Avec plus de 46 000 nouveaux cas en 2018 en France, le cancer du poumon est un enjeu de santé publique majeur. En effet, il représente la première cause de décès par cancer en France, en Europe et dans le monde.1,2 L’épidémiologie des cancers du poumon regroupe l’incidence et la mortalité des cancers du poumon, de la trachée et des bronches. Les trois principaux sous-groupes histologiques (adénocarcinome, carcinome épidermoïde et cancer à petites cellules) doivent être présentés séparément, du fait de leurs caractéristiques bien distinctes.3 L’évolution des pratiques du tabagisme, les différentes expositions professionnelles aux substances carcinogènes, et les caractéristiques socio-économiques expliquent certaines variations épidémiologiques observées. Le paradoxe de ce cancer est que le principal facteur de risque, le tabac, est évitable.4 Le pronostic est extrêmement sombre puisque la survie à 5 ans, tous stades confondus, est de 17 %. Le diagnostic est malheureusement posé à un stade métastatique dans environ 80 % des cas. Bien que la détection du cancer du poumon à un stade précoce permettrait de réduire la mortalité, et malgré l’efficacité reconnue du dépistage par scanner thoracique « low dose », il n’y a pas de recommandation pour le dépistage de masse actuellement en France (Haute Autorité de santé, 2016). L’arsenal thérapeutique du cancer du poumon s’est considérablement diversifié ces dernières années. L’émergence de l’immunothérapie et des nouvelles thérapies ciblées a inauguré l’ère de la médecine de précision en oncologie thoracique.

Dans le monde

L’International Agency for Research on Cancer (IARC) publie régulièrement les données d’incidence, de mortalité et de prévalence pour chaque cancer dans le monde. Le dernier rapport, datant de 2018, fait état de plus de 18 millions de nouveaux cas de cancers et de plus de 9 millions de décès (sexes et âges confondus).1 Le cancer du poumon occupe la première place du classement en termes d’incidence, avec 11,6 % des cas diagnostiqués, mais aussi en termes de mortalité, avec 18,4 % des décès. Globalement, le risque de développer un cancer du poumon est plus important dans les pays développés. Il existe cependant une certaine disparité entre les différents pays, avec un sur-risque en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. L’incidence en Afrique est probablement sous-estimée du fait de la qualité des estimations. Les taux d’incidence et de mortalité sont plus élevés chez l’homme en Europe de l’Est, en Asie de l’Est, et chez la femme en Amérique de Nord et en Europe du Nord.1 L’incidence mondiale du cancer du poumon continue de croître, avec notamment une augmentation significative chez la femme.5 Ce phénomène est probablement lié à l’augmentation du tabagisme chez la femme depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous observons en France, avec un léger décalage, le même phénomène qu’aux États-Unis. L’incidence du cancer du poumon chez la femme est ainsi plus élevée en Amérique du Nord, et en Europe de l’Ouest (pays scandinaves).

En France

Incidence

Afin de mesurer l’incidence, la prévalence et la mortalité, plusieurs organismes centralisent les différentes données épidémiologiques. En effet, devant l’absence d’enregistrement en continu de ces données, Santé publique France publie régulièrement des estimations d’incidence, de mortalité et de survie en fonction des cancers.6 Ce travail se fait en collaboration avec l’Institut national du cancer (INCa), le réseau FRANCIM (registres des cancers départementaux) et le service de biostatistique et bio-informatique des Hospices civils de Lyon (HCL). En répondant aux obligations du Plan cancer, toutes ces données collectées contribuent à évaluer les politiques de lutte contre le cancer.
Le tableau 1 résume les différences d’incidence et de mortalité entre les deux sexes. En France métropolitaine, on estime en 2018 à 46 363 le nombre de nouveaux cas de cancer du poumon. Il s’agit de la 2e cause de cancer chez l’homme (après la prostate) et la 3e cause chez la femme (après le sein et le côlon). Le taux d’incidence standardisé monde (TSM) correspond au nombre de nouveaux cas sur 100 000 habitants. Ce taux s’élève respectivement à 50,5 chez l’homme et à 23,2 chez la femme. Le ratio homme-femme est donc de 2,2. L’âge médian au diagnostic est de 67 ans chez l’homme et 65 ans chez la femme. Les taux d’incidence progressent de façon significative à partir de l’âge de 40 ans.
La distribution des types histologiques a clairement évolué depuis les 30 dernières années (fig. 1 et 2). Actuellement, l’adénocarcinome bronchique représente le principal type histologique dans les deux sexes (42,1 % chez l’homme et 56,6 % chez la femme) [tableau 2]. Les taux d’incidence (TSM) sont respectivement chez l’homme de 26,2 pour 100 000 personnes et de 15,1 pour 100 000 personnes chez la femme (ratio homme-femme : 1,7). Le type histologique épidermoïde arrive en deuxième position, derrière l’adénocarcinome (26,7 % chez l’homme et 12,7 % chez la femme). Le cancer à petites cellules est moins fréquent (11,3 % chez l’homme et 11,6 % chez la femme). L’augmentation de l’incidence des adénocarcinomes pourrait s’expliquer par une modification de composition des cigarettes (filtres, concentrations en nitrosamines). La présence de filtres potentialiserait une inhalation plus profonde des particules carcinogènes dans l’arbre bronchique et entraînerait ainsi des lésions pulmonaires plus périphériques.

