatrie tropicale, spécifique au voyage de l’enfant drépanocytaire a été actualisée en décembre 2020.7

Vaccinations complémentaires

Outre la mise à jour du calendrier habituel, certains vaccins peuvent être recommandés, en fonction de la destination : vaccins contre la fièvre typhoïde (à partir de l’âge de 2 ans), contre l’hépatite A (à partir de l’âge de 12 mois), et contre la rage dans certaines conditions de séjour. Le vaccin contre la fièvre jaune est quant à lui obligatoire à partir de 9 mois pour la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et en Guyane.

Prophylaxie antipaludique

À titre individuel, les patients drépanocytaires ne sont pas protégés contre le paludisme (risque important de CVO et d’anémie aiguë). La prophylaxie anti­paludique est donc indispensable dans les zones d’endémie, de même que les mesures de protection antivectorielle.

Accueil en collectivité et scolarité

Dès le premier accueil en collectivité (crèche, halte-garderie, école), un projet d’accueil individualisé (PAI) est mis en place. Habituellement rempli par le médecin hospitalier, il doit permettre de faciliter l’accueil de l’enfant malade. Il décrit le traitement médical, le protocole d’urgence, les aménagements et ressources nécessaires à l’accueil de l’enfant.
Des difficultés scolaires peuvent survenir, dues à l’absentéisme lié à des hospitalisations, à la fatigabilité liée à l’anémie chronique, voire à une vasculopathie cérébrale silencieuse. Il s’agit donc de les anticiper. En particulier, un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) peut aider l’enfant dans ses apprentissages. Il intervient dans la classe, aide l’élève à suivre, à comprendre et à réaliser le travail demandé sous la responsabilité pédagogique de l’enseignant. Son attribution n’est possible que si l’enfant bénéficie d’un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

Prestations sociales

Pour soutenir les familles dans la prise en charge de leur enfant, un certain nombre de dispositions peuvent être prises : allocation, exonération des frais, congés spéciaux (encadré 4).6

Diagnostic anténatal

Concernant les parents d’enfants drépanocytaires, le médecin généraliste est le mieux placé pour interroger les projets conjugaux de grossesse. Idéalement, le sujet doit être abordé avant la conception. À cette occasion, le mode de transmission génétique (autosomique récessif) est expliqué.
Un diagnostic prénatal est proposé aux couples à risque : en cas de potentiel syndrome drépanocytaire majeur sévère (essentiellement hémoglobine S/S et S/β0), le diagnostic prénatal est proposé au mieux avant douze semaines d’aménorrhée (par biopsie de trophoblaste), lors d’une consultation de conseil génétique. Une éventuelle interruption médicale de grossesse est alors discutée.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.

Encadre

1. Spécificités du calendrier vaccinal de l’enfant drépanocytaire, hors rattrapage et voyage

Pneumocoque :

Vaccin conjugué 13-valent (Prevenar 13) à 2, 3 et 4 mois et rappel à 11 mois.

Vaccin polyosidique 23-valent (Pneumovax) à 24 mois et une dernière dose cinq ans après.

 

Méningocoques :

 

Pour les méningocoques ACYW : Neisvac (C) à l’âge de 5 mois, puis Nimenrix (ACYW) à 12 mois et rappel de Nimenrix six mois après et tous les cinq ans, comme recommandé par le Haut Conseil de la santé publique5 ou Nimenrix (ACYW) dès l’âge de 6 semaines, deuxième dose deux mois après, puis rappel à 12 mois et tous les cinq ans.

Pour le méningocoque B : Bexsero à 3 et 5 mois et rappel à 15 mois (ce vaccin bénéficie depuis juin 2021 d’une recommandation en population générale pour les nourrissons).

 

Grippe :

 

Vaccin tétravalent dès l’âge de 6 mois : deux doses espacées d’un mois pour la primovaccination (jusqu’à l’âge de 9 ans), puis une dose annuelle.

Encadre

2. Maniement des antalgiques lors d’une CVO (réf. 6)

Paracétamol : 30 mg/kg lors de la première prise à partir de 1 an, puis 15 mg/kg toutes les six heures sans dépasser 1 g par prise.

Si algie persistant plus de 30-40 minutes et en l’absence de déshydratation : ibuprofène (10 m/kg/8 h ou 7,5 mg/kg/6 h sans dépasser 400 mg/prise) en alternance avec paracétamol, toutes les six heures.

