La recherche épidémiologique met en évidence l’impact d’une maladie en termes d’incidence et de prévalence, de même que les caractéristiques inhérentes au cours évolutif de la maladie, le pronostic, l’identification des facteurs influençant l’évolution, etc. En conséquence, elle apparaît essentielle à la programmation des services de santé, au développement des actions de prévention et d’intervention thérapeutique. Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est une pathologie qui se manifeste assez tôt dans la vie d’un individu et a tendance à une évolution chronique, souvent handicapante. En l’absence d’un diagnostic et d’un traitement adaptés, la durée d’évolution de la maladie non traitée reste élevée (jusqu’à 10 ans chez les adultes) et est associée à une souffrance significative pour les patients et leurs familles.

Prévalence

Selon l’Organisation mondiale de la santé, le TOC représente l’un des troubles psychiatriques les plus invalidants. La prévalence vie entière dans la population générale adulte est estimée entre 0,3 et 3,5 %, avec une meilleure estimation moyenne de 1,3 %. La prévalence sur 12 mois est de 0,1 à 3,6 %, avec une estimation moyenne de 0,54 %,1 la variation pouvant s’expliquer par les instruments diagnostiques utilisés, les spécificités régionales, etc. Au niveau d’une population d’enfants et d’adolescents, la prévalence vie entière est estimée entre 0,5 et 2,6 % et celle sur 12 mois entre 0 et 4 %. Pour les formes subsyndromiques, la prévalence vie entière est plus élevée, entre 2 et 8,7 %, alors que la prévalence symptomatique est de 28,2 %, ces formes ayant néanmoins un impact fonctionnel délétère significatif.
Compte tenu de la tendance des patients à dissimuler leurs symptômes, il est nécessaire que les cliniciens dépistent activement les TOC, car un traitement approprié peut conduire à une nette amélioration de la qualité de vie.

Caractéristiques sociodémographiques associées

Le genre pourrait avoir un impact sur le début des troubles, les signes cliniques et l’impact fonctionnel. Les TOC sont plus fréquents chez les garçons que chez les filles dans l’enfance et l’inverse est valable à l’adolescence et à l’âge adulte. Les garçons ont tendance à débuter le TOC plus précocement (6-15 ans) et ont plus de TOC à thématique blasphématoire, alors que filles débutent le TOC pendant ou après la puberté (20-29 ans) et ont plus souvent une thématique de contamination et/ou agressive. Les femmes développent plus de comorbidités dépressives et anxieuses. En revanche, le genre n’influence pas la réponse thérapeutique. Les sujets âgés de plus de 55 ans sont moins à risque d’avoir un TOC que les sujets plus jeunes. Parmi les patients ayant un TOC, seuls 6 % sont âgés de plus de 65 ans (« TOC gériatrique »).

Comorbidités

Les comorbidités psychiatriques sont constatées chez 84 à 90 % des patients ayant un TOC. Les plus fréquentes sont représentées par les troubles dépressifs (28,4 %), ensuite les troubles de la personnalité (obsessionnelle-compulsive, 24,5 %), le trouble anxieux généralisé (19,3 %), les phobies spécifiques 19,2 % et la phobie sociale (18,5 %). Sur la vie entière, le trouble dépressif survient chez 50,5 % des patients souffrant de TOC.2
Par ailleurs, les troubles thymiques, anxieux, les troubles addictifs, schizo­phréniques et schizo­typiques augmentent le risque de développement consécutif d’unTOC : la phobie spécifique augmente le risque de développement d’un TOC dans un délai de 10 ans de 279 %, un trouble de l’usage de l’alcool dans les 4 ans de 120 %, la marijuana de 190 %, la marijuana et la cocaïne de 620 %.
Les TOC peuvent être associés aux autres troubles du spectre obsessif-compulsif, comme les comportements répétitifs centrés sur le corps (le trouble dysmorphie corporelle, par exemple), les tics (jusqu’à 30 % des patients ayant un TOC), les troubles du contrôle des impulsions (trichotillomanie, dermatillomanie) ou la syllogomanie (accumulation pathologique), rendant la prise en charge plus complexe.
Concernant le risque de suicide, on a longtemps considéré qu’il est faible dans les TOC. Or des études épidémiologiques plus récentes ont permis de souligner que même après avoir écarté l’impact des comorbidités anxieuses et dépressives, ce risque reste non négligeable.
Dans la population souffrant de TOC, la prévalence des idées suicidaires varie entre 20 et 46 %. Parmi les patients ayant eu des idées suicidaires, un tiers a pu élaborer un scénario suicidaire et un cinquième a réalisé une tentative de suicide.2 Les facteurs de risque de suicide comportent en premier lieu l’antécédent d’une tentative de suicide, mais aussi les comorbidités psychiatriques comme le trouble de personnalité, l’abus de substance, alors que le niveau d’éducation élevé et le trouble anxieux pourraient avoir un rôle protecteur.3

Âge de début

L’âge de début est le plus souvent situé à l’adolescence tardive (17,9 ans), avec une médiane à 23 ans, ce qui représente l’âge le plus tardif par rapport aux troubles anxieux ; par ailleurs, les troubles du spectre obsessif-compulsif, comme la dysmorphie corporelle, par exemple, débuteraient également de manière précoce.

