L’érysipèle une dermohypodermite aiguë d’origine streptococcique. Le terme DHBNN (dermohypodermites bactériennes non nécrosantes) est préféré à celui de cellulite infectieuse (traduction d’un terme anglosaxon). Streptococcus pyogenes (streptocoque β-hémolytique du groupe A) est l’agent bactérien le plus souvent responsable. L’érysipèle est une maladie infectieuse sporadique et communautaire sans caractère épidémique ni saisonnier. L’incidence annuelle en France métropolitaine est estimée entre 10 et 100 pour 100 000 habitants, avec un âge moyen entre 56 et 63 ans.
Un diagnostic clinique
Le diagnostic est porté devant l’association séquentielle d’un syndrome infectieux et de signes inflammatoires locorégionaux. La fièvre est de début brutal (70 % des cas), de 38,5 à 40 °C, accompagnée de frissons et parfois de malaises. Quelques heures plus tard apparaît un placard inflammatoire rouge vif, chaud, œdématié s’étendant progressivement en quelques jours (de 2 à 15 cm par jour) et sans guérison centrale (fig. 1). Un bourrelet périphérique est souvent décrit au visage (fig. 2). Des bulles (décollement de l’épiderme sous l’effet de l’œdème) et/ou un purpura pétéchial peuvent être présents sur le placard (20 - 30 % des cas). Une traînée de lymphangite et une adénopathie sont décrites dans respectivement 26 et 46 % des cas.
La présence d’une porte d’entrée conforte le diagnostic : elle peut être évidente (ulcère de jambe), discrète (intertrigo interorteils [fig. 3], érosion traumatique, piqûre, lésion de grattage) ou inapparente.
L’érysipèle siège généralement au niveau des membres inférieurs (70 - 93 % des cas), il est plus rare au niveau du visage (5 - 10 %), des membres supérieurs (2 - 12 %), du tronc et des organes génitaux externes (0,2 - 2 %). Outre la présence d’une porte d’entrée, certains facteurs de risque ont été identifiés : insuffisance veineuse, œdèmes des membres inférieurs, obésité.
Il faut éliminer les autres causes de grosse jambe rouge aiguë, infectieuses ou non (les diagnostics différentiels sont indiqués dans le tableau). Une fasciite nécrosante (fig. 4) doit être suspectée devant une douleur croissante, un œdème induré diffus, certaines caractéristiques locales (purpura, bulles, nécrose, aspect livedoïde, hypoesthésie) ou générales (absence de défervescence thermique rapide, confusion, tachypnée, tachycardie, oligurie, teint terreux, hypotension artérielle).
Une prise en charge le plus souvent ambulatoire
Quatre-vingts pour cent des érysipèles sont pris en charge en ambulatoire, à condition qu’une surveillance clinique rapprochée soit réalisable.
Les principaux critères d’hospitalisation à la phase initiale (hospitalisation primaire) communément admis sont :
- la gravité du tableau général (altération de l’état général, fièvre élevée avec confusion, tachycardie, tachypnée, hypotension, oligurie, pâleur…) ;
- les signes locaux de gravité (douleur locale intense, œdème majeur, bulles hémorragiques, purpura, nécrose focale, étendue du placard inflammatoire, hypoesthésie, livedo, crépitations…) ;
- le terrain (âge élevé, diabète, maladie cardiovasculaire, éthylisme, obésité, modalités pratiques du traitement par pénicilline G intraveineuse, difficultés prévisibles d’observance, précarité, nécessité d’un repos au lit…).
L’hospitalisation secondaire, après la mise en route du traitement, se justifie en cas d’inefficacité de celui-ci : absence de défervescence thermique après 72 h ; extension franche du placard inflammatoire ou apparition de signes locaux de gravité ; complication ou décompensation d’une comorbidité.
Quand prescrire un examen complémentaire ?
Des examens se justifient en cas d’atypie dans le tableau clinique ou pour la surveillance d’une comorbidité. Le bilan biologique montre un syndrome inflammatoire parfois sévère, avec une élévation de la protéine C-réactive et une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. Les hémocultures, en raison de leur faible sensibilité, ne sont pas réalisées de façon systématique, sauf en cas de signe de gravité. En cas de suspicion de thrombose veineuse (rare), un échodoppler doit être réalisé.
Quel traitement ?
La prise en charge repose sur une antibiothérapie systémique antistreptococcique selon les dernières recos de la HAS. En pratique et en l’absence de signes de gravité, on utilise l’amoxicilline (50 mg/kg/j en 3 prises pendant 7 jours [max 6 g/j]). Si allergie : clindamycine (Dalacine) 600 mg x 3/j (x 4/j si poids > 100 kg) pendant 7 jours ou pristinamycine (Pyostacine) 1 g x 3/j pendant 7 jours.
