La schizophrénie est une maladie psychiatrique fréquente, qui débute généralement chez le grand adolescent ou le jeune adulte. Considéré comme « universelle » en fonction des pays et des climats, une première synthèse avait battu en brèche ce dogme en indiquant une prévalence globale mondiale de 0,7 % de la forme chronique et une incidence moyenne de 15 pour 100 000, ce chiffre variant du simple au quintuple selon les régions et les études.1 Ces variations peuvent être liées à des différences méthodologiques (modalités diagnostiques), mais elles ont surtout permis d’identifier certains facteurs de risque. En France, on estime que cela concerne au moins 600 000 personnes. Une étude plus récente, utilisant une méthode différente, suggère une prévalence plus faible (autour de 0,3), tout en soulignant l’augmentation de la prévalence et surtout de la surmortalité et des conséquences socioprofessionnelles.2
La schizophrénie débute sous une forme atténuée (« phase prodromique », souvent dès 12-15 ans), évoluant dans un tiers des cas après un « premier épisode psychotique ».3, 4 La prévalence des troubles psychotiques est d’environ 3 %, et l’incidence annuelle en France est estimée à au moins 15 000 nouveaux cas par an chez les jeunes de 15 à 25 ans. Un premier épisode psychotique peut évoluer vers une schizophrénie ou d’autres formes de psychose chronique, mais aussi vers un trouble de l’humeur (notamment bipolaire), accompagner un trouble de l’usage de substances, refléter une pathologie « somatique » ou rester un épisode isolé, surtout si les facteurs précipitants ou causaux sont pris en charge rapidement.4, 5

Quand l’environnement module la génétique : l’épigénétique

La schizophrénie est multifactorielle, incluant des facteurs génétiques et d’environnement.
La présence d’antécédents familiaux de troubles psychiatriques, d’une manière générale, est observée dans 20 % des cas, mais il existe des formes isolées, « sporadiques ». Aujourd’hui, une centaine de variants fréquents de gènes ont été identifiés comme pouvant augmenter le risque (risque « polygénique »), mais certaines mutations (par exemple la microdélétion 22q11), souvent non héritées, pourraient aussi jouer un rôle majeur. Ces mutations représentent environ 2 % de l'ensemble des patients.6
Plusieurs facteurs d’environnement sont identifiés (v. figure et tableau),3, 4 intervenant dès le développement (notamment les complications obstétricales)3, 7 ou au cours de l’enfance ou de l’adolescence.3, 8 On considère aujourd’hui que les facteurs d’environnement peuvent moduler des vulnérabilités génétiques par des mécanismes « épigénétiques ».6 Ils constituent surtout de véritables leviers pour la prévention chez des personnes « à risque » ou pour enrayer la progression des troubles. Lorsque les premiers symptômes apparaissent, il est essentiel de lutter notamment sur les facteurs de stress et les consommations de cannabis, de loin la substance illicite la plus répandue et qui a un effet particulier à cette phase du développement cérébral.3-5

Surmortalité et surmorbidité

Les patients souffrant de schizophrénie voient leur espérance de vie diminuée d’environ 15 ans, notamment chez les hommes : 15,9 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 13,8-18,0) vs 13,6 (IC à 95 % : 11,4-15,8) chez les femmes.10 La surmortalité liée aux causes « non naturelles », et notamment au suicide, maximal dans les premières années, voire avant le diagnostic, ne rend compte que de 15 % de cette surmortalité. Cette surmortalité est donc essentiellement liée aux nombreuses pathologies non psychiatriques associées, qu’il est donc essentiel de connaître et soigner.
Au cours de la maladie, les anomalies cardiométaboliques sont les plus fréquentes : prévalence importante de l’obésité abdominale, hypertension artérielle, hypertriglycéridémie, diabète, syndrome métabolique.10, 11 Les traitements sont souvent en cause, bien que l’incidence plus élevée soit déjà notée avant tout traitement. La prévalence de la constipation est élevée chez les personnes atteintes de schizophrénie : 31,3 % de constipation, notamment chez les patients âgés et ceux sous clozapine. Simple à combattre, elle peut mener à des complications graves.
La mortalité par cancer est augmentée, comparée à la population générale, du fait d’un dépistage plus tardif et d’une moins bonne prise en charge thérapeutique. Globalement, la prévalence des multimorbi­dités est 2 à 3 fois plus élevée (21,8-36,0 %) chez les patients avec un trouble psychotique par rapport à la population générale.8

