À l’image de beaucoup de pays occidentaux, l’espérance de vie française augmentait, depuis la Seconde Guerre mondiale, d’environ 3 mois par an, soit un quart du temps « capturé » à tout moment (virtuellement 6 heures par jour, 2 ans et demi par décennie, etc.). Comme pour tous les pays du monde, la pandémie de Covid-19 a percuté cette trajectoire sympathique, même si la France a été un des pays ayant le moins de surmortalité en 2020 (probablement grâce aux confinements et à notre système de soins). Historiquement, après les guerres ou pandémies, le tracé de longévité reprend immédiatement la direction qu’il avait avant la crise.
Pourtant, ce n’est pas ce que montrent les premières données publiées par l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) pour l’année 2022, en fait arrêtées à fin novembre 2022. L’espérance de vie – qui est la durée de vie moyenne à laquelle on peut s’attendre dans les conditions d’une année donnée – ne progresse plus en France. Elle atteint 79,3 ans pour les hommes et 85,2 ans pour les femmes. C’est à peine mieux qu’en 2021 pour les hommes et ce n’est pas mieux pour les femmes. L’espérance de vie tous sexes confondus est même en baisse de 0,4 an par rapport à 2019, qui est la dernière année sans pandémie. Ces résultats décevants de la longévité française sont à rapprocher logiquement du nombre de décès : il y en a eu 54 000 de plus qu’en 2019 et surtout 46 000 de plus que ce que les projections anticipaient. Par ailleurs, il y a aussi eu moins de naissances, conduisant à un solde démographique naturel (différence entre les nombres de naissances et de décès, voir figure 1) qui est à son minimum historique depuis longtemps.
Mais les données de l’Insee ne racontent qu’une partie de l’histoire. Elles ne permettent pas de savoir pourquoi l’espérance de vie nationale est en stagnation voire en régression. Les causes de décès ne sont pas encore connues, mais on peut évoquer plusieurs hypothèses. Trois suspects se détachent, à savoir le Covid-19, les autres virus respiratoires – VRS (virus respiratoire syncitial) et grippe – et les canicules de l’été. Ces hypothèses sont non concurrentes. Il est probable que chacune ait participé à augmenter la mortalité dans des proportions qui restent à déterminer. On sait que l’automne a concentré de façon atypique – en général et par chance, les épidémies virales respiratoires émergent de façon séquentielle et non simultanée – les trois principaux virus de l’année : le SARS-CoV-2, le VRS et la grippe. On pense aussi que l’été 2022 a été associé à une surmortalité en lien avec trois épisodes de températures très élevées, qui ont affecté près de 80 % de la population. Santé publique France a estimé que ces canicules avaient généré 2 816 décès en excès, soit une surmortalité de 16,7 %.
La santé d’une population est le résultat d’une équation extrêmement complexe. En simplifiant, on peut la schématiser avec un triangle (voir figure 2). Le premier sommet du triangle est la population elle-même, c’est-à-dire sa taille, son âge et ses caractéristiques notamment génétiques ; c’est l’équivalent du déterminant biologique. Le deuxième sommet du triangle correspond aux risques qu’elle prend ou qu’elle subit : ce sont les risques comportementaux et environnementaux, respectivement. Le troisième sommet du triangle représente les soins apportés par la médecine et la pharmacie. La santé d’une population à un moment donné, celle qui détermine notre espérance de vie, est le produit de cette équation triangulaire. En 2022, aucun des trois points du triangle n’était très favorable. La santé de la population française est moyenne, principalement à cause des maladies chroniques et de sa tendance au vieillissement (aujourd’hui, 21,3 % des habitants ont 65 ans ou plus). Deuxièmement, les risques restent à un niveau trop élevé et les extrêmes de température en font partie. Enfin, notre système de soins est en grande difficulté.
Il y a beaucoup d’inertie dans tous ces facteurs et il est peu probable que des changements d’importance surviennent à court terme.