Mortalité

La mortalité du cancer pulmonaire est estimée à 33 117 cas en 2018, dont 22 761 cas (soit 69 %) chez l’homme et 10 356 (soit 31 %) chez la femme, occupant ainsi la première place de la mortalité par cancer (tableau 1). Le cancer du poumon est la première cause de mortalité par cancer chez l’homme. Chez la femme, le cancer du poumon ­arrive en 2e position, après le cancer du sein. Cependant, au vu de la croissance de la mortalité par cancer du ­poumon, on peut imaginer qu’il occupera très prochainement la 1re place chez la femme en France, comme c’est déjà le cas aux États-Unis.5 Les taux de mortalité standardisé monde (TSM) sont respectivement de 34,7 chez l’homme et de 14 chez la femme. Le ratio homme-femme est donc de 2,5. Le réseau FRANCIM a réalisé une étude de survie conditionnelle entre 2005 et 2010.7 La survie nette à 5 ans était de 16 % chez l’homme et de 20 % chez la femme. De façon intéressante, la survie tend à s’améliorer au cours des années, avec une survie nette à 13 % dans la période 1989-1993 et à 17 % entre 2005-2010. La mortalité est plus forte la première année de prise en charge chez l’homme, mais l’écart entre les deux sexes s’estompe ensuite. Même si ces résultats ne tiennent pas compte des progrès récents réalisés en oncologie thoracique, le cancer du poumon reste un cancer au ­pronostic sombre.

Tendance entre 1990 et 2018

Durant cette période, les tendances divergent radicalement entre l’homme et la femme. En effet, depuis 1990, on note chez l’homme un infléchissement de la courbe de l’incidence de -0,1 % (et -0,3 depuis 2010). A contrario, le taux d’incidence (TSM) s’accroît de façon majeure chez la femme, avec +5,3 % par an depuis 1990. Le TSM était de +23,3 % en 2018 (fig. 1).
Entre 1990 et 2018, en ce qui concerne la mortalité, on note une diminution chez l’homme de -1,2 % par an. L’évolution de la mortalité chez la femme est assez ­superposable à ce que l’on observe avec l’incidence. En effet, on note une augmentation de la mortalité chez la femme de 3,5 % par an entre 1990 et 2018.
La répartition des cas de cancer du poumon en fonction du type histologique a considérablement évolué depuis les années 1990. Cette évolution est très différente en fonction des sexes. En effet, dans la période 1990-1994, le cancer épidermoïde était prédominant chez l’homme, avec 51,5 % des cas (vs 17,2 % pour l’adénocarcinome et 14 % pour le cancer à petites cellules). Depuis 2010, l’adénocarcinome est devenu le type histologique majoritaire, avec 42,1 % des cas (vs 26,7 % pour le carcinome épidermoïde, et 11,3 % pour le cancer à petites cellules). Chez la femme, la répartition histologique est toujours identique, même si les taux d’incidence augmentent pour les trois types : adénocarcinome +7,7 %, épidermoïde +2,1 %, et cancer à petites cellules +4,4 %. Toutes ces différences sont en partie liées aux différences de comportement tabagique.

