Sociologue (EHESS), elle a publié et dirigé de nombreux ouvrages sur les transformations contemporaines de la famille et des rapports de genre. Elle a cosigné en début d’année un manifeste de 110 personnalités appelant à débattre de la gestation pour autrui (GPA).

Vous êtes favorable à la PMA pour les couples de lesbiennes ?<br/>

Actuellement, les enfants nés à l’étranger par GPA ont droit à la nationalité française (depuis la circulaire Taubira de 2013), mais pas à la transcription de leur filiation dans le livret de famille de leurs parents. Cette situation a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à condamner notre pays cinq fois, avec un raisonnement très simple : la France a parfaitement le droit d’interdire la GPA sur son sol, mais elle ne peut ignorer les droits fondamentaux des enfants. La Cour de cassation a proposé alors de transcrire la filiation du père, mais pas de la mère d’intention, en disant « la vraie mère est celle qui a accouché ». Cela nous semble gravement discriminatoire pour la femme qui ne peut pas mener une grossesse et totalement absurde car l’enfant a déjà ses deux parents à l’état civil étranger.
Il est beaucoup trop tôt pour avoir un avis tranché et nous ne demandons pas la légalisation de la GPA dans cette tribune. En revanche, il faut reconnaître certains faits. J’ai moi-même longtemps pensé qu’une femme ne pouvait devenir mère porteuse que poussée par la plus extrême misère. Jusqu’à ce que j’en rencontre certaines pour qui cela avait fait sens et valeur de porter l’enfant d’autres personnes, avec lesquelles elles entretenaient des relations remarquables, dans le respect de leurs droits et de ceux des enfants. L’une d’elles m’a même dit : « à part ma propre famille, rien ne m’a autant valorisé dans ma vie ». Il faut cesser de considérer toute gestatrice pour autrui comme une esclave.
Cela étant, dans de nombreux pays, la GPA est fondée sur l’exploitation de la misère; ce qu’il faut combattre. Ça n’autorise pas à dire n’importe quoi, comme l’a fait récemment un éminent obstétricien français, qui a déclaré à la radio que la majorité des gestatrices pour autrui américaines étaient noires et pauvres. Les statistiques du CDC (Center for Disease Control and prevention) d’Atlanta publiées en 2016 indiquent que moins de 4 % d’entre elles sont afro-américaines.
Je ne sais toujours pas, à l’heure actuelle, s’il serait possible de mettre en place en France un encadrement garantissant des GPA éthiques. Il y a tellement de conditions à remplir ! Mais cela n’empêche ni de respecter les droits des enfants nés à l’étranger, ni d’entamer un débat serein et informé sur le sujet, s’appuyant sur des données fiables.
Avec la fécondation in vitro, la médecine a rendu possible de séparer la maternité physiologique en deux : génétique, c’est-à-dire la production d’un embryon grâce aux ovocytes ; et gestationnelle, le port de cet embryon et sa délivrance. C’est sur cette division que fonctionnent le don d’ovocytes et la GPA, qui ne sont pas contradictoires. En effet, dans le premier cas, la mère est celle qui a voulu l’enfant et conçu l’embryon et, dans l’autre, c’est celle qui a porté. En France, les pouvoirs publics ont décidé que la mère gestationnelle est par définition la « vraie mère ». Mais ça n’est pas du tout ce qu’on voit dans la réalité de la GPA : les gestatrices disent au contraire que porter pour autrui est bien différent d’une maternité. Ce qui les terrifierait, c’est que les vrais parents, les parents d’intention, ne viennent pas chercher leur enfant. Et bien entendu, une femme peut légitimement se percevoir comme la « vraie mère » d’un enfant qu’elle a conçu, mais qu’elle n’a pas pu porter, par exemple en raison d’une malformation utérine. Enfin, il a toujours été possible de devenir la « vraie mère » sans être la mère génétique ni accoucher : c’est le principe de l’adoption.
Partons du cas classique où un couple hétérosexuel a recours à un don de sperme parce que l’homme est stérile. Celui-ci n’est bien évidemment pas le géniteur de l’enfant, même si la loi essaie de faire croire qu’il l’est. Il ne le « procrée pas », mais on peut dire qu’avec sa femme il « l’engendre » : l’enfant lui doit d’être venu au monde. L’engendrement ne se résume pas à la biologie, cela implique tout un tissu de significations, de symboles, de valeurs, d’institutions, etc., qui font de ce processus de faire naître un enfant un acte proprement humain. De même, deux femmes ne peuvent pas « procréer » ensemble, mais elles peuvent « engendrer ».
