Chacun a le devoir de dénoncer les violences quand il pense en être témoin.
La maltraitance est définie par le non-respect des droits et des besoins fondamentaux de l’enfant : sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation, son développement physique, affectif, intellectuel et social (article 375 du Code civil). Un mineur est en danger si les conditions de son éducation ou de son développement sont gravement compromises ou risquent de l’être. Depuis la loi du 5 mars 2007, la notion de danger prime celle de maltraitance, ouvrant la voie à la prévention.

Fréquente et sous-estimée

Dans les pays à haut revenu, la maltraitance toucherait 15 % des enfants. Elle est précoce et chronique. Les tout-petits sont particulièrement vulnérables aux violences physiques. Pourtant, l’opinion publique, dont bon nombre de médecins, considère que c’est un phénomène rare touchant majoritairement des familles défavorisées. Ce déni collectif est renforcé par l’absence de données : il est impossible de déterminer précisément le nombre d’enfants subissant des violences intra-familiales et décédés pour cette raison.
En France, les homicides de nourrissons de moins de 1 an seraient d’au moins 250 par an ; on compte 200 syndromes du bébé secoué. D’après l’enquête de l’Enfant bleu (2017), 22 % des jeunes adultes auraient été victimes de maltraitance (proportion à peu près égale de violences physiques, psychologiques ou négligences répétées). Une femme sur 5 et 1 homme sur 13 disent avoir subi des abus sexuels dans leur enfance.
La famille, premier lieu de socialisation et de protection des enfants, est aussi celui où s’exercent les violences. Plus de 80 % des mauvais traitements sont infligés par les parents, hors violences sexuelles faites aussi par des connaissances ou un autre membre de la famille.
La maltraitance touche toutes les classes sociales. C’est essentiellement une pathologie de l’attachement précoce. La prématurité est un des principaux facteurs de risque, par les hospitalisations néonatales qu’elle induit et l’éventuelle blessure narcissique des parents.
Autres situations à risque :
– chez l’enfant : troubles du développement et/ou du comportement, handicap ;
– chez les parents : tout événement ren-dant difficile l’attachement (dépression du post-partum), violences subies dans l’enfance ou conjugales, addictions, iso-lement social et surtout moral, troubles psychopathologiques.
Outre les conséquences somatiques, parfois gravissimes, voire vitales (traumatismes cérébraux), la maltraitance entrave le développement de la victime, sa scolarité, sa socialisation. Elle peut induire dès le plus jeune âge : troubles paniques, alimentaires, du sommeil, délinquance, conduites à risque ou antisociales, dépendance, dépression, repli sur soi, idées suicidaires…

Quand s’inquiéter ?

Il faut toujours y penser, même devant des signes non spécifiques.
Sont évocatrices des lésions traumatiques (ecchymoses, brûlures, fractures, etc.) qui ne paraissent pas cohérentes avec l’âge, le niveau de développement et le mécanisme invoqué, ou quand l’explication change selon le moment ou la personne interrogée. Il faut être vigilant devant des modifications du comportement habituel de l’enfant (troubles du sommeil, cauchemars, agressivité, attitude craintive ou d’opposition, anorexie, boulimie...), si les parents parlent à sa place, lui manifestent une indifférence notoire, le dénigrent ou adoptent une proximité corporelle ina- daptée (exagérée).
Suspecter une maltraitance impose un :
examen clinique complet de l’enfant, dévêtu : mesure des paramètres de croissance, évaluation du développement psychomoteur, inspection de la peau et des muqueuses (à la recherche de traces de violence sur le corps) sans oublier les oreilles (ecchymoses de l’hélix, perforations tympaniques traumatiques), palpation généralisée (signes de fractures ou d’hémorragie interne par atteinte viscérale) ; en observant le comportement de l’enfant et des proches ;
entretien avec l’entourage, en posant des questions ouvertes, sans juger : antécédents personnels et familiaux, événements de vie qui ont pu affecter l’enfant, sa relation avec les parents... en gardant à l’esprit que l’accompagnateur peut être l’auteur présumé des violences ou un témoin passif ;
entretien seul avec l’enfant, dès que son âge le permet et avec son accord. On commence par des questions d’ordre général (école, vie à la maison, loisirs, relations avec sa famille, copains). Il faut le laisser s’exprimer spontanément et lui montrer qu’on le croit. L’objectif est de préciser l’origine des lésions et de rechercher d’éventuelles discordances avec les explications données.
Des radiographies sont parfois nécessaires : fractures du bébé avant acquisition de la marche ; des arcs postérieurs des côtes, du fémur, complexes du crâne, métaphysaires, épiphysaires… à tout âge.

