L’extrême rapidité de la conception et de l’approbation provisoire des vaccins à ARNm contre le Covid-19 (publication du code génétique du virus en Chine le 11 janvier 2020, finalisation du vaccin Moderna le 16 novembre 2020, autorisation du vaccin Pfizer au Royaume-Uni le 2 décembre 2020) ainsi que la vitesse de leur production de masse un an après le début de la pandémie ont surpris et contredit tous les spécialistes et les grandes entreprises pharmaceutiques qui s’attendaient à des années de développement. Sans la vaccination, il y aurait eu 66 millions de cas supplémentaires de Covid et près de 900 milliards de dollars de coûts de soins de santé associés. Malgré leur efficacité supérieure aux autres vaccins, les vaccins à ARNm n’ont représenté que 27 % de la production mondiale. Les pays à revenus élevés auraient reçu 72 % des doses d’ARNm et les pays à faible revenu 16 %. Leur efficacité devrait rendre les vaccins à ARNm indispensables, mais leur diffusion reste faible en dehors des pays développés. Diverses raisons sont invoquées pour l’expliquer : difficultés logistiques, méfiance des populations, impossibilité d’une production locale sans lever les brevets. Considérant que ces brevets peuvent être remis en cause parce qu’ils ne répondraient pas aux critères nécessaires d’inventivité, il est utile de revenir sur l’histoire de l’avènement des plateformes ARNm.Trois périodes successives peuvent être individualisées. 1985-2000 : des preuves de concept prometteuses mais des culs-de-sac industriels, notamment en France (Transgene). Dans les années 2000 : la réussite initiale d’entreprises canadiennes dans la vectorisation par nanoparticules lipidiques ionisables (Arbutus Biopharma, Acuitas). Dans la première décennie du XXIe siècle : la création de jeunes entreprises (CureVac, BioNTech, Moderna) à l’origine du succès des vaccins à ARNm.Différents points clés des brevets ont conduit aux vaccins à ARNm : la stratégie qui avait pour objectifs de minimiser l’immunogénicité des ARNm, d’accélérer et maximiser la production d’antigènes ; une découverte et un brevet à la base des vaccins à ARNm actuels de Pfizer-BioNTech et de Moderna ; les travaux antérieurs sur le virus respiratoire syncytial (VRS) qui ont conduit aux vaccins à ARNm contre le Covid-19.Un paysage complexe de la propriété intellectuelle à base de brevets, licences, accords croisés répartis entre universités, organismes publics de recherche et entreprises de biotechnologies constituait le contexte dans lequel l’Organisation mondiale de la santé a décidé, en avril 2021, de lancer un programme de transfert de technologie à destination des pays à bas et moyens revenus, choisissant l’Afrique du Sud comme lieu d’implantation. Les principaux facteurs limitants sont, non pas les barrières juridiques, mais l’acceptation de la campagne vaccinale par les populations locales et la lutte contre toutes les formes de désinformation.Le fait que quelques entreprises de biotechnologies qui avaient investi à perte pendant des années dans une technologie aussi risquée que celle des ARNm aient un retour jugé par certains élevé, voire indécent, doit être perçu comme une incitation au soutien à des projets scientifiques et technologiques innovants dits à risque. Concernant ce sujet, sur lequel la France a encore beaucoup de progrès à faire, la démarche de l’Afrique du Sud est vertueuse car il s’agit d’un projet d’acquisition de connaissances avec, à terme, des objectifs d’innovation et d’indépendance dans la technologie des ARNm.
Arnold Migus, membre de l’Académie nationale de médecine.
28 juin 2022