En cas de situations particulières, l’antibiothérapie recommandée est précisée dans l’encadré ci-dessous.
La fièvre est le premier signe à disparaître : l’apyrexie, obtenue en 48 à 72 h dans la majorité des cas, signe l’efficacité du traitement. L’amélioration des signes locaux est plus lente (ne pas prolonger l'antibiothérapie !) : la guérison peut prendre de quelques jours à quelques semaines (à J7, 20 % des patients ont encore un œdème et 40 % un érythème) ; elle est d’autant plus longue que la forme initiale était bulleuse ou purpurique.
Quelles mesures associer ?
Une thromboprophylaxie n’est pas systématique mais elle est indiquée chez tout patient alité, ou ayant un facteur de risque thromboembolique. D’autres traitements adjuvants sont proposés : prise en charge systématique de la porte d’entrée (nettoyage au savon et à l’eau, débridement si besoin et pansements adaptés des ulcères et plaies, associés à un traitement causal, application locale d’imidazolés en cas d’intertrigo interorteils…), médicaments à visée antalgique, surélévation du membre permettant de réduire l’œdème et la douleur, sérothérapie antitétanique et mise à jour du vaccin si besoin. Les antiseptiques, les antibiotiques locaux et les anti-inflammatoires (stéroïdiens ou non) ne sont pas recommandés.
La surveillance est biquotidienne en cas d’hospitalisation et quotidienne chez les patients soignés à domicile. Les délimitations initiales au feutre permettent de détecter précocement une éventuelle extension ou de suivre l’involution des lésions. Le port d’une contention veineuse au décours immédiat de l’épisode est fondamental pour prévenir le lymphœdème et donc les récidives.
Prévenir les récidives
Le taux de récidive est élevé, évalué à 12 % à 6 mois et à 30 - 50 % à 3 ans. Le risque augmente en cas de persistance ou la réapparition des facteurs ayant favorisé le premier épisode, notamment le lymphœdème, l’œdème veineux ou une porte d’entrée cutanée (intertrigo interorteils). Certains antécédents portant atteinte à l’intégrité du réseau lymphatique et/ou veineux (saphénectomie, irradiation d’un territoire lymphatique, thrombose veineuse, lymphadénectomie, pose de prothèse articulaire…) sont aussi des facteurs de risque de récidive. Une première récurrence est également prédictive de récurrences ultérieures.
La prophylaxie des récidives comporte donc la prise en charge de la stase lymphatique et/ou veineuse, le dépistage et le traitement de la porte d’entrée (plaies, intertrigo, dermatose sous-jacente), une bonne hygiène cutanée et la prise en charge des facteurs généraux (obésité notamment).
Une antibioprophylaxie est discutée chez les patients ayant 3 à 4 épisodes par an malgré un bon contrôle des facteurs favorisants, ou si ceux-ci ne peuvent pas être contrôlés. Elle repose sur l’administration au long cours de benzyl-pénicilline G retard 2,4 MUI IM toutes les 2 à 4 semaines ou pénicilline V (phénoxyméthylpénicilline) PO 1 à 2 MUI/jour selon le poids en 2 prises ; si allergie à la pénicilline : azithromycine 250 mg/jour, hors AMM.
Antibiothérapie en cas de situations particulières
En cas de plaie par morsure animale :
- amoxicilline-acide clavulanique par voie orale : 50 mg/kg/j d’amoxicilline sans dépasser 6 g par jour, et sans dépasser 375 mg par jour d’acide clavulanique, pendant 7 jours.
En cas d’allergie à la pénicilline :
- avis spécialisé.
Dans les situations suivantes, un avis spécialisé est recommandé :
- DHBNN liées aux soins ;
- exposition aquatique et marine ;
- injection septique (toxicomanie IV).
D’après : HAS. Choix et durée de l’antibiothérapie : prise en charge des dermohypodermites bactériennes non nécrosantes (DHBNN) chez l’adulte. 27 août 2021.
HAS. Choix et durée de l’antibiothérapie : prise en charge des dermohypodermites bactériennes non nécrosantes (DHBNN) chez l’adulte. 27 août 2021.
Caumes E, Monsel G, Pourcher V. Érysipèle : sus à la porte d’entrée ! Rev Prat Med Gen 2017;31(982):407-9.
Urbina T, Chousterman B. Deux formes particulières : fasciite cervico-faciale et gangrène de Fournier.Rev Prat 2023;73(2):150-2.