Les allergies de toute nature constituent la quatrième maladie chronique dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. Leur fréquence ne cesse d’augmenter depuis une trentaine d’années, et les projections suggèrent que le nombre de personnes allergiques atopiques souffrant d’asthme, de rhinite allergique ou de dermatite atopique pourrait atteindre 2 à 4 milliards dans le monde en 2050 – si la population atteint 9 à 10 milliards d’individus.
Les termes « allergie » et « atopie » sont souvent utilisés pour décrire les maladies médiées par les immunoglobulines E (IgE), dans lesquelles les personnes atteintes d’atopie sont prédisposées à produire des IgE contre les allergènes environnementaux courants (exemples de l’allergie alimentaire, de la rhinoconjonctivite ou de l’asthme allergique). Cependant, la dermatite atopique, très souvent liée à un terrain atopique, n’est pas médiée par les IgE. À l’inverse, certaines allergies IgE-dépendantes ne sont pas liées à un terrain atopique : c’est le cas de l’allergie aux venins d’hyménoptères et de l’allergie médicamenteuse.
Prédisposition génétique et facteurs environnementaux
L’augmentation de la prévalence des maladies allergiques affecte principalement les pays développés, mais les pays émergents et en développement sont aussi touchés actuellement. L’explication de ce phénomène est multifactorielle.1
Plusieurs polymorphismes génétiques
Il existe une prédisposition génétique : avoir des symptômes atopiques est un facteur de risque pour sa descendance. Les études génétiques ne mettent pas en évidence un seul gène qui serait lié à toutes les maladies allergiques ; elles identifient plutôt plusieurs polymorphismes génétiques. Ainsi, seulement 20 à 50 % des patients atteints de dermatite atopique ont au moins un allèle fillagrine muté (la fillagrine étant le principal gène associé à cette pathologie), mais cette mutation est retrouvée également chez 10 % de la population générale.
Microbiote humain assurément impliqué
Depuis le début des années 1990, on a la certitude que des facteurs environnementaux jouent un rôle important dans la modulation du microbiote dès la petite enfance.2 La théorie hygiéniste – maintenant appelée microbiologique – souligne qu’une réduction de l’exposition des jeunes enfants aux allergènes et aux microbes orienterait plutôt les lymphocytes T auxiliaires (Th, pour helper) vers un profil Th2, prédisposant aux maladies allergiques. Les données actuelles semblent confirmer le rôle du microbiote humain dans le développement de ces dernières. Il a ainsi été démontré que la réduction de la quantité de bactéries Faecalibacterium, Lachnospira, Veillonella et Rothia augmentait le risque de développer un asthme ou une maladie allergique à 3 mois de vie ; une moindre diversité du microbiote intestinal au cours de la première semaine de vie serait associée à une augmentation du risque de dermatite atopique à l’âge de 18 mois. Ainsi, les facteurs influençant la prolifération microbienne intestinale de l’enfant (naissance prématurée, accouchement par césarienne, prise importante d’antibiotiques, régimes alimentaires trop restrictifs) peuvent expliquer en partie l’augmentation de l’incidence et la sévérité des maladies allergiques de tout type.
Environnement social et familial
L’environnement social joue également un rôle : un niveau d’éducation élevé est corrélé à une augmentation du risque ; être né dans une famille nombreuse le diminue.
Allergies alimentaires, en constante évolution
Des données à interpréter avec prudence
La prévalence de l’allergie alimentaire était estimée à 8 % chez l’enfant contre 5 % chez l’adulte en 2014 (données provenant principalement des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Australie et d’Israël).3-4 Ces données sont comparables à celles d’une étude réalisée au Royaume-Uni : les auteurs notaient une prévalence de 3,5 % chez des enfants nés entre 2005 et 2007, augmentant à 7,1-7,3 % chez ceux nés entre 2009 et 2012, soit un doublement en cinq ans. En France, une étude de la prévalence plus ancienne, réalisée en 2005, estimait ce chiffre à 6,7 % chez l’enfant.
Cependant, des variations très importantes existent dans les estimations de prévalence en fonction de la population étudiée – population générale ou à risque –, de l’âge des patients, de la zone géographique, ainsi que de la méthodologie utilisée (étude prospective ou rétrospective, étude sur questionnaire, réalisation de tests incluant ou non celui de la provocation orale [TPO]...).
Ces études se fondent généralement sur les déclarations des patients, ce qui aboutit souvent à une surestimation des réactions allergiques, du fait de l’absence de distinction entre réactions IgE-médiées, intolérances alimentaires et autres réactions non spécifiques à des allergènes.
De la même façon, les études basées uniquement sur la réalisation de tests cutanés et/ou de dosages d’IgE spécifiques évaluent seulement la présence de sensibilisations alimentaires sans confirmation du point de vue clinique.