Facteurs de risque

Tabac

Même si on note une diminution du nombre de fumeurs en France depuis 2016, le tabagisme reste la première cause de décès par cancer en France, car l’efficacité du sevrage sur le risque de survenue d’un cancer est évidemment retardée. Alors que la prévalence du tabagisme dans la population générale est de 30 %, environ 50 % des patients atteints de cancer du poumon au diagnostic ont un tabagisme actif et 40 % un tabagisme sevré ;8 85 % des cancers du poumon sont attribuables au tabac. La durée et la précocité du tabagisme sont des déterminants ­majeurs dans l’apparition d’un cancer du poumon. La consommation plus récente de tabac chez la femme est le reflet de l’augmentation récente de l’incidence dans cette population. L’arrêt du tabac diminue considéra­blement la mortalité globale sans pour autant atteindre les courbes des patients non fumeurs.9

Cannabis

L’exposition au cannabis est aussi un facteur de risque de développer un cancer du poumon. En effet, la consommation d’un joint serait équivalente à l’inhalation de quatre cigarettes. Cependant, le rôle propre du cannabis est difficile à distinguer de celui du tabac et à évaluer avec précision. La fumée de cannabis contient une concentration en hydrocarbures aromatiques polycycliques et en carcinogènes plus importante que celle du tabac. Des études cellulaires et tissulaires, chez l’animal et chez l’homme, ainsi que des études épidémiologiques ont confirmé son implication dans la survenue du cancer pulmonaire. L’exposition à la fumée de cannabis multiplie, au moins par 2, le risque de développer un cancer bronchique.10 Cela doit encourager les praticiens à rechercher cette exposition de manière systématique et à proposer aux consommateurs une aide au sevrage.

Expositions professionnelles

La part attribuable d’une exposition professionnelle dans le risque de développer un cancer du poumon est de 14,6 % selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) [2,3 % chez les femmes et 19,3 % chez les hommes].11 L’amiante est le carcinogène le plus fréquemment retrouvé ; il est non seulement responsable de la majorité des mésothéliomes pleuraux malins mais il augmente aussi le risque de survenue de cancer du poumon. Lorsqu’une exposition professionnelle est retrouvée, même si le ­patient est fumeur, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle doit être faite (Tableau 30 bis). En effet, le risque lié à l’amiante et le risque lié au tabac se multiplient.
De multiples expositions aux polluants atmosphériques et aux rayonnements ionisants sont à l’heure ­actuelle identifiées et reconnues en maladies profes­sionnelles par le CIRC.
Même si le risque de développer un cancer du poumon en lien avec une exposition professionnelle est ­nettement inférieur au risque lié au tabagisme, il est absolument primordial de continuer à surveiller attentivement les travailleurs exposés à certaines particules cancérogènes.

Expositions environnementales

L’exposition aux émanations de diesel constitue un facteur de risque de cancer du poumon indéniable. Selon une méta-analyse, le risque relatif de cancer du poumon après au moins 10 ans d’exposition serait de 1,19.12
La pollution domestique en lien avec la combustion du charbon est aussi un facteur de risque reconnu. Enfin, certains auteurs ont montré une relation de cause à effet entre l’exposition au radon et aux fumées combustibles utilisées au domicile comme moyen de chauffage ou de cuisson et la survenue d’un cancer bronchique.13

Terrain hormonal

Il semble bien établi que les estrogènes, dont E1 et E2, ont une action oncogénique pouvant potentialiser les altérations génétiques induites par le tabac. Une étude a mis en évidence, chez 180 femmes ayant un adénocarcinome bronchique, un lien étroit entre les traitements hormonaux substitutifs (THS) et le tabagisme dans le risque de survenue d’adénocarcinome.14 L’odd ratio (OR) pour l’adénocarcinome était de 13,1 (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 6,8-25,2) en cas de tabagisme seul et de 32,4 (IC à 95 % : 15,9-665,3) en cas d’association au THS (p = 0,0001). À l’inverse, la survenue d’une ménopause précoce avant 40 ans était associée à un risque inférieur de développer un adénocarcinome pulmonaire (OR = 0,3 ; IC à 95 % : 0,1-0,8).14

Le tabagisme, première cause

Le cancer du poumon est la première cause de décès par cancer dans le monde. Ces 10 dernières années, son incidence a considérablement augmenté chez la femme. De nombreux facteurs de risque ont été mis en évidence, mais la principale cause reste le tabac. Du fait des modifications du tabagisme, l’adénocarcinome est aujourd’hui le type histologique le plus fréquent devant le carcinome épidermoïde. L’essor de la biologie moléculaire a permis de mieux comprendre cette maladie, première étape vers une médecine personnalisée. 