Il y a donc trois grandes façons aujourd’hui de devenir parents : la procréation, l’adoption et l’engendrement avec un tiers donneur. Dans tous les cas, il faut avoir endossé le statut de parent au regard du droit, ce qui implique des droits, des devoirs et des interdits.
Oui, en 2014, dans le rapport « Filiation, origines, parentalité » que j’ai présidé à la demande de la ministre de la Famille (publié chez Odile Jacob en 2014). La question était de savoir comment mieux établir le lien de filiation entre le couple et l’enfant qui va naître du don. La loi actuelle est mensongère : le père ou la mère génétiquement stériles sont réputés être les géniteurs.
Or l’enfant ne devrait pas être pris dans un montage l’enfermant dans le secret et le mensonge. Le don n’implique aucun drame pour lui : il a été très désiré et les places de chacun, parents et donneurs, sont parfaitement claires. Une autre ques- tion, très différente, porte sur le droit de l’enfant issu d’un don d’accéder à sa majorité, s’il le souhaite, à l’identité de son donneur, qui se trouve dans son dossier médical. Je pense que nous devrions leur permettre d’avoir accès à cette l’information sur leur identité. Attention, ce n’est pas un droit à la rencontre : la vie privée de chacun doit être respectée. Soyons clairs : le donneur n’est en aucun cas un père et n’a aucune vocation a entrer dans la vie et la famille de l’enfant !
Notre proposition de « déclaration commune anticipée de filiation » est très simple. En pratique, en même temps qu’ils donnent leur accord pour le don auprès du tribunal de grande instance, comme ils doivent le faire actuellement, les futurs parents feraient cette déclaration. En cas de problème pendant la grossesse (un décès peut toujours arriver), les places de chacun seraient assurées, en particulier celles des grands-parents dans les deux lignées. La démarche serait la même que le couple soit composé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes.
Oui bien sûr. Je trouve que ce n’est pas la rupture qu’on dit parfois. Il y a toujours eu deux PMA : thérapeutique et sociétale. Dans la première, un couple par définition hétérosexuel s’adresse à la médecine pour pouvoir procréer (par exemple, grâce à une ICSI). Mais dans la seconde, la PMA avec don, on ne soigne rien du tout. En réalité, c’est un arrangement social proposé par les médecins avec l’aide du droit, consistant à engendrer un enfant grâce à la coopération d’un tiers. Ouvrir la PMA avec don aux couples de femmes est donc un changement, mais pas aussi important que beaucoup le prétendent. C’est seulement élargir les indications de l’engendrement avec tiers donneur.
Depuis 2013, les lesbiennes peuvent adopter en couple, ce qui signifie que notre droit de la parenté admet désormais qu’un enfant peut avoir deux mères. Aujourd’hui, elles réclament la possibilité d’avoir recours à un donneur de sperme. L’enjeu général qu’elles soulèvent est la capacité de notre pays à sortir du temps du mensonge et à faire enfin une place aux familles qui existent grâce à un don. Aujourd’hui, l’immense majorité des 70 000 enfants nés ainsi depuis les années 1970 ne le savent pas. On disait aux parents que pour être une famille comme les autres, il fallait qu’elle soit considérée comme une famille biologique. Nous avons déjà connu cela : autrefois, on cachait l’adoption, alors qu’aujourd’hui, quand ces enfants veulent connaître leur origine, leurs parents les accompagnent et tout se passe bien. Il faut évoluer aussi sur la PMA avec don, sortir des secrets de famille, c’est l’intérêt des enfants.
Les Français sont très ouverts sur ce sujet. Il y a une résistance au changement de certains milieux sociaux, en particulier du milieu médical qui a encore tendance à être paternaliste, mais de moins en moins : je rencontre de nombreux jeunes praticiens qui évoluent, notamment parce qu’ils rencontrent des collègues étrangers pour qui la France fait figure de lanterne rouge.
Propos recueillis par Serge Cannasse

journaliste et animateur du site
carnetsdesante.fr