Certaines études suggèrent une prévalence plus élevée de certains facteurs de risque de maladie cardiovasculaire chez les personnes homosexuelles ou bisexuelles, mais aucune étude de cohorte nationale n’avait exploré cette question. C’est chose faite, grâce à la cohorte française Constances – avec des résultats étonnamment différents chez les femmes et les hommes… Explications.

Des scores CV moins bons chez les femmes homo/bisexuelles

Cette étude est une analyse transversale basée sur les données de la cohorte nationale Constances (population adulte en France recrutée entre 2012 et 2020) ; elle a eu pour but d’estimer l’association entre l’orientation sexuelle et les facteurs de risque CV modifiables, mesurés par des scores validés. Ses résultats viennent de paraître dans le Journal of the American Heart Association.

Les auteurs ont sélectionné aléatoirement 169 434 participants sans maladie CV dans cette cohorte (54 % de femmes ; âge moyen : 46 ans). Parmi eux, 0,61 % des femmes ont déclaré être homosexuelles et 3,47 % bisexuelles ; chez les hommes, ces proportions étaient respectivement de 3,08 % et 3,5 %.

Deux scores de santé CV conçus par l’American Heart Association (AHA) ont été utilisés : le Life’s Simple 7 (LS7), qui comprend 7 critères permettant d’estimer les facteurs de risque CV modifiables des participants – régime alimentaire, activité physique, tabagisme, IMC, glycémie à jeun, PA, cholestérol total – et le Life’s Essential 8 (LE8), une mise à jour de ce dernier incluant une évaluation du sommeil. Le score global, allant de 0 à 100, est considéré bas entre 0 et 49, modéré entre 50 et 79 et élevé entre 80 et 100 – un score élevé étant associé à une moindre incidence de maladie CV.

Résultats : dans les analyses multivariées, les femmes homo- et bisexuelles avaient des scores LE8 plus bas que les hétérosexuelles, respectivement β = −0,95 [IC95% : −1,89 ; −0,02] et β = −0,78 [IC95 % : − 1,18 ; − 0,38], soit un score inférieur d’environ un point ; or, explique le Pr Jean-Philippe Empana, dernier auteur de l’étude, « les travaux montrent qu’un point gagné correspond à une diminution de 12 à 14 % du risque de survenue de pathologies cardiovasculaires ». Les scores plus bas retrouvés dans cette étude convergent avec les résultats d’autres travaux qui suggèrent que les femmes homo- et bisexuelles ont un risque plus élevé de maladie CV que les femmes hétérosexuelles.

En revanche, en ce qui concerne les hommes, l’homo- ou la bisexualité était associée à un meilleur score LE8 par rapport aux hétérosexuels (respectivement : β = 2,72 [IC95 % : 2,25 ; 3,19] et β = 0,83 [IC95 % : 0,39 ; 1,27]).

Des résultats semblables, quoiqu’avec des différences plus faibles, étaient observés avec le score LS7.

Comment l’expliquer ?

L’hypothèse du stress lié au fait d’appartenir à une minorité sexuelle est invoquée par les auteurs comme l’une des explications possibles de ces différences : des situations stressantes – sociétales, familiales… – pourraient en effet engendrer des stratégies d’adaptation délétères pour la santé CV (tabagisme, alcool, mauvaises habitudes alimentaires, etc.), voire des troubles psychiques (syndromes anxiodépressifs…), qui peuvent se traduire notamment par un état d’inflammation chronique, et à terme contribuer à l’athérosclérose, d’après le Pr Empana.

Toutefois, la disparité des résultats entre les femmes et les hommes interroge à cet égard : elle pourrait indiquer que les niveaux de stress subis par les femmes homosexuelles et bisexuelles ne sont pas les mêmes que ceux subis par leurs homologues masculins, ou bien qu’il existe des différences dans la résilience et les stratégies d’adaptation.

Une autre hypothèse est celle de l’accès aux soins, qui pourrait être moins bon pour ces populations. Par exemple, les résultats de cette étude montrent que le fait d’avoir vécu une grossesse annulait la différence des scores entre les femmes hétérosexuelles et homo/bisexuelles, ce qui suggère un rôle bénéfique du suivi médical accru issu de cette période (mais ces résultats sont à interpréter avec prudence, en raison des effectifs faibles).

Si ces données suggèrent que les femmes appartenant à des minorités sexuelles devraient être une population particulièrement ciblée en matière de prévention CV, des recherches prospectives sont encore nécessaires pour les confirmer et, le cas échéant, pour mieux comprendre les associations entre la santé CV et l’orientation sexuelle.

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