Mesures de protection

Dès la suspicion de maltraitance, le médecin doit prendre des mesures pour protéger l’enfant – en fonction de la présomption, du contact du mineur avec son agresseur potentiel et de l’état clinique – et signaler les sévices dont il est victime (article 44 du code de déontologie médicale).
L’article 226-14 du code pénal délie le praticien du secret professionnel et l’autorise à alerter le procureur de la République : « le médecin […] alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». Lorsque le médecin ne peut protéger la victime (exercice dans une zone isolée, par exemple), il doit l’adresser à l’hôpital le plus vite possible, après communication téléphonique expliquant la situation.
Il n’est pas enquêteur, son rôle se limite au repérage et au choix des interlocuteurs suivants. Il n’encourt aucune sanction pour signalement (article 226-14, CP). En revanche, « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate […] soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (article 223-6, CP).
La loi du 5 mars 2007 crée la notion d’information préoccupante et les cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, ouvrant la voie à la prévention : on peut désormais alerter les autorités administratives avant le stade de maltraitance. Cette mesure donne un cadre légal au partage d’informations concernant les mineurs en danger ou en risque de l’être, permettant une protection adaptée. Elle n’aboutit que rarement au placement de la victime. Qui en relève ? Tout enfant dont les conditions d’existence mettent en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, sans être pour autant maltraité.
Le signalement, terme juridique, est une procédure qui consiste à porter à la connaissance des autorités compétentes des faits graves nécessitant des solutions appropriées dans le seul but de protéger un mineur ou un majeur qui, en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, n’est pas en mesure de le faire lui-même. Il doit être adressé directement au procureur de la République. Ce dernier, au vu des résultats de l’enquête préliminaire, jugera de l’opportunité de déclencher des poursuites pénales ; il pourra également saisir le juge des enfants pour que des mesures d’assistance éducative. Si un placement est décidé (et ce n’est pas toujours le cas !), il est initialement provisoire, puis régulièrement repensé en fonction de l’intérêt du jeune.
Qui en relève ? Toute victime de violences physiques, psychologiques, d’abus sexuels, de négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement.
Encadre

Rédiger une information préoccupante ou un signalement

Il faut être parfaitement neutre et objectif et se garder de toute affirmation hâtive telle que l’existence de mauvais traitements. Seuls les indices factuels conduisant à suspecter de tels actes doivent être décrits (lésions corporelles, comportement de l’enfant…). Les informations dont l’auteur a eu connaissance par l’enfant ou par la personne l’accompagnant doivent être retranscrites en tant que telles, en utilisant le conditionnel et des guillemets.

D’autre part, si une personne est suspectée, le signalement ne doit en aucun cas la désigner : c’est l’enquête judiciaire déclenchée par le signalement qui établira non seulement l’existence du mauvais traitement, mais également les circonstances et l’auteur des agissements répréhensibles. En revanche, si l’identité de l’agresseur est dévoilée par l’enfant ou son accompagnant, elle doit figurer dans la retranscription entre guillemets.

pour en savoir plus
– Gilbert R, Widom CS, Browne K, et al Burden and consequences of child maltreatment in high-income countries. Lancet 2009;273:68-81.

– National Institute for Health and Care Excellence. Child maltreatment: when to suspect child maltreatment. July 2009, actualisation october 2017.

– HAS. Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir. Recommandation de bonne pratique. Octobre 2014. Mise à jour Fiche mémo : juillet 2017.

– http://www.sfpediatriemedicolegale.fr

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essentiel

Les médecins ont un rôle clé dans le repérage. Ils ne doivent jamais rester seuls face au doute mais savoir se faire aider.

Soigner une maltraitance, ce n’est pas traiter le symptôme de l’enfant, mais le dysfonctionnement ou la pathologie de tout son environnement.

L’information préoccupante (ou le signalement) est un soin à part entière.

Une politique de prévention et de soutien à la parentalité est essentielle pour réduire les situations de violence.