Quelles leçons tirer de ces données ? Agir rapidement

Les données épidémiologiques doivent être mises au regard des données biologiques et cliniques. Il est déjà établi que la schizophrénie est une maladie globale, fréquemment associée à des anomalies endocriniennes (dysrégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire-surrénalien), cardiométaboliques (anomalies de la glycémie et résistance à l’insuline, des lipides et du stress oxydatif) et immunitaires, et ce dès le premier épisode psychotique.13 Par ailleurs, près de 3 % des troubles psychotiques révèlent ou sont associés à une maladie « somatique » : maladie de Wilson, de Huntington, de Niemann-Pick, lupus, épilepsie, maladies inflammatoires ou infectieuses notamment.3-5 Si la plupart sont rares, elles doivent être recherchées, car certaines bénéficient d’un traitement curatif. D’où l’intérêt d’adresser ces jeunes vers des centres d’intervention précoce, appliquant les pratiques et recommandations internationales comme les déploie le Réseau Transition* dans un contexte adapté à cette tranche d’âge.
La période entre 15 et 25 ans coïncide temporellement avec celle de la maturation cérébrale post-pubertaire, qui implique des processus complexes de réduction de la densité neuronale et synaptique, de stabilisation des connexions des réseaux neuronaux (la myélinisation se termine vers 30 ans dans les régions frontales). Cette maturation s’accompagne de modifications comportementales et cognitives, impactant le cycle veille-­sommeil, la sensibilité à la récompense, la motivation et la capacité d’inhibition notamment. Période à risque d’émergence des troubles psychotiques, période de plasticité maturationnelle, elle est aussi une période d’opportunité pour que des interventions adaptées puissent avoir un effet durable. Les recherches sont encore nécessaires, à l’image du RHU PsyCARE**, pour mieux comprendre le ou les mécanismes en jeu, mieux personnaliser et développer des stratégies préventives.

Perte de chance

Les chiffres épidémiologiques sont parlants : les patients souffrant de schizophrénie meurent prématurément du fait des troubles somatiques et non de la maladie psychique. Dès le début et tout au long des troubles, l’éducation à la santé et la promotion de l’activité doivent être encouragées (manifeste HeAL*** : « Garder le “corps” en tête »). Le rôle du médecin traitant est tout à fait primordial pour l’orientation rapide initiale vers des centres spécialisés mais aussi pour accompagner le patient dans son ou ses parcours de soins et éviter des pertes de chance liées à la stigmatisation, encore trop souvent rencontrée actuellement, y compris dans le monde médical.
Encadre

En savoir plus

https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/schizophrenie

https://www.rfi.fr/fr/emission/20181024-savoir-plus-schizophrenie

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200708-la-schizophr%C3%A9nie

Références
1. McGrath J, Saha S, Chant D, Welham J. Schizophrenia: a concise overview of incidence, prevalence, and mortality. Epidemiol Rev 2008;30:67-76.
2. Charlson FJ, Ferrari AJ, Santomauro DF, et al. Global epidemiology and burden of schizophrenia: findings from the Global Burden of Disease study 2016. Schizophr Bull 2018;44:1195-203.
3. Millan MJ, Andrieux A, Bartzokis G, et al. Altering the course of schizophrenia: progress and perspectives. Nat Rev Drug Discov 2016;15:485-515.
4. Bourgin J, Krebs MO. Dépistage précoce de la schizophrénie et prise en charge des premiers épisodes psychotiques. Rev Prat 2013;63:336-42.
5. Krebs MO. Détection et intervention précoce : un changement de paradigme. Ann Med Psychol 2018;176:65-9.
6. Chaumette B, Kebir O, Krebs MO. Génétique et épigénetique de la schizophrénie et autres psychoses. Biol Aujourdhui 2017;211:69-82.
7. Davies C, Segre G, Estradé A, et al. Prenatal and perinatal risk and protective factors for psychosis: a systematic review and meta-analysis. Lancet Psychiatry 2020;7:399-410.
8. Krebs MO, Jay TM. Maturation cérébrale à l’adolescence et cannabis. Rev Prat 2018;68:675.
9. Krebs MO, Demars F, Frajerman A, Kebir O, Jay T. Neurodéveloppement et cannabis. Bull Acad Natl Med 2020;204:561-9.
10. Hjorthøj C, Stürup AE, McGrath JJ, Nordentoft M. Years of potential life lost and life expectancy in schizophrenia: a systematic review and meta-analysis. Lancet Psychiatry 2017;4:295-301.
11. Frajerman A, Morin V, Chaumette B, Kebir O, Krebs MO. Prise en charge des comorbidités cardio-vasculaires chez les jeunes patients souffrant d’une psychose débutante : état des lieux et perspectives thérapeutiques. Encéphale 2020;46:390-8.
12. Kisely S, Smith M, Lawrence D, Cox M, Campbell LA, Maaten S. Inequitable access for mentally ill patients to some medically necessary procedures. CMAJ 2007;176:779-84. https://doi.org/10.1503/cmaj.060482.
13. Pillinger T, D’Ambrosio E, McCutcheon R, Howes OD. Is psychosis a multisystem disorder? A meta-review of central nervous system, immune, cardiometabolic, and endocrine alterations in first-episode psychosis and perspective on potential models. Mol Psychiatry 2019;24:776-94.

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