Facteurs de risque encore trop imprécis

L’adversité dans l’enfance et les événements de vie d’allure traumatique augmentent de manière non spécifique le risque de trouble mental, dont le TOC, incitant ainsi à des interventions précoces afin de limiter la constitution et l’aggravation de la pathologie. Le style éducatif parental ne semble pas représenter un facteur de risque spécifique du TOC, mais la négligence et l’absence de soins, de même que l’isolement social dans l’enfance, augmentent de manière aspécifique le risque de troubles mentaux, dont le TOC, et cela plus que la surprotection. D’ailleurs, la surprotection maternelle augmente le risque de trouble dépressif, mais pas spécifiquement celui de trouble anxieux ou de TOC. La prématurité (< 37 semaines) et le faible poids de naissance, l’âge maternel lors de la grossesse (> 35 ans) et les antécédents maternels de maladie auto-­immune, les antécédents psychiatriques parentaux (dont les TOC) représentent des facteurs de risque de TOC chez l’enfant.4 L’impact de la consommation tabagique maternelle (plus de 10 cigarettes/j) pendant la grossesse est également discuté. Néanmoins, les effets environnementaux partagés, communs chez les mères de patients souffrant de TOC (donc en excluant l’impact, par exemple, d’une infection particulière d’une mère lors de sa grossesse) semblent avoir peu d’impact sur le risque de développement d’un TOC.
La consommation de toxiques (cocaïne, marijuana, alcool) serait associée à un risque plus élevé de TOC selon certaines études épidémiologiques.
Parmi les événements traumatiques de vie, l’agression sexuelle représente un facteur de risque de TOC indépendamment de la constitution d’un état de stress post-traumatique.5
Concernant la vulnérabilité consacrée par un quotient intellectuel élevé, une seule étude a suggéré un lien entre un quotient intellectuel (QI) élevé à l’adolescence et une majoration du risque de symptômes du TOC à l’âge adulte jeune, cette corrélation n’étant donc pas suffisamment étayée dans la littérature. Le lien entre QI élevé et le TOC est controversé. De même, le niveau de preuve n’est pas suffisant pour confirmer la majoration du risque de TOC chez une femme pendant la grossesse ou en post-partum.

Mieux le repérer

En conclusion, une proportion importante de la population générale souffre de TOC dès un jeune âge, avec un impact fonctionnel majeur et des comorbidités qui peuvent aggraver l’évolution de la maladie. Une meilleure connaissance des symptômes et du TOC permettrait d’améliorer son dépistage actif dans la population générale, surtout à certaines périodes de la vie. Mieux repérer – même les formes subcliniques et dès les stades précoces – facilitera l’instauration précoce d’un traitement adéquat, en évitant ainsi une aggravation clinique, une détérioration fonctionnelle et la survenue de complications. De plus, la recherche épidémiologique permettra de mieux préciser à l’avenir le rôle des facteurs de risque biologiques, psychologiques et sociaux dans le développement des TOC et d’identifier les populations vulnérables/à risque qui pourront bénéficier de programmes thérapeutiques de prévention, cela pouvant avoir des répercussions favorables en termes de santé publique.
Références
1. Somers JM, Goldner EM, Waraich P, Hsu L. Prevalence and incidence studies of anxiety disorders: a systematic review of the literature. Can J Psychiatry 2006;51:100-13.
2. Brakoulias V, Starcevic V, Belloch A, et al. Comorbidity, age of onset and suicidality in obsessive-compulsive disorder (OCD): An international collaboration. Compr Psychiatry 2017;76:79-86.
3. La Cruz de LF, Rydell M, Runeson B, et al. Suicide in obsessive-compulsive disorder: a population-based study of 36 788 Swedish patients. Mol Psychiatry 2016;22:1626-32.
4. Mahjani B, Klei L, Hultman CM, et al. Maternal effects as causes of risk for obsessive-compulsive disorder. Biol Psychiatry 2020;87:1045-51.
5. Fontenelle LF, Hasler G. The analytical epidemiology of obsessive-compulsive disorder: risk factors and correlates. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2008;32:1-15.

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