Seules les plus rares études avec TPO final permettent réellement de confirmer la réaction. Ainsi, selon de récentes données américaines, la prévalence de l’allergie alimentaire chez les 10-14 ans, confirmée par TPO, est estimée à 4,5 %.5
Nos modes de consommation jouent un rôle certain
Les explications de cette augmentation de prévalence reposent, comme pour toutes les maladies allergiques, sur l’évolution environnementale et les facteurs génétiques mais aussi sur la transformation des comportements alimentaires : l’évolution des consommations, des modes de préparation alimentaire, le développement de la restauration hors domicile et de l’alimentation industrielle multipliant les sources allergéniques, ainsi que les nouveaux processus de fabrication augmentant ou diminuant le caractère allergisant d’un composant sont autant de facteurs qui influent sur le développement des allergies alimentaires.
Quels allergènes ?
Les allergènes alimentaires sont différents en fonction des habitudes de consommation : le soja au Japon, les produits de la mer en Asie de l’Est ou le pois chiche en Inde sont quelques exemples d’allergènes courants.
Mais les changements alimentaires liés à la mondialisation et à l’envie de consommer plus « exotique » sont source d’apparition de nouvelles allergies, telles que celles au blé en Thaïlande ou au sésame en France – aliment plus couramment consommé au Moyen-Orient.
Actuellement, les principaux allergènes alimentaires en France chez l’enfant sont le lait de vache, le blé, l’œuf, l’arachide, le poisson, les crustacés et les fruits à coque (amande, noisette, noix, noix de cajou, pistache, noix du Brésil, noix de pécan, pignon de pin).
Chez l’adulte, ce sont surtout les crustacés, les poissons, les fruits à coque et certains fruits et légumes – provoquant des syndromes oraux par réactions croisées par sensibilisation aux pollens. Cependant, les nouvelles habitudes alimentaires font déjà émerger des sensibilisations aux laits de brebis et de chèvre (notamment chez l’adulte), à différentes graines, au ver de farine Tenebrio molitor, etc.
De plus en plus de rhinite et d’asthme allergiques
L’émergence du rhume des foins a été concomitante des débuts de l’ère industrielle.
Quatre fois plus de rhinite allergique en trente ans
La rhinite allergique est la pathologie dont la prévalence a le plus augmenté ces dernières décennies par rapport à l’asthme et à la dermatite atopique. En France, elle a été multipliée par 4 au cours des trois dernières décennies, affectant à présent plus de 25 % de la population générale.6
La fréquence de l’asthme a augmenté de 2,9 % chaque année entre 2001 et 2010 aux États-Unis (20,3 millions de persones atteintes en 2001 versus 25,7 millions en 2010). La prévalence globale de l’asthme est ainsi actuellement estimée à 4,3 % de la population mondiale et est encore en augmentation.
Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation
Outre la génétique et l’environnement microbien, le surpoids et le tabagisme passif semblent induire un risque accru d’asthme, d’hyper-réactivité bronchique et de sensibilisation aux pneumallergènes.
La pollution atmosphérique, notamment automobile, joue également un rôle aggravant, désormais bien démontré. Ainsi, l’exposition précoce au dioxyde d’azote (NO2), aux particules fines (PM2,5) et au carbone suie dès la naissance est associée à une incidence de l’asthme plus élevée jusqu’à l’adolescence.
Ce risque urbain serait non seulement lié à la pollution de l’air mais aussi aux polluants et aux contaminants retrouvés dans les sols, l’eau et l’habitat. Le formaldéhyde est ainsi considéré actuellement comme le polluant majeur de l’air intérieur ; ce gaz est présent dans la fumée du tabac mais il est aussi émis par les colles, les peintures et les vernis ; les meubles préfabriqués en bois aggloméré en dégagent des quantités importantes. Les composés organiques volatils (COV) émis par les parfums d’intérieur, les désodorisants, les peintures et les produits d’entretien sont aussi des polluants importants de l’air intérieur.
Les conséquences des pneumallergènes ne sont pas à négliger (moisissures se développant dans les endroits chauds et humides, poils de chats et de chiens se concentrant dans les poussières et persistant longtemps dans les logements, même en l’absence d’animal, et acariens présents dans la literie, les jouets en peluche ou les moquettes). Le risque allergique est fonction de la nature du pneumallergène, de sa quantité et du degré d’exposition. Il existe ainsi une relation effet-dose entre l’exposition précoce à des allergènes de chats et d’acariens et le risque de sensibilisation au cours des premières années de la vie.
La nature des aéroallergènes varie en fonction des zones géographiques : le pollen de cèdre est responsable de la majorité des allergies respiratoires au Japon ; en Europe du Nord, il s’agit des pollens de bétulacées (aulne, charme, bouleau, noisetier) ; dans le sud de la France et de l’Europe, ce sont les pollens d’olivier et de cyprès qui sont les plus fréquents. Cependant, avec le réchauffement climatique, ces répartitions évoluent. Par exemple, le pollen d’ambroisie, longtemps circonscrit à la région lyonnaise, s’étend à présent au nord et à l’ouest de la France. En outre, l’absence d’hivers froids et l’augmentation globale des températures sont favorables à la survenue de saisons polliniques plus précoces et plus intenses, avec une quantité plus importante d’allergènes par pollen, la pollution atmosphérique les rendant plus agressifs. Davantage de pollens dans l’atmosphère signifie davantage de symptômes, mais aussi de patients allergiques.7
Dermatite atopique : l’adulte aussi
Longtemps considérée comme une pathologie pédiatrique, la dermatite atopique peut aussi exister à l’âge adulte.
