Envenimations terrestres
Serpents : immobiliser la victime et appeler les secours
En dépit du sentiment de panique qu’elles provoquent, les morsures de serpents en France sont généralement peu graves. En effet, contrairement à ceux d’Asie ou d’Afrique, la grande majorité des serpents de l’Hexagone ne sont pas venimeux : seules lesvipères (fig. 1 et 2) et les couleuvres de Montpellier possèdent des crochets à venin.
Il y a plusieurs types d’envenimations : neurologique (paralysie flasque descendante débutant par les muscles de la face avec ptosis et dysarthrie, jusqu’à la paralysie respiratoire), cytotoxique (œdème évoluant vers la nécrose, rhabdomyolyse) ou coagulopathie (microangiopathie thrombotique, hémorragies, insuffisance rénale).
La gravité dépend de plusieurs facteurs : taille, espèce et âge du serpent, quantité de venin injectée, nombre de morsures, siège et profondeur (les morsures à la tête sont les plus graves), profil du patient (comorbidités, statut immunitaire, jeune âge).
Conduite à tenir en cas de morsure :
- S’éloigner du serpent ; tenter de le prendre en photo pour identification ultérieure (l’OMS a une base de données avec photographies, permettant de retrouver l’espèce en cause en fonction de son nom latin ou vernaculaire et du pays).
- Appeler les secours, immobiliser et rassurer la victime : en dehors du choc anaphylactique dû à une allergie au venin de serpent (rare), il faut plusieurs heures pour que les symptômes s’aggravent ; des troubles digestifs (nausées, vomissements, diarrhées), des douleurs abdominales, un malaise et parfois un état confusionnel apparaissent en 30 minutes.
- Immobiliser le membre mordu en position neutre, plus bas que le niveau du cœur, pour limiter la diffusion du venin.
- Retirer bijoux (bagues, montres…) et vêtements susceptibles de serrer la zone mordue, en raison de l’œdème secondaire à la morsure et pour éviter de constituer un garrot involontaire.
- Désinfecter la zone de morsure, idéalement par lavage à l’eau propre et au savon ou avec une solution antiseptique.
- Surveiller la progression de l’œdème en marquant au stylo ses limites (fig. 2) sur la peau avec mention de l’heure.
Attention : bien que l’application d’un bandage légèrement compressif soit parfois pratiquée, la pose d’un garrot est à éviter car la toxine peut s’accumuler et se libérer d’un seul coup au moment de sa levée (risque de gangrène des extrémités voire d’arrêt cardiaque).
Il est inutile : d’aspirer avec une pompe type Aspivenin (inefficace) ou avec la bouche (dangereux) ; de cautériser la plaie ; d’injecter à titre systématique un sérum antivenin polyvalent, des corticoïdes ou de l’héparine sous-cutanée car il peut y avoir 10 % de complications souvent plus graves que la simple morsure.
La prise en charge, hospitalière, repose surun traitement symptomatique, un bilan de coagulation et l’administration d’un antivenin si nécessaire et disponible. Le patient ne doit pas conduire de véhicule pour s’y rendre (possibilité de troubles de l’attention).
Lorsque la morsure est sèche (sans injection de venin) – environ un cas sur deux –, une surveillance médicale d’environ 8 heures est conseillée même si le sujet se sent bien.
Scorpions : possibles toxicités neurologique et cardiovasculaire
La piqûre de scorpion se manifeste par une douleur vive et des signes inflammatoires locaux, mais seules 10 % d’entre elles entraînent une envenimation systémique avec des signes généraux. Les espèces les plus dangereuses, potentiellement mortelles, appartiennent à la famille des Buthidés présents en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ; en Amérique, il s’agit surtout d’espèces des genres Centruroides ou Tityus. Les quelques espèces présentes en France (dont B. occitanus) ne sont pas considérées comme dangereuses.
On distingue :
- les venins neurotoxiques (scorpions des genres Centruroides, Parabuthus et Tityus) entraînant anomalies de l’oculomotricité, troubles de la vision, spasmes musculaires ou fasciculations, voire incoordination neuromusculaire pouvant conduire à difficultés respiratoires ;
- les venins à toxicité cardiovasculaire (Androctonus, Buthus et Mesobuthus) : tachycardie atriale, extrasystoles ventriculaires, anomalies du segment ST et de l’onde T, bloc de branche, hypertension (plus fréquente qu’hypotension), myocardite ou ischémie myocardique jusqu’au choc cardiogénique.