En cas de douleurs très intenses : tramadol (1 à 2 mg/kg/toutes les 6 heures sans dépasser 8 mg/kg/j : 1re prescription hospitalière).

Hyperhydratation en même temps+++ (per os si possible : 2 L/m3/j).

Codéine à partir de 12 ans (en association avec le paracétamol).

Encadre

3. Signes cliniques imposant une consultation hospitalière en urgence chez l’enfant drépanocytaire

Fièvre > 38,5 °C chez un enfant de moins de 3 ans ou mal supportée

Fièvre > 39,5 °C quel que soit l’âge

Fièvre avec signes de gravité

Fièvre chez un patient splénectomisé

Altération de l’état général

Vomissements répétés

Signes d’anémie aiguë : apparition brutale d’une pâleur (conjonctives, paumes des mains et plantes des pieds), d’une fatigue ou d’une altération de l’état général

Augmentation brutale du volume de la rate ou de l’abdomen

Apparition brutale d’une anomalie neurologique, même transitoire

Priapisme

Douleur ne cédant pas à un traitement antalgique de paliers I et II

Signes de détresse respiratoire

Crise vaso-occlusive survenant dans les deux à trois semaines après une transfusion (risque d’hémolyse retardée post-transfusionnelle).

Encadre

4. Prestations sociales pour l’enfant drépanocytaire

ALD (affection de longue durée) pour syndrome drépanocytaire majeur : cette prestation, attribuée dès la confirmation diagnostique, permet l’exonération des soins en rapport avec la maladie. Le dossier initial est rempli par le pédiatre hospitalier du centre de référence ou de compétence.

AEEH (allocation d’éducation de l’enfant handicapé) : non soumise à des conditions de ressources, son attribution est coordonnée par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Congé de présence parentale : si la maladie s’aggrave, un parent peut se trouver obligé de suspendre son activité salariée. Ce congé est attribué sans condition d’ancienneté pour une période maximale de 310 jours ouvrés, par enfant et par maladie, accident ou handicap. À la place de sa rémunération, il perçoit l’allocation journalière de présence parentale (AJPP). Le salarié peut, avec l’accord de son employeur, transformer le congé en période d’activité à temps partiel ou le fractionner par demi-journée. Le montant de l’AJPP est alors modifié en conséquence.

Références

1. Leleu H, Arlet JB, Habibi A, et al. Epidemiology and disease burden of sickle cell disease in France: A descriptive study based on a French nationwide claim database. PLoS One 2021;16(7):e0253986.
2. Brousse V, Allaf B, Benkerrou M. Dépistage néonatal de la drépanocytose en France. Med Sci (Paris) 2021;37:482-90.
3. Allaf B, Couque N, de Montalembert M. Dépistage néo­natal de la drépanocytose et filières d’organisation des soins. Rev Prat 2019;69(4):411-6.
4. HAS. Syndromes drépanocytaires majeurs de l’enfant et de l’adolescent. Protocole national de diagnostic et de soins pour une maladie rare. Janvier 2010. Disponible sur : https://bit.ly/2GX4dld
5. HCSP. Recommandations pour la vaccination des personnes immunodéprimées ou aspléniques. Décembre 2014.
6. Odièvre MH, Niakaté A, Quinet B, et al. Drépanocytose de l’enfant. Rev Prat Med Gen 2019;1017:191-6.
7. Groupe de pédiatrie tropicale, Société française de pédiatrie. Voyage de l’enfant drépanocytaire. Décembre 2020. Disponible sur : https://bit.ly/3mW5gGI
Et, pour en savoir plus : De Montalembert M, Allali S, Brousse V, et al. La drépanocytose de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Elsevier; 2020.

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essentiel

L’enfant drépanocytaire doit bénéficier d’une prise en charge pluriprofessionnelle coordonnée spécifique et précoce.

Le médecin généraliste est un maillon essentiel du parcours de soins pour une prise en charge plurielle de l’enfant drépanocytaire.

L’éducation et la prévention sont deux piliers de la prise en charge : l’enfant et son entourage doivent connaître les facteurs déclenchant les CVO, les symptômes d’alerte devant faire consulter en urgence et les mesures préventives indispensables.

La connaissance du taux d’hémoglobine de base du patient drépanocytaire est fondamentale.