Des facteurs socio-économiques chez l’enfant
Les données épidémiologiques chez l’enfant sont nombreuses, mais, comme pour toutes les autres pathologies allergiques, les chiffres de prévalence sont très variables selon le modèle de l’étude et l’approche utilisée.
L’étude internationale ISAAC, menée dans les années 1990 sur une cohorte de 2 millions d’enfants issus de 106 pays, révélait des prévalences allant de 0,2 % en Chine à 24,6 % en Colombie ; les résultats étaient en faveur d’une prévalence plus importante dans les pays les plus riches et les plus développés.8 Une augmentation de cette prévalence était observée aux États-Unis, passant de 8 % en 1997 à 12 % en 2010. Dans ces études, plusieurs facteurs socio-économiques ont été associés à un risque plus élevé de survenue de dermatite atopique : environnement urbain, statut socio-économique élevé, niveau supérieur d’éducation, familles peu nombreuses.
Des données plus récentes chez l’adulte
Les données épidémiologiques chez l’adulte sont plus récentes, car la persistance de la dermatite atopique après l’enfance a longtemps été sous-estimée.9
Une enquête internationale (États-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Japon) et transversale a évalué sa prévalence ponctuelle chez l’adulte à 2,1 % au Japon, 4,9 % aux États-Unis et 4,4 % en Europe. Cette prévalence était généralement plus faible pour les hommes que pour les femmes et diminuait avec l’âge.
D’autres études ont montré que les enfants ayant développé une dermatite atopique à un âge plus avancé ou une dermatite atopique sévère au cours de l’enfance étaient plus à risque d’avoir des poussées à l’âge adulte. De plus, les patients avec une dermatite atopique persistante à l’âge adulte avaient plus fréquemment d’autres signes d’atopie associés.10
Allergie aux médicaments : quelques données
L’épidémiologie des allergies médicamenteuses est très imprécise : son évaluation est le plus souvent rétrospective et rarement prospective ; elle est d’autant plus complexe que les manifestations cliniques sont multiples – urticaire, anaphylaxie, exanthème maculopapuleux, érythème pigmenté fixe, syndrome de Lyell, DRESS syndrome (Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms), pustulose exanthématique aiguë généralisée, etc. – et les mécanismes physiopathologiques différents.
De plus, les données sont collectées par différents acteurs : allergologues, dermatologues, pharmacovigilance.
Généralement, les hypersensibilités médicamenteuses représentent 20 à 30 % des effets indésirables répertoriés en milieu hospitalier, que ce soit par mécanisme allergique ou non. Ces hypersensibilités sont sous-diagnostiquées du fait de la faible déclaration – de l’ordre de 15 % – aux centres de pharmacovigilance.
À l’inverse, certaines réactions cutanées ont été attribuées à tort à des allergies médicamenteuses en l’absence de bilan allergologique. Ainsi, 10 à 30 % des carnets de santé et des dossiers électroniques hospitaliers contiennent une inscription d’allergie médicamenteuse, alors que seuls 20 à 22 % des adultes et 10 à 12 % des enfants en sont réellement atteints – preuve faite après réalisation d’un bilan allergologique avec ou sans réintroduction. Ce constat souligne la nécessité d’évaluer ces réactions cutanées à distance. Par exemple, pour les pénicillines, la notion d’allergie aboutit à l’utilisation inappropriée d’autres classes d’antibiotiques moins efficaces, augmentant le nombre de cures d’antibiotiques et donc le risque de résistance et d’infection à Clostridium difficile.11
Des données épidémiologiques récentes émanent de la Food and Drug Administration, qui a répertorié 17,5 millions d’effets indésirables déclarés entre 2009 et 2019 ; 47 496 (0,27 %) étaient des anaphylaxies médicamenteuses, dont 6,3 % étaient mortelles (2 984 décès). Les deux principales classes médicamenteuses responsables étaient les antibiotiques et les produits de contraste iodés.12
Un autre registre, documenté par des tests allergologiques (Drug Allergy and Hypersensitivity Database), répertoriant tous les patients ayant des symptômes compatibles avec une hypersensibilité médicamenteuse vus entre janvier 1998 et juin 2018, montrait 1 952 tests positifs sur 9 810 patients, soit 19,9 %. Dans 50 % des cas, il s’agissait de réactions immédiates, le plus souvent chez des femmes (68 %), avec un facteur de risque atopique (41 % des patients). La classe médicamenteuse principale en cause était à nouveau celle des antibiotiques, en particulier les bêtalactamines (52 % des cas).
Que dire à vos patients ?
Les allergies font partie du paysage médical tant chez l’enfant que chez l’adulte du fait de l’augmentation de leur fréquence.
Un avis spécialisé peut s’avérer nécessaire dans la plupart des situations, notamment pour les formes sévères, afin de bénéficier de nouveaux traitements (biothérapies), ou pour une exploration allergologique pouvant aboutir, si nécessaire, à une désensibilisation, une réintroduction ou une accoutumance.
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