Des signes parasympathiques, cholinergiques peuvent s’observer dans les premières heures : hypersalivation, larmoiement, myosis, vomissements et diarrhées, encombrement respiratoire, priapisme. Des signes sympathiques, adrénergiques peuvent persister ensuite en lien avec la sécrétion de catécholamines : mydriase, élévation de la température, hyperglycémie, agitation. La piqûre de l’espèce Hemiscorpius lepturus (Iran), peu douloureuses au début, évolue dans 20 % des cas vers une nécrose localisée cutanée.
Dans les cas les plus graves, l’évolution peut se faire vers un coma et parfois la mort.
La prise en charge dépend du grade de l’envenimation :
- en cas d’effets cutanés isolés, une simple désinfection de la zone piquée et des antalgiques suffisent ;
- en cas de signes dysautonomiques sans défaillance cardiovasculaire ou neurologique : avis médical ; un contrôle de l’hypertension (prazosine), l’injection d’antivenin (si disponible) voire des benzodiazépines (pour l’agitation) sont proposés ;
- les envenimations plus sévères nécessitent des soins hospitaliers.
Araignées : généralement inoffensives
Peu d’espèces d’araignées comportent un risque médical. Les morsures de certaines d’entre elles (Ctenidae, Loxoceles, Latrodectus mactans, Atrax, Hadronyche…) peuvent toutefois être mortelles.
Le latrodectisme est causé par les morsures des araignées cosmopolites du genre Latrodectus (« veuves noires »), surtout répandues dans les zones tropicales et tempérées chaudes ; en France (sud-est et Corse), on note la présence de L. mactans tredecimguttatus . L’effet de leur morsure est variable selon les espèces, avec des signes locaux (douleur au site irradiant dans le membre mordu ou au niveau abdominal, thoracique ou dorsolombaire ; hypersudation localisée fréquente) ou systémiques dans environ un tiers des cas : nausées, vomissements, malaise, céphalées, agitation, voire fasciculations musculaires, paralysies localisées, priapisme, atteinte myocardique. Les morsures des araignées du genre Steatoda (uniformément brunes ou noires) donnent des signes comparables au latrodectisme.
Le genre Loxosceles (« araignées violonistes ») comporte 100 espèces, la plupart vivant en Amérique du Sud mais aussi sur le pourtour méditerranéen. Après une morsure, l’érythème local peut évoluer en 12 - 24 heures vers un œdème, une induration, une ecchymose, voire des bulles (fig. 3) et une nécrose locale. Des signes non spécifiques surviennent dans un cas sur deux : prurit diffus, rash, céphalées, nausées-vomissements, fébricule. Le loxocelisme systémique survient dans 10 % des cas, surtout chez les enfants (hémolyse intravasculaire avec test de Coombs positif et insuffisance rénale).
En Australie et en Amérique du Sud, le venin neurotoxique des araignées des genres Atrax, Hadronyche ou Phoneutria (« araignée banane ») peut conduire à des perturbations du système nerveux autonome, voire un choc ou un coma.
Le traitement des piqûres est avant tout symptomatique. En cas d’envenimation systémique, un avis médical est requis pour discuter d’antivenins (disponibles en Australie et Amérique du Sud).
Envenimations marines
Méduses : de plus en plus nombreuses
Ayant proliféré ces dernières années en raison notamment de la surpêche de leurs prédateurs (thons, harengs, anchois), les méduses sont de plus en plus nombreuses sur le littoral français. Ces cnidaires possèdent des millions de nématocystes implantés sur les tentacules grâce auxquels ils piquent leurs proies et injectent du venin. Ils restent venimeux même morts, échoués et desséchés sur la plage.
La plupart des piqûres sont bénignes, mais peuvent entraîner de véritables brûlures cutanées (en France, Pelagia noctulica, de couleur mauve, est la seule espèce pouvant provoquer ces dernières). Douleur immédiate localisée (sensation de décharge électrique), paresthésie, érythème serpigineux en « coups de fouet » (fig. 4) sont les principaux symptômes.
Des signes systémiques sont décrits (nausées, vomissements, douleurs abdominales, céphalées...), mais la gravité repose sur le risque immédiat de noyade. Les cuboméduses présentes dans les mers australiennes, asiatiques ou les Caraïbes sont les plus dangereuses pour l’homme : leur venin cardiotoxique, parfois neuro- et néphrotoxique, provoque collapsus cardiovasculaire, apnée brutale, œdème aigu du poumon.
Conduite à tenir en cas de piqûre :
- Prévenir la noyade : sortir la victime de l’eau, la calmer, l’empêcher de se frotter, éviter la mobilisation. Pratiquer les gestes de premiers secours en cas de forme grave.