Références

1. Bray F, Ferlay J, Soerjomataram I, Siegel RL, Torre LA, Jemal A. Global Cancer Statistics 2018: GLOBOCAN estimates of incidence and mortality worldwide for 36 cancers in 185 countries. CA Cancer J Clin 2018;68:394‑424.
2. Ferlay J, Colombet M, Soerjomataram I, et al. Cancer incidence and mortality patterns in Europe: Estimates for 40 countries and 25 major cancers in 2018. Eur J Cancer 1990;2018;103:356‑87.
3. Lortet-Tieulent J, Soerjomataram I, Ferlay J, Rutherford M, Weiderpass E, Bray F. International trends in lung cancer incidence by histological subtype: adenocarcinoma stabilizing in men but still increasing in women. Lung Cancer 2014;84:13‑22.
4. Godtfredsen NS, Prescott E, Osler M. Effect of smoking reduction on lung cancer risk. JAMA 2005;294:1505‑10.
5. Siegel RL, Miller KD, Jemal A. Cancer statistics, 2020. CA Cancer J Clin 2020;70:7‑30.
6. Defossez S, Uhry Z, Grosclaude P, et al. Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1900 et 2018. Étude à partir des registres des cancers du réseau Francim. Saint-Maurice : Santé publique France, 2019.
7. Dantony Z, Bossard N, Roche L, et al. Survie nette conditionnelle chez les personnes atteintes de cancer en France métropolitaine. Étude réalisée à partir des données du réseau français des registres des cancers (FRANCIM). Saint-Maurice : Santé publique France, 2019.
8. Cooley ME, Sipples RL, Murphy M, Sarna L. Smoking cessation and lung cancer: oncology nurses can make a difference. Semin Oncol Nurs 2008;24:16‑26.
9. Peto R, Darby S, Deo H, Silcocks P, Whitley E, Doll R. Smoking, smoking cessation, and lung cancer in the UK since 1950: combination of national statistics with two case-control studies. BMJ 2000;321:323‑9.
10. Callaghan C, Allebeck P, Sidorchuk A. Marijuana use and risk of lung cancer: a 40-year cohort study. Cancer Causes Control 2013;24:1811-20.
11. Marant Micallef C, Shield KD, Vignat J, et al. Cancers in France in 2015 attributable to occupational exposures. Int J Hyg Environ Health 2019;222:22‑9.
12. Lipsett M, Campleman S. Occupational exposure to diesel exhaust and lung cancer: a meta-analysis. Am J Public Health 1999;89:1009‑17.
13. Scott HR, McMillan DC, Forrest LM, Brown DJF, McArdle CS, Milroy R. The systemic inflammatory response, weight loss, performance status and survival in patients with inoperable non-small cell lung cancer. Br J Cancer 2002;87:264‑7.
14. Taioli E, Wynder EL. Re: Endocrine factors and adenocarcinoma of the lung in women. J Natl Cancer Inst 1994;86:869‑70.

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Résumé

Le cancer du poumon est la première cause de décès par cancer dans le monde. En France, le cancer du poumon est le 2e cancer le plus fréquent chez l’homme (après le cancer de la prostate) et le 3e chez la femme (après le cancer du sein et du côlon). Néanmoins, il se situe au premier rang des cancers les plus mortels chez l’homme et au 2e rang chez la femme (après le cancer du sein). Aux États-Unis, la mortalité par cancer du poumon chez la femme a dépassé la mortalité par cancer du sein, et il est probable que ce constat soit fait en France dans quelques années. Le principal facteur de risque est le tabagisme. Bien que les taux d’incidence et de mortalité ne cessent d’augmenter chez la femme, ils demeurent néanmoins deux fois plus élevés chez l’homme. L’évolution depuis les années 1990 est marquée par une augmentation nette de l’incidence des adénocarcinomes dans les deux sexes, probablement liée aux modifications de comportement tabagique.