- Retirer les filaments visibles avec une pince ou un gant double. Piéger les cellules restantes avec de la mousse à raser ou du sable et laisser sécher, puis gratter légèrement afin d’éliminer toutes les cellules restantes (utiliser un carton rigide ou une carte bancaire).
- Rincer la peau à l’eau de mer sans frotter, jusqu’à disparition de la douleur. Ne pas utiliser d’eau douce : hypo-osmolaire, elle fait éclater les nématocystes, libérant davantage de venin. L’acide acétique à 5 % (ou le vinaigre) peut être discuté mais l’efficacité varie selon les espèces, (risque de relargage avec les physalies). Ne pas appliquer de chaleur (exagère la brûlure), même si le venin est parfois thermolabile.
- Le traitement symptomatique est identique à celui d’une brûlure thermique du premier degré : antisepsie locale, topiques cicatrisants, et si besoin antalgiques per os, anti-inflammatoires, antihistaminiques.
- Consultation ophtalmologique en cas de lésion oculaire.
- Surveillance cardiorespiratoire et circulatoire si antécédents d’allergie.
Les lésions cutanées peuvent perdurer plusieurs jours voire entraîner des récurrences plusieurs mois plus tard (hypersensibilité de type IV) ou donner des cicatrices ou hyperpigmentation souvent permanente.
La dermatite des surfeurs ou baigneurs (fig. 5)est une entité particulière, causée par la rétention au niveau des vêtements de bains (fesses, tronc, zone de flexion...) de « larves » de cnidaires, rapportée essentiellement dans les Caraïbes, le golfe du Mexique ou la Floride. Il s’agit de lésions cutanées pseudo-urticariennes, quelquefois associées à de la fièvre, des frissons, des nausées, des douleurs abdominales. Sa résolution, spontanée en quelques semaines, peut être accélérée par l’application d’émollients, de dermocorticoïdes et la prise d’antihistaminiques.
Poissons et coquillages : attention à l’aiguillon
Les piqûres par des poissons venimeux tels que les vives, les raies (Atlantique et Méditerranée), les poissons-pierres (océans Indien et Pacifique) ou les rascasses se produit lorsqu’on marche accidentellement sur ces animaux posés sur le sable ou lorsqu’on les manipule après la pêche, l’activité venimeuse des glandes au niveau des épines persistant même après la mort de l’animal.
Les symptômes associent douleur intense, érythème, pâleur ou ecchymose au site de piqûre, lymphœdème progressivement extensif, dysesthésies locales, avec une évolution potentielle bullo-nécrotique. Une lymphadénite régionale ou des signes systémiques (malaise, nausées, hypotension, arythmies...) sont possibles. Des allodynies ou des troubles trophiques peuvent persister à distance. Il existe un risque anaphylactique lors d’une seconde piqûre, par sensibilisation lors de la première.
Le venin étant thermolabile, l’immersion de la zone piquée dans de l’eau chaude à 40 - 45° pendant 30 - 90 minutes réduit la douleur. Les bijoux ou vêtements sources de striction doivent être ôtés et le membre surélevé (œdème secondaire). Des antalgiques, une désinfection locale, le retrait d’éventuels fragments d’épines du poisson et la vérification de la vaccination antitétanique sont nécessaires.
Enfin, les coquillages du genre Conus (plus de 800 espèces) possèdent un appendice extensible muni de minuscules harpons capable d’injecter un venin toxique qui sert à capturer des proies. Ils se retrouvent dans les mers tropicales de l’Indopacifique, mais aussi dans les Caraïbes jusqu’en Floride. Les plus gros, surtout piscivores, sont particulièrement dangereux pour l’homme car ils projettent leur dard à plusieurs centimètres de distance.
La piqûre entraîne un œdème local très douloureux, suivi rapidement, dans les envenimations sévères, de signes systémiques : malaise, sueurs, troubles visuels, jusqu’aux paralysies musculaires, troubles cardiovasculaires et coma, pouvant aboutir au décès par noyade, notamment chez l’enfant. La lésion peut évoluer vers la nécrose (fig. 6), la cicatrisation est particulièrement lente.
Le traitement est symptomatique (chirurgie d’excision de la nécrose, antalgique, cicatrisation dirigée). Le venin est thermostable.
Morand JJ. Dermatoses et envenimations marines. Rev Prat Med Gen 2018;32(1003);463-8.
Bourée P. Morsures de serpents : ce qu’il ne faut pas faire. Rev Prat (en ligne), juillet 2023.
Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine. Piqûre de scorpion. 2024.
Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine. Morsure d'araignée. 2024.
Comment traiter une piqûre de méduse ? Rev Prat (en ligne), juillet 2022.
Bourée P. Vives à la plage. Rev Prat (en ligne) 9 août 2021.